rural équipement public bois paille circuit court préfabrication
À Mandres-sur-Vair, l’arbre, la grume et la salle des fêtes
François Brun Aurélie Gonzalves Marc-Olivier Luron Hervé Probst | 8 septembre 2024
Introduction
qui Bagard & Luron architectes (cheffe de projet et suivi de chantier : Aurélie Gonzalves) | Bureau d’études structure : Barthes Bois (Hervé Probst) | Contrôleur technique : BTP consultant (François Brun)
quoi Construction de la Salamandre, une salle multi-activités intergénérationnelle augmentée d’une bibliothèque, salle de réunion associative, cuisine, terrasse couverte, parvis (SU = 520 m² + 100 m² terrasse couverte)
où Mandres-sur-Vair, Vosges (88)
quand Etudes 2021-2022 | Chantier 2023-2024
pourquoi Pour accueillir les évènements de la commune, les associations et les enfants sur le temps périscolaire.
comment Structure primaire : poteaux en épicéa issus de forêts vosgiennes et murs à ossature bois (porteurs verticaux et refend de stabilité aux efforts horizontaux) avec isolation en bottes de paille fournies par Univers’Foin (57), épaisseur 36 cm, montants tous les 48 cm, contreventement par des croix de saint André | Toiture : caissons bois isolés en paille préfabriqués en atelier | Bardage extérieur : douglas prégrisé | Charpente : caissons porteurs et bracons en épicéa | Couverture : zinc à joint debout | Dallage béton | Finitions intérieures : plaques de plâtre et bardage 3 plis mélèze | Menuiseries intérieures bois | Menuiseries extérieures : mur rideau bois-alu | Préau : poteau, charpente et sous face en chêne local | Ventilation : double flux | Chauffage : Pompe à chaleur
pour qui Commune de Mandres-sur-Vair
avec qui B.E.Structure, V.R.D. : Barthes Bois | B.E. Fluides, thermique : Solares Bauen | Economie : Touzanne et Associés | B.E. Electricté : L&N ingénierie | Acousticien : Venathec Bureau de contrôle : BTP Consultants (François Brun)
par qui V.R.D. et espaces verts : Colas | Gros œuvre : Ménil Rénov | Charpente bois, ossature, bardage bois : Yves Sertelet | Couverture, étanchéité, bardage métallique : Trampé Construction | Menuiseries extérieures, serrurerie : Brayer Albert | Cloisons, faux plafonds : Dessa Construction | Menuiseries intérieures : Menuiserie Joly | Sols souples, sols durs, faïence : Europ’ Revêtements | Peinture : Lenoir | Plomberie, sanitaire, chauffage, ventilation : Cunin Contrexéville | Électricité : Baty Elec| Cuisine : Synergie Maintenance.
combien1 732 263 € (H.T.) | 870 m² en vide pour plein soit environ 650 m² de bottes | 70 m³ de grumes de bois pour un rendement de 15% (les « restes » de sciage ont été revalorisés par le scieur : bois d’énergie, bois de construction de petites section, ect…) soit 11,5 m3 de bois de chêne local (volume fini) | Consommation d’énergie primaire Cep : 55,7 kwhep/m2SHONRT.an
Village-rue typique, la petite commune de Mandres-sur-Vair avec ses quelque 400 habitants s’étire à travers les champs bordés de forêts. Dans ce contexte rural peu dense, l’espace public se limite souvent au cordon bitumé de trottoir entre la route et les maisons en bande implantées le long. La commune a ici fait le choix d’aménager un ancien terrain de football, à la jonction de cette voie principale et des lotissements sortis de terre au cours des dernières décennies. La construction de la salle des fêtes et les jeux pour enfants préexistant inaugurent ce qui deviendra une nouvelle centralité pour le village.
