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Au Ghana, énergie collective et terre de site
Rachel Méau Maude Cannat | 27 février 2025

Introduction
qui Association Eskaapi (Maude Cannat et Rachel Méau, architectes)
quoi Construction d’une bibliothèque scolaire
où Abetenim, région Ashanti, Ghana
quand Lauréates de la 4th Earth Architecture Competition : juillet 2016 ; études : automne-hiver 2016 ; chantier participatif : mars-juin 2017 ; livraison : 2017
comment Pisé porteur en terre de site, charpente en bois local, couverture en tôle d’acier, planchers et mobilier en bois de réemploi
pourquoi Création d’un groupe scolaire dans le village pour raccourcir les distances de marche
pour qui Les enfants du village d’Abetenim
par qui Association Eskaapi + 10 ouvriers locaux + 30 volontaires internationaux (une quinzaine permanents et une quinzaine répartis sur trois mois)
avec qui Fondation NKA
combien Surface : 164 m² ; Coût de travaux : 9 000 € (2 000 € via NKA, 4 500 € en financement participatif, 2 500 € par les frais d’inscription des volontaires internationaux)
En 2016, Maude Cannat et Rachel Méau (association Eskaapi) sont lauréates de la 4e édition du concours international Earth Architecture Competition avec un projet de bibliothèque en pisé pour le village d’Abetenim, au Ghana. Conçu depuis la France, puis coordonné bénévolement sur place pendant plusieurs mois par les deux architectes françaises, ce bâtiment construit en terre de site, sans eau ni électricité, a fait se rencontrer et collaborer des artisans locaux avec des volontaires internationaux. Sans tabou ni naïveté, Topophile a souhaité interroger ses conceptrices sur les enjeux techniques, écologiques, sociaux et politiques de ce projet ambitieux, porté par une volonté de revalorisation locale des savoir-faire de la terre crue et de l’intelligence collective.
Contexte
Nolwenn Auneau & Sarah Ador | Pouvez-vous nous parler de la maîtrise d’ouvrage et du mode de financement de ce projet ?
Maude Cannat | Le concours Earth Architecture Competition est une initiative de la fondation NKA, ONG étatsunienne qui a été créée en 2005 par Barthosa Nkurumeh, artiste et éducateur formé au Niger. La vocation de celle-ci est de promouvoir le développement humain à travers les arts sur le continent africain, principalement au Ghana et en Tanzanie, en particulier via le projet Art Village Network, lancé en 2008 avec l’idée de créer une synergie de développement socio-culturel entre communautés rurales, avec l’aide de volontaires internationaux. Abetenim est l’un des villages ghanéens qui participe à ce réseau.
Le financement de l’ensemble des projets mené par NKA, dédié à l’achat des matériaux et au salaire des ouvriers locaux, est normalement assuré par les frais d’inscription des volontaires internationaux. Pour notre part, nous avons préféré allouer au chantier la récompense financière obtenue en tant que lauréates du concours, décidé de mener ce chantier à titre bénévole, et organisé un financement participatif dont le succès a permis de diminuer nettement la part des volontaires.
Quelle relation cette ONG américaine entretient-elle avec les décideurs et habitants locaux ?
Rachel Méau | Dans le village d’Abetenim, le relai local de l’ONG – qui était notre interlocuteur principal – se nomme Franck Appiah Kubi : il est le directeur de l’école, également chargé de l’accueil, de l’accompagnement et de l’encadrement du projet du Art Village où tous les volontaires internationaux sont logés. C’est une personne motrice dans le développement de son village, particulièrement l’accès à l'école pour toutes et tous. S’il est porté par NKA et non directement par les acteurs locaux, le concours que nous avons remporté s’inscrit dans le cadre de besoins préexistants. Dans notre cas, la volonté de construire un nouveau groupe scolaire (dont la bibliothèque est l’un des bâtiments) est une initiative de Franck Appiah Kubi en lien avec le conseil du village, qui est décisionnaire dans toute décision nouvelle d’implantation à Abetenim. C’est l’idée d’y promouvoir spécifiquement l’usage de la terre crue qui est portée par NKA depuis les Etats-Unis.
Le chef de village accueille chaque nouveau groupe de constructeurs ainsi que les volontaires de chaque équipe. Tout au long du chantier, nous avons ainsi eu sa visite et celle de plusieurs membres du conseil, de la famille des ouvriers ainsi que des habitants souhaitant se tenir informés de notre avancée.

