Dans le miroir du passé

La musique et la ville

Henri Lefebvre | 14 septembre 2020

Introduction

Critique de la vie quotidienne et de l’urbanisation, célèbre avocat du droit à la ville, le philosophe Henri Lefebvre (1901-1991) était aussi un grand amateur de musique, aussi intarissable sur l’œuvre musicale de Jean-Jacques Rousseau et de Jean-Philippe Rameau que sur la chanson populaire, le rock, le jazz ou la musique dite contemporaine. Dans un entretien qu’il accorde en 1976 à la revue Musique en jeu, il distingue notamment mélodie et harmonie — la première serait l’expression de la nature et la seconde celle de la vie urbaine —, explore les espaces sonores de la ville, s’interroge sur l’existence d’une musique urbaine, évoque la lutte du bruit et de la musique, attribue à cette dernière la capacité de métamorphoser l’espace… Bref il nous invite non à voir la ville sous un nouveau jour mais à l’écouter d’une nouvelle oreille : elle a tant à nous dire. Cette réflexion s’inscrit pleinement dans la théorie lefebvrienne de la rythmanalyse qui attribue aux temporalités leur justes places dans l’étude des rapports sociaux ordinaires.

Lisez en musique en écoutant les morceaux cités (liens dans le texte).

Harmonie & mélodie

[Henri-Pierre Jeudy] L’ensemble des phénomènes sonores dans la ville suggère-t-il l’idée d’une certaine « poétique de la ville » ?

[Henri Lefebvre] La question est un peu prématurée... Il faudrait considérer l’histoire de la musique. À partir du XVIIIe siècle, la musique change d’allure. On sait que techniquement, à la prédominance de la mélodie succède celle de l’harmonie. Tout le XVIIIe siècle est marqué par une victoire de l’harmonie sur la mélodie. Il se manifeste d’abord une sorte de compromis entre la mélodie et l’harmonie, mais au cours du XIXe siècle, l’harmonie devient prédominante quoiqu’il y ait des réminiscences, des résurgences de l’empire de la mélodie, dans les œuvres de Bartok, par exemple. L’harmonie constitue un ensemble de principes techniques de la musique au XIXe siècle, mais ceux-ci n’ont peut-être pas qu’une portée technique. Alors, c’est la question que je pose sur l’interprétation de l’harmonie, on peut se dire que l’harmonie est une conception générale du monde. Cela peut se justifier avec les œuvres de Fourier qui donnent à l’harmonie finale de l’univers la plus grande place. La musique exprime cette conception du monde. Mais il n’est pas sûr que ce soit une interprétation décisive, la prédominance de l’harmonie traduit bien sur le plan musical les phénomènes révolutionnaires de la fin du XVIIIe et du début du XIXe. La prédominance commençante, chez Beethoven, de l’harmonie sur la mélodie traduit l’introduction du principe démocratique, du principe urbain de la musique et devient l’expression de la révolution. Particulièrement la 9e symphonie. Ardono a insisté sur cet aspect de la musique en disant que ce n’était qu’un aspect idéologique... Peut-être est-ce l’expression d’une pratique de la vie, d’une certaine urbanisation de la vie au XIXe siècle qui trouverait son expression dans cette prédominance de l’harmonie sur la mélodie... La mélodie est un phénomène de nature, c’est l’expression du rythme, du souffle, du cœur, de ce que les Grecs appelaient le « pneuma », tandis que l’harmonie est une convention logique, voire une combinatoire. Mais cette combinatoire, hormis sa signification technique, a bien sûr une signification sociale qui, entre autres, serait l’expression de la vie urbaine.

[H-P.J] Mais l’enjeu symbolique des sons dans la mélodie est aussi de l’ordre de la convention culturelle...