Site
Camille Rognon | Quand on arrive sur le site, la prédominance des vides est évidente. La silhouette de la salle multi-activités se dessine le long d’une voie flambant neuve qui se prolonge vers un parking très récent. Quelques pavillons hétéroclites se découpent à l’arrière et face à la salle. Savez-vous pourquoi la commune a fait le choix de ce site ? Comment avez-vous abordé ce contexte rural en mutation auquel il semble difficile de trouver des points d’attache
Aurélie Gonzalves | Le projet devait prendre place au sein d’un plaine d’activités comprenant un city stade, un tennis, une aire de jeux pour enfants et un terrain de football laissé à l’abandon. A l’échelle de la commune il semblait pertinent de vouloir concentrer les activités sur un pôle devenant une nouvelle place de village.
Marc-Olivier Luron | Ce projet, comme tant d’autres de ce type, se confronte à un contexte sans morphologie particulière, presque « sans histoire » : il s’agit d’une extension du village qui suit une logique « d’aménagement » (d’un lotissement, d’une aire de loisirs). Le projet doit alors inventer une histoire, suggérer un récit, faire appel à un imaginaire. Nos projets en milieu rural recherchent avant tout une intégration fine à leur contexte et une accroche sensible au lieu. Une analyse historique du site, des modes constructifs, ainsi qu’une recherche quant aux ressources locales précèdent toujours notre conception.
L’implantation de cette grande halle assumée comme un bâtiment agricole en milieu rural permet, tout en tournant le dos au lotissement récent, de préserver et de répondre à trois enjeux : signaler un équipement public dans un tissu peu dense et hétérogène ; mettre en œuvre une conception bioclimatique du bâtiment favorisant les apports solaires au sud dans l’objectif d’un bâtiment passif ; offrir des espaces associatifs de qualité́ dans un bâtiment fonctionnel, flexible et polyvalent.
Aurélie Gonzalves | Prenant place principalement au milieu de ces vides et en l’absence de bâti historique avec lequel dialoguer, avoir recours aux matériaux locaux était un moyen assez évident pour situer cette nouvelle construction dans son tissu local au-delà de la typologie du bâtiment.
Le chêne, une ressource existante et immédiatement accessible sur le territoire de la commune, tout comme la paille semblaient pertinents pour une construction ancrée dans son paysage. Plusieurs membres de l’équipe étaient formés « Pro-Paille » et possédaient des expériences passées en construction paille. La volonté collective de mettre en œuvre ces deux matériaux a façonné le projet dès l’esquisse, dans sa structure et sa volumétrie notamment.
Bois local
Camille Rognon | En effet, les forêts sont omniprésentes dans la région et partie intégrante de l’identité du territoire. À Mandres-sur-Vair, la moitié des terres se composent de forêts ou d’espaces naturels. Importante ressource, le bois local n’est pourtant pas toujours utilisé de manière systématique dans les projets de construction et encore moins localement. Comment avez-vous fait pour tisser ce lien entre le projet et les ressources avoisinantes ?
Marc-Olivier Luron | Nous souhaitions effectivement concevoir un bâtiment construit majoritairement avec des matériaux biosourcés et idéalement locaux. L’agence a été retenue au terme d’une procédure adaptée classique, sans remise de prestations. Dans nos références, nous avions essentiellement mis en avant notre culture dans la construction bois. La proposition d’utilisation de ressources locales s’est faite à notre initiative lors de la réunion de démarrage des études (réunion 00) avec le maître d’ouvrage. Nous avions évoqué, pèle mêle, l’isolation paille sourcée éventuellement auprès des agriculteurs de la commune, la disponibilité de ressources bois avec les forêts communales, l’utilisation de matériaux issus de réemploi si des déconstructions étaient programmées dans le secteur. Les retours curieux et favorables, ainsi que l’expérience de notre bureau d’études Barthès Bois nous ont permis de développer certaines de ces propositions. L’équipe de Maîtrise d’Œuvre, le Maître d’Ouvrage et l’ONF (Office National des Forêts en charge de l’exploitation des forêts) ont ainsi travaillé ensemble à l’identification des ressources en bois issu des forêts domaniales feuillus.
