Les mots et les choses

La permaculture, entre intégration et coopération

Agnès Sinaï | 21 mai 2020

Introduction

« Design permaculturel », « butte permacole », « jardin en permaculture », « permaculture urbaine », etc. mais qu’est-ce donc que la permaculture ? Un phénomène de librairie ? Une recette miracle de culture potagère ? Plus que cela, c’est « une vision des sociétés futures » rétablit Agnès Sinaï, diplômée de maraîchage en permaculture et traction animale, en mobilisant la pensée de ses fondateurs australiens Bill Mollison et David Holmgren.

La permaculture est plus qu'une technique agricole. La permaculture se révèle non pas seulement comme une autre façon de jardiner, mais comme une autre façon de concevoir le monde, un changement philosophique et matériel global. C'est une vision des sociétés futures, qui seront confrontées à l'évolution des régimes énergétique et climatique.

Le néologisme « permaculture » a été forgé en Australie dans les années 1970 par ses co-inventeurs, Bill Mollison et David Holmgren, à partir de la contraction de deux termes : « permanent » et « agriculture », mais aussi « permanent culture ». Dès les premières pages de Permaculture One, l'ouvrage fondateur de Mollison et Holmgren traduit en français (1), la permaculture se place sous le signe d'une vision du temps long, empruntant des références aux sociétés préindustrielles aborigènes tout en se projetant dans un futur au-delà du pétrole : « La permaculture est le parachèvement d'un support de vie complet pour l'homme, au-delà des solutions développées par les sociétés pré-industrielles. » Une conscience aigüe de la fugacité du système industriel habite les co-fondateurs Mollison et Holmgren. Depuis la Tasmanie, berceau de leur prise de conscience, ils formulent l'hypothèse d'un effondrement des « subsides » énergétiques injectés dans le système agro-industriel.

Dans l'ouvrage qu'il rédige au début des années 2000, Permaculture. Principles and Pathways beyond Sustainability, David Holmgren présente la permaculture comme une méthode pour anticiper la descente énergétique du monde. La richesse et la croissance économique des sociétés industrielles repose sur une récolte sans précédent de quantités gigantesques d'énergies fossiles, qui ont mis des centaines de millions d'années à se constituer dans les entrailles de la terre, constate-t-il. Nous avons utilisé une partie de cette énergie précieuse pour accroître notre prélèvement des ressources de la Terre dans des proportions insoutenables. Les conséquences de cette surexploitation vont se révéler à mesure que l'accès aux énergies fossiles déclinera. Dilapider autant de capital mènerait n'importe quelle entreprise à la faillite, souligne Holmgren.

Dès lors, la permaculture s'interroge sur la manière de rompre avec cette gabegie énergétique, fondée sur une conception erronée de la richesse. Un de ses principes fondamentaux affirme la nécessité de capturer et de stocker l'énergie dans le souci du long terme. En particulier, elle se concentre sur la manière d'optimiser la capture de la photosynthèse. Les lois de la thermodynamique n'ont pas échappé à la permaculture. Comme le souligne David Holmgren, « comprendre les lois de l'énergie a été fondamental dans le développement du concept de permaculture. » (2)

Dans sa multidimensionnalité, la permaculture pose la question des échelles de gouvernance, de la culture et des mythes à mobiliser pour créer les conditions de la descente énergétique. « Affirmer qu'il est possible d'utiliser les principes de la permaculture pour concevoir une culture et une société de la soutenabilité (pourquoi pas « une société soutenable » ?) est peut-être un trop grand saut, mais je crois possible au moins que les principes permaculturels servent à évaluer les divers phénomènes culturels dans lesquels nous nous trouvons impliqués. » (3)

Ainsi certaines valeurs et attitudes peuvent concourir à la descente énergétique : valoriser des systèmes de savoir en dehors du rationalisme scientifique, croiser les disciplines, recueillir les savoirs locaux et la transmission directe. À l'orée d'un changement d'état, il faut savoir débarrasser le système de ses éléments les moins importants, afin de réduire la complexité de la gestion du système. Plutôt que la ségrégation des parties, il faut, dans la démarche permacole, préférer l'intégration. Plutôt que la compétition, un système saura perdurer s'il promeut la coopération.

Notes

(1) Bill Mollison et David Holmgren (1978), Permaculture 1, Editions Charles Corlet, 2011.

(2) David Holmgren (2002), Permaculture. Principles and Pathways beyond Sustainability, Permanent Publications, 2011, p. 28. Edition française : Permaculture. Principes et pistes d’action pour un mode de vie soutenable, Rue de l’Echiquier, 2014.

(3) Holmgren, op. cit., p. 47.