Quelle est la relation de votre projet de bibliothèque avec le village et son quartier artistique international ? Comment ce dernier est-il approprié localement ?
Maude Cannat | Le village d’Abetenim est situé dans la région Ashanti, proche de Kumasi, deuxième ville du pays. Abetenim Arts Village, fondé en partenariat avec la fondation NKA, en est une extension construite par des bénévoles internationaux au fil des années. L’ambition à l’origine de ce lieu était d’en faire un accueil pour les artistes locaux, un espace d’échanges culturels et d’apprentissage. Malheureusement, il semble qu’il y ait eu peu de moyens et de communication autour du projet et que son usage n’ait pas vraiment abouti. Il est aujourd'hui composé de bâtiments assez éclectiques, servant actuellement principalement de logements pour les volontaires, organisés autour d’un édifice qui tient lieu de pièce commune et de réfectoire pour ces derniers. Ce quartier a au moins été un formidable lieu d’expérimentation et de transmission de savoir-faire techniques entre les villageois, les ouvriers sachants et les équipes de volontaires internationaux. Mais cette fois-ci, le concours de NKA ne portait pas sur cette partie du village. Le projet de nouveau groupe scolaire, qui comprenait notre bibliothèque ainsi que trois classes et leurs sanitaires, est situé à 5 min de ce site, le long de la voie d’accès au village principal. Il a pour but d'éviter aux enfants de parcourir les 6 km qui les séparent du bourg d’Effiduase, centre culturel et politique local où se trouvait jusqu’alors l’école la plus proche, ce qui décourageait les familles d’envoyer les enfants au-delà du primaire.
Le lieu, vu de loin, vu de près
En candidatant depuis la France, quelles étaient vos connaissances à propos du village et du site de construction et comment celles-ci ont-elles influé sur vos intentions de projet ?
Rachel Méau | Nous avons eu connaissance du concours dans les entrefilets du magazine Ekologik. La fondation NKA avait communiqué aux candidats un programme de groupe scolaire comprenant des surfaces et des usages ainsi qu’une esquisse de plan masse. Nous avons d’emblée opté pour la bibliothèque, d’une part parce qu’elle confondait tous les niveaux scolaires mais aussi parce qu’elle occupait une place centrale dans le projet. Ce programme faisait aussi écho à notre goût commun pour les mots, les livres, la frontière ténue qu’ils créent entre le monde réel et imaginaire, mais plus généralement l’échange et l’apprentissage.
Il était indiqué qu’une dizaine de chantiers internationaux avaient déjà permis d’expérimenter la terre crue dans le village. En méconnaissance du terrain mais sachant que la ressource terre était ainsi motrice du projet de la fondation, nous avons consacré notre réflexion constructive à la meilleure façon de mobiliser la terre du site. Nous avons délimité les espaces intérieurs par des différences de niveaux topographiques créant gradins, patio, assises, espaces à plusieurs usages, nous affranchissant ainsi de tout cloisonnement. Notre linéaire de mur périphérique en terre crue se devait d’être réalisé avec le volume de terre excavée par la topographie de notre architecture. Nous ne connaissions cependant pas la morphologie réelle du terrain, ses plantations, son orientation et avons donc été contraintes de travailler sur un terrain abstrait, ex-nihilo. La simplicité du volume créé, sur une base carrée, le rendait néanmoins assez facilement adaptable à tout type de terrain.
Maude Cannat | Etant respectivement riches d’expériences de plusieurs mois en Afrique de l’Ouest (Cameroun et Bénin), nous avons cherché à intégrer dans le projet des caractéristiques architecturales que nous avions pu y rencontrer, en considérant les dissemblances de contextes. Quand notre projet a été annoncé lauréat, nous avons échangé à plusieurs reprises avec des équipes précédemment investies sur place ainsi qu’avec Frank Appiah Kubi, pour mieux comprendre les enjeux locaux et tenter de tirer profit des retours d’expériences préalables.
Ce n’est qu’une fois sur place que vous avez pu embrasser la réalité du lieu, d’un point de vue géographique, technique et économique. Comment cela a-t-il modifié le projet ?