Hervé Probst | L’emploi en extérieur du chêne est permis sans traitement industriel comme il pourrait être nécessaire sur les essences résineuses ou sur le hêtre par exemple. C’est un bois dense et lourd, sa disponibilité est importante en France (2ème producteur mondial de chêne) et ces tannins le rendent naturellement durable (le duramen est utilisable sans traitement en classe 3 et correspondant à un usage extérieur).
Marc-Olivier Luron | Plusieurs pistes ont été menées de front, étudiant l’emploi du chêne comme structure primaire des murs et caissons paille, charpente du préau, bardage du bâtiment, ou recourant à des essences tel que le hêtre et le frêne pour les habillages intérieurs de la grande salle.
Camille Rognon | Quelle a été votre approche pour permettre d’imposer en partie le recours à du bois local et quelles ont été les limites de cette démarche ?
Hervé Probst | Pour être moins tributaire du temps de séchage et afin de viabiliser l’utilisation du bois local, nous avons dû restreindre son emploi à la zone du préau (en structure, charpente et voligeage). Le préau étant un élément du projet que l’on pouvait concevoir comme indépendant et réalisable à la fin des travaux, cela nous a permis de sécuriser le planning d’intervention du charpentier.
L’intégration du bois local doit être pris en compte très tôt dans les études avant-projet (AVP) car il faut intégrer au planning conventionnel les temps de coupe, de sciage et de séchage (en fonction de l’emploi du bois en extérieur ou en intérieur, le temps de séchage n’est pas le même puisque l’humidité de pose des éléments destinés à rester dehors peut être plus élevée). Les retours d’expériences sur ce type de montage nous ont permis de conclure que si ces éléments sont pris suffisamment en amont, il n’y a pas de problèmes spécifiques hormis une conception figée plus tôt et du travail supplémentaire pour la MoE. Il n’y a donc pas eu de retard lié au bois local.
Marc-Olivier Luron | L’appel d’offres entreprise a été réalisé en lots séparés. La démarche de construction avec du bois de la commune a nécessité un marché de sciage passé entre la commune et un scieur local (sur la base de sections demandées par le bureau d’études Barthès). La commune n’a donc pas vendu ces chênes (manque à gagner) et les a ensuite mis à disposition pour la construction après un temps de séchage. Cette démarche n’a pas engendré d’économie sur ce lot mais a permis de construire une partie du projet en chêne, dans un cercle vertueux d’économie circulaire.
Hervé Probst | Il a fallu lancer un marché de sciage séparé du DCE (dossier de consultation des entreprises) conventionnel en amont de la consultation des autres lots. Cette méthode sort de la constitution traditionnelle des marchés et du champ habituel d’intervention des entreprises. Le charpentier a donc à sa charge le façonnage des futures pièces en bois, la pose et l’assemblage de ces éléments ainsi qu’une réception contradictoire avec le scieur. Pour le marché de sciage il revient également au bureau d’études la réalisation d’un cahier des charges de sciage assurant la conformité visuel et règlementaire avec les calculs effectués en amont. Cela implique des prescriptions spécifiques dans les pièces écrites et une présence au côté de l’entreprise pour la réception des bois afin de s’assurer de la conformité de ceux-ci avec les exigences du cahier des charges.
François Brun | Le chêne est un bois caractérisé pour la construction, avec de meilleures résistances en compression, donc intéressant pour les poteaux. Son défaut en architecture, est d’être traité à l’ammoniac pour bloquer le tanin, ce qui s’avère sans risque ici car la structure est à l’air libre. Comme il s’agit d’un bois local débité dans une scierie locale (que nous avons pu visiter), il a fallu vérifier son classement mécanique et son taux d’humidité. Ensuite, la structure a dû être redimensionnée en exécution en fonction des longueurs disponibles.
Pour ce faire, les dates jalon ont été les suivantes :
- Novembre 2021 : choix des chênes en forêt de Mandres (avec la MOE, le Maire et l’ONF)
- Avril 2022 : marché de sciage attribué par la commune à la scierie PERRU
- Juin 2022 : sciage des bois par PERRU (selon cahier des charges Barthès Bois)
- Juin 2022 : appel d’offres entreprises. Les charpentiers devaient répondre à la consultation en utilisant le bois mis à disposition par la commune. En parallèle, l’appel d’offres intègre un critère environnemental pour le lot Charpente, sur la base d’un tableau de provenance des bois rempli par les candidats. Les approvisionnements locaux sont ainsi valorisés au titre de la qualité technique des offres.