[H.L] L’harmonie, de toute façon, n’est pas seulement une convention, c’est une exigence technique de la musique. J’attribue une grande importance au Dictionnaire de musique de J.-J. Rousseau dans lequel je trouve une idée essentielle : l’harmonie est conventionnelle, factice, c’est un phénomène de civilisation et de culture, mais elle exprime une pratique sociale. La mélodie, c’est l’infinitude de la nature... La musique harmonique au XIX e siècle s’est elle-même épuisée puisqu’elle aboutit à la musique atonale et que par ailleurs, le développement du folklore réintroduit la mélodie. La musique est devenue populaire et urbaine mais sans le savoir... au XIXe. Elle est maintenant sur la voie de devenir populaire et urbaine en le sachant. Cela fait partie de la « conquête du bruit », la musicalisation du bruit, le bruit ayant toujours été considéré comme anti-musical, désagréable pour l’oreille. La musique le conquiert peu à peu avec des bruits travaillés et avec la musique concrète, avec toutes ces audaces de composition qui ne sont peut-être pas encore très conscientes d’elles-mêmes. Quand Pierre Henry écrit et fait jouer Variations sur une porte et un soupir... ou bien d’autres encore comme Messe pour le temps présent... Le domaine du bruit est peu à peu intégré au domaine musical.

La conquête du bruit

[Claude Rouot] L’intégration de ces bruits, leur transformation en phénomènes sonores concrets sont intéressantes dans la mesure où ce sont leurs rythmes qui induisent une composition...

[H.L] Ce sont des phénomènes nouveaux et c’est à partir d’eux qu’on peut établir un rapport entre les phénomènes urbains et la musique. La conquête du bruit, son utilisation... mais je ne sais pas très bien ce qu’on peut faire en mettant des haut-parleurs dans les différents coins d’une ville ou en faisant entendre aux différents endroits d’une ville, les bruits ou les musiques d’un autre lieu de la ville. C’est une hypothèse intéressante...

[H-P.J] Toutes ces expériences permettent-elles une appréhension de l’espace urbain « différente » ? Peut-on penser qu’avec elles, la représentation de la ville se transforme, qu’elle n’est plus fondée sur une perception visuelle ?

[H.L] Je le croirais assez... mais c’est purement programmatique. À ma connaissance, il n’y a pas de musique destinée à donner une appréhension originale de la ville. Il me semble en tout cas que chaque lieu de l’espace urbain a ses caractéristiques sonores, a sa qualité sonore, sa tonalité... S’il s’agit de saisir cela et de le communiquer en dehors du lieu, je ne vois guère une expérience de composition qui corresponde à une telle entreprise. La conquête du bruit, programmatiquement se ferait par la conquête des bruits de la nature, mais celle-ci est déjà réalisée par la mélodie.

[Pierre Lantz] D’une manière très superficielle, cette conquête des bruits est effectuée par Gershwin...

[H.L] Oui, il y a bien cette tentative, mais c’est de la tonalité affective, il n’y a pas une perception de l’espace musical... Peut-être, dans la partition d’Un Américain à Paris ?... mais c’est une musique construite à partir de lieux de danses.

[Cl.R] On a intégré un certain nombre de bruits qu’on reconnaît et qui déterminent un ensemble sonore dans lequel on vit...

L’expression d’un vécu

[H.L] Ici, nous sommes en plein centre de Paris, tous les bruits de la ville sont pour moi un fond sonore, je les entends, mais je les entends à peine... C’est une sorte d’accompagnement perpétuel qui ne me gêne pas, qui d’ailleurs souligne beaucoup de choses pour moi. Mais il n’y a pas eu de musique qui ait pris comme thème la ville et les bruits de la ville...

[Cl.R] Même si aucune musique n’a pris pour thématique la ville, il n’empêche que bien des phénomènes sonores — utilisés le plus souvent dans les films — sont intégrés à la vie des gens, même s’ils ne les reconnaissent pas, même s’ils ne peuvent les nommer... Bien sûr, ce n’est pas à un niveau musical.

[H.L] C’est peut-être une étape vers une musique urbaine... alors que dans l’ensemble, la musique est une musique de la nature. Cette étape comporterait l’appropriation du bruit, l’extension du domaine de la musique au détriment du bruit.

[P.L] Il y a aussi Pacific 231... mais c’est la musique de la machine...

[H.L] Oui, c’est la machine... Certains compositeurs ont voulu intégrer la machine, ses bruits...

[Cl.R] Les Rolling Stones aussi...