Maude Cannat | Nous avions à cœur d'utiliser les matériaux locaux et les plus naturels possibles. Cela n'a pas toujours été possible, notamment concernant la toiture de la bibliothèque. Pendant la phase de concours, nous nous étions renseignées sur la possibilité de réaliser une toiture traditionnelle en feuille de palme. Malheureusement le savoir-faire s'étant perdu, nous avons opté pour un matériau disponible localement et plus facilement réparable : la tôle. En intégrant cette contrainte dès les premiers dessins par un décollement du toit et une ventilation soigneusement étudiée, nous avons évité les risques de surchauffe liés à ce matériau.
Le projet conçu sur la base du plan masse de concours a aussi dû être adapté au moment de notre découverte du terrain d’implantation. Par chance, nous nous étions relativement préparées à devoir faire évoluer nos dessins. Deux jours avant l’arrivée des volontaires, nous avons découvert que le terrain plat et arboré que nous avions imaginé en phase de concours était en réalité pentu et dépourvu d’orangers, tout juste brûlés avant notre arrivée. Cette surprise nous a contraintes à repenser une partie du projet, et à recalculer nos volumes de terre excavée. Le volume creusé nous a finalement seulement permis de réaliser les murs périphériques, tandis que les murs du patio ont demandé un apport de matière supplémentaire, creusé ailleurs sur le terrain.
Rachel Méau | Il y a aussi eu un enjeu sur l’implantation de la bibliothèque, qui était conditionnée par celle des futures classes. Or, celles-ci devaient être construites par d’autres équipes, dont l’arrivée était prévue six mois plus tard. Dépourvues d’indications, nous avons dû tenter de préfigurer l’ensemble pour placer et orienter la bibliothèque au mieux.
C’est aussi l’absence de certains outils ou le caractère aléatoire des délais d’approvisionnement qui nous ont aussi obligées à nous questionner sans cesse sur le projet pendant le chantier. Puisqu’il était impossible de tout anticiper, je dirais que c’est la conception d’un bâtiment simple et clair qui nous a permis d’absorber sans trop de difficultés les modifications nécessaires à la sortie de terre de la bibliothèque.
Utiliser la terre de site
Sur place, vous avez expérimenté plusieurs mélanges à base de terre crue pour atteindre le plus adapté à la technique du pisé. Quel était la perception et l’état des connaissances des habitants et ouvriers locaux sur la construction en terre ?
Rachel Méau | Les chantiers internationaux de NKA sont des chantiers-écoles pour les ouvriers locaux et pour les volontaires venant du monde entier. Tout le monde apporte donc une certaine connaissance de la matière terre ainsi que des envies d’expérimentation. Certains ouvriers locaux avec lesquels nous avons travaillé avaient déjà construit en terre ou spécifiquement en pisé, d’autres découvraient la technique. Les deux premiers jours, ne pouvant circuler librement faute d'avoir encore été présentées au chef du village, nous avons mis à profit le temps d’attente pour explorer tous les projets construits en pisé dans le Art Village et étudier les techniques de chacun. En mariant nos connaissances, nos observations sur site et les compétences des ouvriers locaux, nous avons pu déterminer l’équilibre que nous voulions obtenir dans la matière, la hauteur des lits, la teneur en eau, etc. L'expérimentation de plusieurs mélanges en début de chantier, avec les volontaires, a permis de confirmer le choix définitif des proportions et de faire une première introduction commune aux différents profils de constructeurs mobilisés.
Maude Cannat | En France, nous n’avions jamais pratiqué la mise en œuvre du pisé autrement qu’avec des banches en bois, et pensions initialement procéder de même. Or, mené par des italiens, le précédent chantier international avait été réalisé avec des banches métalliques. Dans un souci de sobriété et de potentiel réemploi pour les villageois à l’issue du chantier, nous avons demandé au ferronnier du village de fabriquer un deuxième set identique, et nous avons utilisé les deux en nous accommodant de leurs dimensions et formes (sauf pour le patio où nous avons utilisé des banches en bois). Pour l’anecdote, l’esthétique ne nous a pas tout de suite plu car cela créait une délimitation très marquée entre chaque banche. Nous avons alors eu l’idée d’ajouter des montants verticaux en bois dans les coffrages pour brouiller la lecture des jonctions. Nous n’avons toutefois pas poursuivi ce protocole qui complexifiait beaucoup l’action du pisoir. L’aspect blocs a finalement été assumé.