- Janvier 2023 : réception des bois par le charpentier SERTELET chez le scieur PERRU (en présence de la MOE et du bureau de contrôle).
Hervé Probst | Dans notre région et zone d’action (le territoire vosgien) cela ne présente pas de problématiques particulières en termes de ressources (humaines, à savoir scieurs, charpentiers et forestières avec des résineux et feuillus). Nous avons déjà réalisé 4-5 opérations similaires. La principale problématique réside dans le fait de valider avec le bureau de contrôle le classement mécanique des bois car toutes les scieries ne possèdent pas les outils de classification et de normalisation des bois notamment les scieries dont l’activité principale n’est pas la coupe de bois de structure. Dans notre cas nous avons pu affecter un classement structurel (classe mécanique selon la norme française EN 338) à une classe d’aspect (défini par la norme EN 975), les hypothèses de calculs se sont également voulues conservatrices. Cependant cela n’est pas généralisable à toutes les espèces de bois. Il faut donc une étude au cas par cas en fonction de la ressource disponible En conclusion, ce type de processus engendre un travail supplémentaire pour la MOE (accompagnement & visite, calculs et discussion avec le contrôleur) et la MOA (rédaction marché supplémentaire). D’un point de vue économique les solutions en bois local sont généralement isocoût avec les solutions courantes. La mise en œuvre du bois local doit donc faire partie d’une volonté et d’un engagement de la MOA en premier lieu. Pour la MOE il s’agit d’une mission complémentaire qu’il faut appréhender en amont.
Paille
Camille Rognon | Vu du ciel, le territoire se compose d’un camaïeu de verts ; prairies, champs, forêts s’étendent à perte de vue. Si dans ce paysage la paille fait partie intégrante du décor, en grandes quantités, le lien avec la construction n’est pas encore évident pour tout le monde. Pourquoi avoir choisi d’employer ce matériau ici et comment cela a-t-il été accueilli ? Pourquoi avoir attendu ce projet pour construire en paille ?
Marc-Olivier Luron | La première rencontre de l’agence avec la construction paille remonte à 2007, par une visite de fin de chantier de la Damassine (Maison des vergers, du paysage et de l’énergie) à Vandoncourt (25). Les architectes de l’agence HAHA (Saint Nabord) concrétisaient avec ce programme le premier ERP français isolé en paille. Nous y découvrions un chantier magnifique, avec la mise en œuvre de paille issue d’un rayon très proche, la recherche de la botteleuse appropriée, l’adaptation du dessin de la structure aux dimensions de la botte, le stockage de la paille sous un chapiteau monté sur site, le jonglage avec le calendrier de moisson et le planning de chantier… Relevant presque de l’épopée, elle précédait la publication des Règles Professionnelles de la Construction Paille rédigées par le Réseau français de la construction paille (RFCP) en 2012.
Quinze ans plus tard, notre équipe a conçu et réalisé plusieurs bâtiments bois (structure bois, MOB, FOB, etc.), qui nous ont rendus familiers de la préfabrication en atelier du traditionnel MOB et du complexe panneau contreventement / isolant / pare-pluie. Après plusieurs occasions avortées (concours perdus), le projet de Mandres-sur-Vair présente un contexte favorable pour réaliser le premier bâtiment à isolation paille de l’agence. Pourquoi ? Parce que maintenant, c’est relativement facile. Le cadre technique et réglementaire existe depuis la publication des Règles professionnelles de la construction paille (2012). L’agence a réalisé la formation « Pro-Paille » et connaît les points-clés d’une conception et d’un chantier en paille. Il existe aujourd’hui une filière structurée : accès à l’expertise technique (RFCP), BET, entreprises du bâtiment, fournisseurs (Univert’foin). Certains Contrôleurs Techniques sont également pro-actifs et engagés (BTP Consultants sur ce chantier)
Lors de nos premières réunions avec les élus, nous avons proposé une construction bois-paille en présentant deux provenances possibles pour la paille. Hyper locale : notre souhait initial était avant tout de privilégier un circuit court grâce à la présence de plusieurs agriculteurs installés sur la commune et lorraine avec des fabricants de bottes de paille calibrées pour la construction. Le retour fut positif, nous demandant des références de projets similaires (réalisés par nos bureaux d’études), mais les agriculteurs n’ont pas montré d’intérêt quand l’équipe municipale et le maire ont pris contact avec eux.
