Du lisible au visible

« Demeure terrestre. Enquête vagabonde sur l’habiter » de Thierry Paquot

Marie Escorne | 13 novembre 2020

Introduction

Cette nouvelle édition augmentée de Demeure terrestre permet de (re)découvrir un texte fondamental pour toutes celles et ceux qui s’interrogent sur ce qu’habiter veut dire.

Dans une émouvante entrée en matière, Thierry Paquot évoque des souvenirs personnels : la disparition du père et quelques années plus tard de la mère, la « venue au monde » des enfants... Ce faisant, il montre que nos existences sont des traversées de lieux, des successions de demeures et de rencontres avec nos semblables, dont certains continuent à nous habiter, même lorsqu’ils ne sont plus de ce monde. Loin d’être close sur elle-même et loin de pouvoir tenir dans le tiret séparant les dates de naissance et de mort, la vie de tout individu est fondamentalement ouverture au monde et aux autres.

La philosophie, nous apprend Thierry Paquot, est ainsi « chevillée à la vie de tous les jours » : incarnée, ancrée dans l’expérience quotidienne, elle peut aussi aider à s’orienter dans l’existence. Urbanistes et architectes auraient tout à gagner à s’intéresser à la philosophie et à lire ce livre qui invite à se questionner, à prendre le temps de se mettre à l’écoute des lieux et des individus pour penser « l’en-commun ». L’auteur lui-même se montre attentif à la parole des autres, de celles et ceux qu’il a par exemple rencontrés en Inde, qui racontent l’exclusion, le mal-être mais également la possibilité, par la parole, de repriser un tissu social meurtri. À la suite d’Heidegger, Thierry Paquot rappelle en effet que le langage est la « maison de l’Être » : par les mots nous nous sentons « ex-ister », c’est-à-dire être en dehors de nous-même, habitants du monde. Vagabonder à l’intérieur du langage s’avère tant utile que passionnant et c’est aussi le goût des mots (espace, lieu, accueillir, faire, intime, cabane, maison, et bien sûr habiter, habitat, habitation) que transmet l’auteur de Demeure terrestre en enquêtant sur leurs origines et les liens qui les unissent d’une langue à l’autre.

Au fil de l’ouvrage, Thierry Paquot entremêle sa voix à celles des auteurs dont il restitue la pensée, tels Gaston Bachelard, Martin Heidegger, Henri Lefebvre, Henri Maldiney ou Ivan Illich. S’attachant plus particulièrement à retracer l’odyssée de la notion d’habiter qui apparaît dans les années 1950 et circule depuis lors à travers les textes et les disciplines, il nous apprend qu’habiter n’est pas un résultat mais un fondement, synonyme d’exister : habiter, écrit-il, c’est « être-présent-au-monde-et-à-autrui ». Le monde, notre « demeure terrestre », est ainsi ce qui nous rassemble et il convient par conséquent de le « ménager ». Prônant la « topophilie », Thierry Paquot engage à prendre soin des lieux qui nous accueillent, pour qu’ensemble nous puissions encore « faire monde ».

« Le meilleur ami de l’homme est le livre » affirme Thierry Paquot dans les « confidences bibliographiques » sur lesquelles s’achèvent Demeure terrestre. Cet ouvrage est lui-même un véritable compagnon de route, que l’on a plaisir à rencontrer et à retrouver, avec lequel on se sent exister, intensément.

Thierry Paquot, Demeure terrestre. Enquête vagabonde sur l’habiter, collection l’Esprit des villes, Terre urbaine, 2020, 270 pages, 19 euros.