Avez-vous finalement « stabilisé » la terre et pourquoi ?
Maude Cannat | Notre projet étant partiellement enterré dans la pente, nous avons collectivement décidé d’ajouter 5% de ciment dans le mélange de la première levée périphérique uniquement, ce qui représentait 50 cm sur près de 3 m de hauteur totale. Nous ne voulions pas faire monter trop haut les fondations en béton, notamment pour des raisons de ressource en eau. Stabiliser la première levée de terre pisée a permis de conserver l’allure du pisé dès la base, tout en assurant au mur la résistance nécessaire en assise. Cela a également permis de rassurer certains habitants, inquiets à l’idée de construire entièrement en terre crue. A choisir, nous aurions préféré stabiliser à la chaux plutôt qu’au ciment, mais à ce sujet, nous étions tributaires de l’approvisionnement local. Il existait une usine de ciment à proximité, là où la ressource en chaux (quoi qu’employée localement pour les routes d’après Franck) était disponible uniquement du côté d’Accra, soit à plus de 300 km.
Provenance des bois
Vous avez aussi utilisé du bois, pour la charpente notamment. A quel point avez-vous pu maîtriser le processus d’approvisionnement de ce matériau, et des autres ?
Rachel Méau | Entendant le bruit des tronçonneuses dans la jungle environnante après chaque commande de bois, nous savons qu’il était très local, mais nous n’avons jamais pu obtenir le nom des deux essences que l’on nous fournissait. Le bois nous était livré au jour le jour, au gré du travail des bûcherons et de la scierie. Très vert, nous l’entreposions à plat – dans la mesure du possible – pour le laisser sécher un tant soit peu avant de l’utiliser. La première essence, qui nous a parue plus souple, a été réservée aux ouvrages de coffrage de fondation, au pisé du patio et à l’embrasure des fenêtres. La seconde, plus résistante et bien dure à scier à la main, a été allouée à la charpente et au mobilier intégré aux murs.
La ressource étant précieuse et le budget limité, nous avons décoffré avec grand soin les fondations afin de réutiliser le bois pour le plancher d’une partie de la bibliothèque. Les portes et une partie du mobilier ont également été réalisées avec des chutes de bois sourcées sur les chantiers voisins. Abetenim étant un village un peu reculé, l'approvisionnement sur site des matériaux autres que la terre était fluctuant selon les fournisseurs, ou dépendant du passage d'un véhicule dans le village. Nous avons rapidement appris à anticiper au maximum les commandes et à composer avec les aléas des livraisons. Quand nous avions besoin d’un outil précis, nous prenions le taxi jusqu’à la ville voisine et arpentions le marché pour trouver la pièce en question.
Faire sans eau ni électricité
Quel a été l’impact de l’absence d’eau courante et d’électricité sur votre chantier ?
Maude Cannat | Nous avons été informées de cette donnée à l’issue du concours. Cela a confirmé notre choix d’employer la technique du pisé, économe en eau. La réalisation des fondations en béton a au contraire été une contrainte permanente sur place, étant quant à elle consommatrice en eau. Pour s’approvisionner, nous avons été aidés par les femmes du village, qui devaient marcher une quinzaine de minutes, chargées de lourdes bassines sur la tête et parfois de bébés sur le dos pour atteindre la source. L’effort nécessaire pour accéder à la ressource l’a rendue d’autant plus précieuse et a fortement conditionné notre manière de l’utiliser.
L’absence d’électricité nous a quant à elle amenés à réapprendre le maniement des outils manuels (scie égoïne, vilebrequin, pisoir, etc) mais a également généré une entraide constante sur le chantier : relais à plusieurs pour scier le bois dur, compétition à qui clouerait le plus rapidement, échanges sur l’efficacité d’une technique par rapport à une autre… Le calme d’un chantier dénué du bruit de fond de moteurs de machines a également favorisé les discussions et la concentration tout au long du travail. La créativité était également de mise pour pallier le manque de certains outils : ainsi nous avons réparé maintes fois des brouettes, fabriqué différents modèles de pisoirs, créé des mécanismes pour plier les ferraillages manuellement, utilisé les cerveaux de toute l’équipe pour fabriquer une banche sur-mesure pour le patio… Une réelle synergie et coopération était manifeste tout au long du chantier entre les ouvriers, les volontaires et nous.