Nous nous sommes alors orientés vers un fabricant de bottes de paille lorrain mais sans aborder alors le sujet d’une paille bio. En Lorraine, la vente de paille pour la construction n’est pas faite de façon structurée, et à ma connaissance, que par un seul fabricant et dont l’activité pour le bâtiment reste anecdotique dans son chiffre d’affaires. En s’appuyant sur ces retours ainsi que sur l’expérience du BET Barthès, le DCE du projet est défini sur la base d’une construction en caissons avec préfabrication hors site. Cette prescription est en soi invisible dans le dessin, une paroi isolée en paille est la même qu’elle soit remplie sur chantier ou hors site. En revanche, elle a des conséquences sur le planning et le type d’entreprise en capacité de répondre, ainsi que sur la filière d’approvisionnement de la paille.
Camille Rognon | La mise en œuvre de matériaux naturels peu transformés implique bien souvent de comprendre comment la matière dicte la forme. Dans le cas de la paille, le conditionnement des bottes dans les murs à ossature bois et les caissons en toiture rythme inévitablement les éléments de structure. Comment le recours à ce matériau a-t-il influencé la forme et l’organisation du bâtiment ? Quelles ont été les contraintes induites par ce mode constructif et qu’est-ce qui vous a intéressé dans cette démarche ?
Hervé Probst | Fort de notre expérience des chantiers bois et biosourcé, nous sommes particulièrement vigilant sur la principale problématique de mise en œuvre de ces isolants et particulièrement de la paille, à savoir son exposition aux intempéries. Nous avons donc préconisé des caissons paille préfabriqués en atelier protégés des intempéries lors des différentes phase : transport, levage, chantier. L’entreprise de charpente a été très soigneuse quant à la protection des poids sensibles (tête de MOB notamment). Nous avons préféré le bois massif comme traitement intérieur des caissons plutôt que l’enduit pour des raisons technico-économiques. La région vosgienne étant culturellement une région forestière, peu d’artisans ont la capacité de réaliser ce type de prestation sur des équipements publics et de ce fait les prix de ces prestations sont peu concurrentiels dans un projet soumis à des contraintes économiques fortes.
Marc-Olivier Luron | Effectivement en architecture, le choix préalable d’un procédé constructif a sur la conception une conséquence simple : il faut accorder l’espace avec la logique du procédé. D’emblée, le projet adopte une forme régulière et un schéma structurel régulier liés à la construction par caissons. Nos recherches en phase Esquisse incluaient un travail plus sophistiqué de charpente à l’intérieur de la grande salle. La structure finale, sa rigueur et son poids (caissons de charpente isolés en paille), nous ont conduits à simplifier cette dernière pour maintenir notre choix initial d’isoler le bâtiment avec de la paille. Les caissons sont portés de façades longitudinales à refend intérieur MOB sous faîtage. La charge est reprise par des bracons qui réduisent la portée. Ces derniers servent également de support pour créer la volumétrie intérieure avec son plafond acoustique bois. Un panneau rigide de fibre de bois de 80 mm permet de compléter l’isolation des parois verticales et de gérer les ponts thermiques des montants des caissons bois-paille.
Hervé Probst | La botte étant contrainte par des dimensions standards, les architectes ont laissé à l’entreprise la liberté en phase Exe de calepiner les menuiseries extérieures de la façade technique notamment afin de maximiser l’usage de la paille (quand les vides à combler sont trop faible les entreprises ont recours à la laine de bois pour combler, le calepinage des montants et du projet de manière général permet d’utiliser uniquement de la paille).