[H.L] Les Pink Floyd... c’est une musique de la nature. Peut-être avec une intention cosmologique...

[Cl.R] Tout le monde parle d’une musique du cosmos, alors que les seuls éléments sonores répertoriés sont ceux des spoutniks.

[P.L] Pour Kubrick, c’est une valse viennoise...

[H.L] Il y avait beaucoup d’ironie dans le film 2001 L’odyssée de l’espace, mais nous nous éloignons...

 [H-P.J] Considérez-vous alors une certaine antinomie entre la « musique » et « l’urbain » ?

[H.L] Non, je pense que la musique est obligée de devenir urbaine et de conquérir le bruit urbain, de se l’approprier. Toute la conquête du bruit est celle du bruit artificiel, factice... C’est une interprétation optimiste... Pour moi, la musique est tout à fait consubstantielle au vécu, elle est profondément différente du conçu, elle est irréductible au concept, elle ne relève pas d’un langage et encore moins d’une linguistique. C’est une expression du vécu... le vécu aujourd’hui est irrémédiablement « urbain ». La musique me semble destinée à conquérir tout ce fond sonore des bruits urbains.

[Cl.R] Il existe tout de même un seuil de saturation malgré les formes d’intégration sociale des bruits. L’appropriation des bruits devrait permettre d’établir un seuil...

[H.L] De le reculer... Nous supportons de plus en plus de bruits, il y a toujours un seuil de rupture, mais cette transformation des bruits insupportables en musique a pour but de reculer un tel seuil. C’est par la musique et non par le langage verbal que des choses prennent un sens... l’appropriation du monde se fait plus par la musique que par les mots. La musique n’est pas un langage car elle a son « lieu » dans le vécu et non pas dans le conçu.

[H-P.J] Les bruits de la ville constituent un langage. Il n’est pas nécessairement informe : il n’y a peut-être pas d’arbitraire — comme on parle d’arbitraire du signe — entre le son et l’objet qui produit le son dans le cas de bien des bruits de la ville. Or, la musique, si elle tend à s’approprier les bruits en les transformant, ne viserait-elle pas à détruire ce langage et à restituer un arbitraire dans la relation entre le bruit et l’objet qui le produit ?

[H.L] La musique peut viser à détruire cette relation visuelle au bruit, mais elle vise aussi à la renforcer... Étant donné que cette musique urbaine n’existe qu’à l’état de projet ou d’esquisse...

[H-P.J] Je voudrais revenir à une idée que vous avez exprimée. L’espace musical serait, selon vous, l’espace de la contre-représentation... Alors est-il possible d’avoir une appréhension de la ville qui ne se fonde pas sur la représentation ? Et grâce aux phénomènes sonores.

[H.L] Oui, mais on ne peut pas recevoir les bruits à l’état brut, il faut que les bruits soient travaillés, appropriés. Ce travail est effectivement un travail de destruction de la représentation. Il peut y avoir un travail sur le bruit qui accentue leur caractère signifiant... Tout ceci reste bien hypothétique... Si on prend Xénakis, on ne peut pas parler de musique urbaine, le Polytope de Cluny est un lieu bien ambigu, puisque c’est un lieu antique dans un contexte ultra-moderne. Ce n’est pas probant.

Vue versus ouïe

[H-P.J] On insiste sur la perception visuelle de la ville, on parle peu des phénomènes sonores...

[H.L] Vous faites allusion à la domination terrible dans le milieu urbain de tout ce qui est optique et visuel. Il existe un étouffement complet de tout ce qui n’est pas visuel, l’odeur disparaît par exemple, les bonnes odeurs sont tellement lessivées que le caractère odoriférant naturel a disparu. Nous arrivons à constater, par une voie différente, que le milieu urbain trouve difficilement son expression musicale, entre autres. Les compositeurs trouvent peut-être déjà une expression du corps qui ne passe pas par la médiation de ce qui est urbain et qui reviendrait à l’immédiateté du corps... peut-être — pour faire plaisir à certains de nos amis — à ce qu’on appelle le « désir ». Mais je reviens à cette idée de l’origine de la musique : la musique a été déterminée jusqu’à maintenant par la nature, qui a tellement percé à travers la mélodie et qui a infléchi l’harmonie jusqu’à la stérilisation de toute recherche harmonique. Alors, les compositeurs se trouvent devant un certain vide...