La typologie du projet architecturale ne présente pas de débords de toiture sur les zones de murs en paille et la région des Vosges présentent un risque de mouillage des façades élevé. Au vu de ces deux facteurs et des préconisations des Règles professionnelles sur l’exposition des façades, nous avons préconisé un bardage ventilé. Le parement ventilé permet ici de limiter la nécessité des débords de toiture assurant une plus grande variété de choix architecturaux. Nous avons cependant mis l’accent sur le traitement soigné (étanchéité à l’eau et à l’air) des jonctions caissons/murs en paille qui sont des zones de liaisons pathogènes si elles ne sont pas bien traitées.
Marc-Olivier Luron | Le levage a été très rapide (2 semaines), réalisé avec une grue PPM de l’entreprise. Cette phase a été très marquante pour le maître d’ouvrage ébahi par cette rapidité, bien qu’il ait préalablement visité les ateliers du charpentier avec nous lors de la préfabrication.
Préfabrication
Camille Rognon | Vous l’avez expliqué, le choix du matériau paille et, a fortiori, son emploi sous la forme de caissons préfabriqués a été structurant dans le développement du projet. Quels ont été les défis auxquels vous avez fait face et comment cela a-t-il impacté l’organisation du système constructifs ?
Marc-Olivier Luron | Le chantier de Mandres-sur-Vair illustre une question d’actualité : la convergence entre préfabrication, matériaux biosourcés et ressources locales.
La préfabrication relève d’une logique industrielle ; elle nécessite une structuration en termes de méthode (bureau d’étude de l’entreprise) et de process (outil de production). Ces investissements sont possibles dans un schéma économique développant un certain volume de production. Dans ce flux, la matière est logiquement issue de la production industrielle. C’est grâce au développement des filières industrielles des isolants biosourcés qu’on observe aujourd’hui leur généralisation dans le bâtiment. En parallèle, l’émergence de démarches visant à utiliser des ressources locales semble peu compatible avec la préfabrication. Il est difficile de faire coïncider et de planifier avec certitude la disponibilité, la quantité et la qualité de la matière locale. Certes, la paille ne vient pas du champ d’à côté ; les agriculteurs locaux n’étaient pas en mesure de la fournir ni de la botteler, et le charpentier pas favorable à remplir les caissons sur site. Mais la provenance reste régionale (rayon de 150 km) ; les caissons sont en épicéa qui proviennent de forêt vosgiennes et transformés également dans un secteur géographique proche du projet.
Cette expérience confirme l’efficience des dynamiques encore naissantes qui interrogent la notion de « local » et d’échelles de territoire. A cet égard, une petite salle multi-activités de la plaine sous-vosgienne s’est construite sur ce point d’équilibre, en combinant du chêne communal, de la paille mosellane et l’outil productif et le savoir-faire d’un charpentier de la Déodatie. La préfabrication hors-site pour une architecture située ?
Hervé Probst | D’un point de vue constructif, la structure s’est voulue sobre et efficiente afin de maximiser l’usage de la paille. Les murs ossatures bois et le complexe de toitures sont constitués de caissons paille préfabriqués assurant le rôle de porteur et de diaphragme participant ainsi à la stabilité générale de l’ouvrage. L’épaisseur des murs et des caissons est fixée à 36 cm par la dimension intrinsèque de la botte. Dans les murs, nous n’avons effectivement pas besoin des 36 cm de section pour réaliser nos descentes de charges ; c’est pourquoi le recours à des poteaux en « I » reconstitués (bois massif assemblé par panneau bois) permet de réduire le mètre cube de bois dédié aux porteurs verticaux, tout en assurant une performance thermique maximisée. Dans les caissons, la typologie des rampants de longueur importante (projection horizontale de 10 m environ) a imposé un recours à des chevrons porteurs en lamellé collé d’épicéa vosgien, de dimension 120x360 mm, épousant ainsi l’épaisseur des bottes sans excès de matière. Les contraintes de descentes de charges ne nous ont pas permis de passer en bois massif dans les caissons malgré nos tentatives calculatoires. Les poteaux du hall central reprennent la descente de charges du faitage et sont donc nécessaires, associés aux bracons et aux refends, ils assurent la stabilité horizontale de l’ensemble.