[Cl.R] On peut parler aussi des couloirs du métro et de la pratique sociale de la musique qui s’y exerce... Dans les couloirs du Chatelet, il y a un peu de musette à un endroit, du jazz autre part. Un système de diffusion technique de la musique, avec des haut-parleurs, ne procurerait aucun plaisir. Il y en a boulevard des Italiens qui font de la « bonne » musique.

Des musiques urbaines

[H.L] Mais sont-ils à tel endroit par hasard ?

[Cl.R] Ils se déplacent, mais ils se tiennent en certains lieux, les grands boulevards, par exemple... Ils vont dans des endroits plutôt populaires, et non plus au quartier Latin.

[H.L] Autrefois, avant la deuxième Guerre Mondiale, il y avait beaucoup de musiciens dans les rues mais ils avaient leurs lieux. Il y en avait toujours au coin de Barbès-Rochechouart, sous le métro... C’étaient des chanteurs professionnels, les gens se réunissaient, ils avaient souvent un violon, ils avaient toujours une partition, ils apprenaient aux gens les chansons à la mode... Les grands chanteurs étaient rares, il n’y avait pas un marché de la chanson, il y avait beaucoup de groupes de chanteurs qui marquaient des lieux, des carrefours des parcours, ils arrivaient dans cet endroit, ils commençaient avec un accordéon, ou avec un violon, ils jouaient une mélodie et ensuite, ils la chantaient puis ils distribuaient, ils vendaient aux gens les partitions, et ils répétaient avec eux les chansons. C’était la chanson populaire de ce temps-là... Elle était urbaine mais elle n’avait pas pour thème la ville...

[P.L] Sauf, Sous les toits de Paris de René Clair et la musique était de Maurice Jaubert...

[H.L] Le thème était souvent d’une sentimentalité sirupeuse... Du genre : « tout le long de la Tamise, nous irons tous les deux... » Mais c’était une chanson urbaine par son existence, par son mode de communication ; aujourd’hui, c’est repris par ces groupes légèrement marginaux...

[Cl.R] Je crois que les raisons « économiques » de ces groupes sont passées au second plan, qu’elles suppléent au plaisir de jouer ... Ainsi une place du XIIIe arrondissement a été aménagée à cet effet... De toute façon, il y a une différence profonde entre cette musique de la rue et celle qui est diffusée dans les grands magasins par exemple. La distribution technique des sons est bel et bien coercitive, elle s’impose à l’oreille.

Des espaces sonores

[H.L] C’est vrai. La musique dans la rue ou dans les couloirs du métro n’est pas agressive, alors que le lieu est souvent agressif... Même si on donne une illusion de contact, de présence, comme ça en passant, c’est toujours bon à saisir, et d’ailleurs ce n’est pas vraiment une illusion... L’art le plus réaliste, le plus à la recherche de la véracité comporte aussi une part d’illusion. En tout cas, ce n’est pas agressif, c’est une présence. À la limite, ce n’est même plus un passage, les gens s’arrêtent...

[Cl.R] Cette musique dans les couloirs du métro n’est jamais imposée, on peut passer, s’arrêter...

[H.L] Elle métamorphose l’espace.

[P.L] Il faudrait peut-être distinguer une musique d’enveloppement et celle qui est circonscrite dans l’espace. La musique « désagréable » est une musique d’enveloppement, dont on a l’impression qu’elle est répétée dans toutes les parties de l’espace. Au contraire, une musique qui « satisfait » est une musique qui est circonscrite dans l’espace telle qu’elle ne nuirait pas à la diffusion d’une autre musique, dans un autre lieu de l’espace. Une musique qui serait comme une atmosphère enveloppant tout serait très gênante...

[H.L] Dans les couloirs du métro, la musique produit un tel effet de contraste, manifeste une telle appropriation d’un espace rébarbatif, sinon agressif, que c’est tout à fait remarquable.