Ce système de murs-caissons est complété par des refends intérieurs en murs à ossatures bois isolés en laine de bois ainsi que des pans de bois sur la zone de hall. Le contreventement du bâtiment est assuré par les panneaux OSB des caissons et des murs ossatures bois, de manière traditionnelle et en conformité avec le DTU 31.2. Les caissons agissent comme un diaphragme assurant la redistribution des efforts horizontaux jusqu’aux éléments de reprise verticaux. Des bracons de stabilité formant un réseau de diagonale permettent la non-déformabilité de l’ensemble refend-caisson. Sur la façade du préau, au vu de la présence du grand pan vitré, des croix métalliques permettent le contreventement.
Sur le préau les voliges sont posées en chevron, jouant le rôle de diaphragme horizontal, afin de permettre la transmission des efforts de stabilité agissant sur le préau au bâtiment principal.
François Brun | Ici, la forme du bâtiment, rectangulaire, avec une toiture à 2 pans et des menuiseries extérieures répétitives, était bien adaptée à la préfabrication des caissons. Seuls les 2 chiens assis ont demandé une attention particulière. Nous avons pu contrôler la mise en œuvre de la paille en caisson dans l’atelier du charpentier.
Ce type de bâtiment avec des matériaux biosourcés combustibles et sensibles à l’eau demande une étude très détaillée de la composition des parois et des cloisons, pendant la conception, pour prendre en compte les contraintes de sécurité incendie d’un ERP du 1er groupe, avec des usages multiples, et les contraintes d’une isolation performante. Les parois extérieures ont été vérifiées vis-à-vis du point de rosée avec un calcul Wufi (logiciel de simulation dynamique de comportement hygrothermique). Des parements intérieurs en bois ont dû être traités pour assurer une réaction au feu M1.
Mutualisation et polyvalence
Camille Rognon | Pour ceux qui ont grandi à la campagne ou dans les territoires périurbains, la figure de la salle des fêtes est un élément emblématique du quotidien d’un village. Multi-usage avant l’heure des réflexions contemporaines sur les espaces sous-utilisés et la réversibilité des bâtiments, cette typologie nécessite une conception adaptée aux fluctuations d’effectifs et d’activités. Comment avez-vous abordé ces questions dans les études et les échanges avec la commune ? Comment ne pas risquer qu’un espace pour tout ne marche pour rien ?
Marc-Olivier Luron | La commune était à la recherche d’un équipement polyvalent pour ses habitants mais également à l’échelle de son territoire. Cette polyvalence nous semble cohérente en milieu rural pour un espace qui n’est pas voué à recevoir des activités très spécifiques (culturelles ou compétitions sportives par exemple) et donc à mutualiser des usages associatifs et intergénérationnels. Typique de cette catégorie de bâtiment communal, le programme se compose d’une salle polyvalente (170m²), une bibliothèque (50m²) et un espace de réunion (40m²) distribués de manière distinctes par un hall commun. Ce hall (comprenant les sanitaires) peut desservir chacune des entités du programme de façon distincte. La salle de réunion est par ailleurs accessible séparément depuis l’extérieur. Des espaces de services et de convivialités sont associés à la grande salle de loisirs : préau, scène (intégrée dans une loggia pour laisser la salle libre d’usages variés), cuisine, bar, locaux rangements, etc.
Parmi les attentes initiales, nous avons renoncé à un parquet pour un espace de danse dans cette salle ; ceci pour des raisons économiques mais également car il allait à l’encontre de ce grand espace continu et polyvalent de la salle principale.
Par ailleurs, la salle doit être robuste et pérenne pour s’adapter aux usages et bien vieillir ; ce dernier point se traduit par le soubassement bois intérieur de la grande salle, résistant, acoustique et décoratif à la fois.