[P.L] Elle est proche d’une hétérogénéité dans un espace qui est très homogène... qui se trouve ainsi polarisé.

[H-P.J] Bien qu’avec une certaine redondance, une telle musique peut devenir de la « signalétique sonore »... Si on passe tous les jours au même endroit, on finit par savoir ce qu’on va entendre...

Un phénomène corporel

[H.L] Mais il faudrait revenir sur cette idée selon laquelle la musique est autre chose que la représentation. Elle n’est pas liée au savoir, elle le retarde ou anticipe sur lui... Il y a bien un « imaginaire musical ». Schumann vivait bien dans un monde délirant, symbolique, imaginaire... Wagner, c’est un « monde musical », comme « monde », c’est un des rares compositeurs à propos duquel on peut employer ce qualificatif de « monde » qui n’a d’ail- leurs rien à voir avec « mondial ». Il y a dans la musique quelque chose qui transgresse ou qui dépasse toutes les représentations, puisqu’elle plonge dans l’immédiat, dans le contact avec la nature, et qu’en même temps, elle se joue du concept et des conceptions du savoir. En plongeant dans l’immédiateté, la musique a un rapport avec le corps, avec la nature ou avec la valeur d’usage (en termes marxistes) mais simultanément, elle en sort, elle tend à dépasser cette immédiateté mais vers quoi ? Vers cette réalité urbaine ? Cette nature « seconde » ? Dès lors, le dépassement de la représentation s’accomplit de manière très équivoque... La poétique aussi est en deçà et au-delà des représentations, un des coups de génie de Nietzsche c’est d’avoir groupé « musique », « théâtre » et « poésie », d’avoir perçu que tout cela est en deçà et au-delà du savoir, simultanément... Le roman fait partie du savoir.

[H-P.J] La musique n’est-elle pas plutôt une « mise à mort » de la représentation ?

[H.L] C’est le projet du compositeur... de faire surgir quelque chose qui ne soit pas représentatif, mais ce projet échoue toujours, car s’il n’échouait pas, ce serait suicidaire pour le savoir. Le savoir serait aboli d’un seul coup... Ce n’est pas possible. Dans la musique, un tel projet irait jusqu’à la mise à mort du langage, du langage verbal, du langage fragmenté...

[H-P.J] Toute cette complexité des phénomènes sonores dans une ville n’incite-t-elle pas justement à la « mise à mort » de la représentation ?

[P.L] Je pense que la musique est un ordre du corps, qu’elle s’oppose à la représentation parce que justement la représentation est visuelle et qu’elle empêche d’avoir un rythme, puisque la musique est une mesure du temps temporelle... Or le corps est également rythmé, donc je crois que la musique se rapporte au corps et que pour cela elle exclut la vue — le système visuel n’a pas les rythmes du corps. La musique est donc en deçà et en delà de la représentation puisqu’elle se rapporte à la fois à un système pur de signifiants sans qu’il y ait de signifiés visuels, et en même temps au corps sans les effets visuels. La musique est un système de signifiants biologiques, elle est à la fois corporelle et abstraite.

[H.L] Phénomique par rapport au corps...

[P.L] Elle peut permettre tous les systèmes abstraits possibles, en ce sens, elle est totalement arbitraire.

[H.L] Effectivement, le système visuel impose son interprétation...

[P.L] La musique n’est pas « divisée » comme le système de la Langue qui suppose toujours un référent.

[H-P.J] Il y a toujours référence, c’est bien le problème de la tyrannie de la représentation...

[P.L] Mais cette référence se joue par rapport à un ordre biologique, la musique renvoie à un signifié qui est lui-même rythmé, qui est celui du corps.

[H.L] La musique développe un horizon de sens, une multiplicité indéfinie de significations, la musique prête à une indéfinité d’interprétations...

Merci à Thierry Paquot (membre du conseil topophile) de nous avoir fait connaître ce texte.

Entretien originellement paru dans la revue Musique en jeu  (n°24, 1976) et récemment republié dans Éléments de rythmanalyse et autres essais sur les temporalités de Henri Lefebvre (« Rhizome », Eterotopia, 2019, pages 141-150).