Aurélie Gonzalves | Si le projet devait pouvoir être multi-usages, la nécessité d’intégrer un accueil périscolaire est arrivée en cours d’études lorsque le maître d’ouvrage envisageait la création d’un futur projet d’école sur la même parcelle. Pour intégrer cette nouvelle fonction plusieurs scenarii d’usage ont été projetés notamment pour la partie fluides et des adaptations mineures ont dû être trouvées mais la demande initiale d’un équipement multifonction semblait déjà avoir répondu à la possibilité d’accueillir tout public.
La question de la réversibilité ou de l’évolutivité des bâtiments est un peu différente car elle nécessite d’anticiper un ou plusieurs usages qui succèderont à l’usage premier. Ici nous avions déjà un bâtiment destiné à accueillir de nombreuses fonctions plusieurs fonctions bien définies : une grande salle permettant d’accueillir principalement des petites compagnies de spectacles et les évènements rythmant la vie communale (distribution du litre de vin, repas des anciens…) mais aussi l’accueil des périscolaires en lien avec la cuisine disponible par le premier usage, et une bibliothèque à disposition des scolaires et des riverains. Les usages sont multiples et revêtent un caractère plus spécifique que la salle des fêtes pour ce projet ce qui a permis de bien dimensionner chaque espace.
Compacité
Camille Rognon | Au-delà de l’emploi de matériaux naturels, la compacité du volume traduit la volonté d’une économie de moyens. Alors que la commune avait pour ambition de construire un bâtiment passif, cela n’a finalement pas été cas. Quelles étaient les motivations de la maitrise d’ouvrage pour s’orienter vers ce type de conception et qu’est ce qui a conduit à abandonner cette dimension du projet ? Comment avez-vous abordé cette thématique ?
Marc-Olivier Luron | L’objectif d’un bâtiment passif, attente forte de la maitrise d’ouvrage, recouvrait un souhait de faibles consommations énergétiques ainsi qu’une recherche de subvention spécifique liée à cette performance. Ce point a rapidement posé des difficultés de conception : cette typologie de bâtiment ne se prête pas au passif car il est peu occupé et les scénarii d’usage sont peu précis (ces bâtiments sont exempts de la RE2020 pour ces mêmes raisons). Ainsi, les subventions n’étant pas atteignables, il a été privilégié un niveau très performant sans matériel labelisé Passif dans la conception bioclimatique.
Aurélie Gonzalves| Nous nous sommes donc concentré sur une conception bioclimatique intégrant plusieurs volets : la compacité du bâtiment permettant une efficience de son enveloppe thermique ; son orientation avec une large ouverture au sud ; le dimensionnement du préau offrant protection et apport solaires selon les saisons ; une réflexion sur la ventilation naturelle du bâtiment avec les deux émergences de toitures permettant un mouvement d’air par convection dans la grande salle ; la volonté d’avoir recours aux matériaux bio-sourcés et peu transformés autant que possible (paille, bardage bois en façade et habillage bois de la grande salle en bois massif). Nous avons également maintenu les niveaux d’exigence passif concernant la résistance thermique des parois isolées (les châssis sont en revanche passés en double vitrage) et l’étanchéité à l’air (finalement pas atteint en phase chantier à cause des châssis principalement). Les besoins en chauffage et en ventilation sont restés proches du passif sans pouvoir remplir l’objectif, le manque de régularité des effectifs faisant défaut même en y ajoutant la fonction périscolaire.
Le projet dépasse largement l’objectif règlementaire RT2012 applicable pour le périscolaire sans parvenir exactement à un niveau passif. Néanmoins les enjeux développés sur ce projet ont permis au maître d’ouvrage de décaler l’objectif passif vers une construction paille et bois local la plus vertueuse possible.
Questions
Camille Rognon
Réponses
François Brun (BTP Consultants), Aurélie Gonzalves (Contrechamps), Marc-Olivier Luron (Bagard & Luron), Hervé Probst (Barthes Bois)
Iconographies
Bagard & Luron, Barthès Bois, Ludmilla Cerveny, Aurélie Gonzalves, Marc-Olivier Luron, Camille Rognon