Chantier international
Le chantier a mobilisé des volontaires internationaux et des autochtones : quel était le profil de ces deux types de participants ? Comment avez-vous coordonné cette équipe aussi diverse que changeante ?
Rachel Méau | Nous avons eu six mois pour recruter les volontaires internationaux en amont du chantier. Nous avons reçu énormément de demandes pour des séjours allant de dix jours à la durée totale du chantier. Nous avons donc organisé les présences de chacun en fonction des temps forts de la construction, tout au long des quatre mois sur site. Nous avons accueilli Français, Uruguayens, Allemands, Sud-coréens, Canadiens, Sud-africains, Italiennes, Péruviennes, Argentins, … Pour avoir une partie d’équipe stable face aux multiples allées et venues des internationaux, un noyau dur de quatre habitants du village – pour partie expérimentés en pisé et en charpente – nous a accompagnées tout le long du chantier. Selon les besoins et les périodes de chantier, l'équipe se complétait de 7 ou 8 ouvriers supplémentaires du village. Notre présence quotidienne sur site nous a permis d’assurer la continuité de l’information des ouvriers aux volontaires. Au fil des jours, nous apprenions à connaître les appétences des uns et des autres et savions proposer les tâches en fonction. Nous étions le plus souvent possible les outils en main, mais notre présence était régulièrement sollicitée par les questions fusant d’un bout à l’autre du chantier. Nous avons beaucoup apprécié qu’un certain nombre d’ouvriers et de volontaires soient présents du début à la fin du chantier, ce qui a créé une équipe soudée, connaissant les problématiques rencontrées, et à qui nous pouvions quelquefois déléguer entièrement des tâches. Mais nous avons tout autant apprécié les nouvelles arrivées, qui apportaient un regard neuf et un regain d’énergie, voire de nouvelles idées techniques.
Maude Cannat | Pour vous donner une idée de journée type : nous commencions la journée vers 6h30 avec l’équipe ghanéenne, puis les volontaires nous rejoignaient vers 8h30-9h. Nous faisions une pause de 12h30 à 16h, pendant les fortes chaleurs : ce moment sonnait la fin de journée pour les ouvriers ghanéens. En fonction de notre avancée, nous retravaillions jusqu’à 18h avec les volontaires les plus motivés pour poursuivre le travail du matin ou préparer la journée suivante. Nous communiquions principalement en anglais [langue officielle du Ghana ; NDE], en y mêlant des bribes de twi, le dialecte local. Il a été utile d’apprendre le nom des outils en twi par exemple, pour bien se comprendre au démarrage. Pour la transmission de l'histoire du chantier entre tous, nous avons également créé et fait circuler tout au long du séjour un journal de bord nommé The Book, qui a été rédigé comme un cadavre exquis, par une personne différente chaque jour. Chacun y apportait un texte ou un dessin, une poésie, une recette, … Chaque soir, tous réunis autour de la table, nous adorions découvrir la contribution de la veille, avant que le journal soit confié à la personne suivante, chargée de conter le lendemain.
Légitimité occidentale ?
Avec le recul, que pensez-vous de ce type d’implication occidentale sur l’autonomie d’une petite localité africaine ? Comment les habitants ont-ils perçu cette aide reçue de l’extérieur ? Quel rôle, quelle légitimité, quelle plus-value apporte-t-on en tant qu’architectes européen·nes dans des contextes aussi éloignés du nôtre ?
Maude Cannat | Un des moments critiques du chantier permet de vous apporter de premiers éléments de réponse : il faut savoir que des mouvements politiques locaux ont interrompu le projet en chemin, ainsi seules la bibliothèque et trois classes ont été construites pour l’ensemble scolaire à Abetenim. Les autres projets prévus initialement ont été relocalisés par la fondation NKA sur un autre village où l’absence de tension politique locale était plus favorable. Les raisons nous échappent encore aujourd’hui car la majorité des échanges entre le chef du village, le chef du canton et Franck avaient lieu en twi. Il nous traduisait les choses a posteriori, tandis que nous essayions parallèlement de comprendre la situation en échangeant avec les villageois.
En dehors de cet incident, les habitants ont généralement été favorables à notre venue pour plusieurs raisons : l’opportunité d’échanges interculturels, la mixité des générations, l’alternative professionnelle représentée par ce chantier vis-à-vis d’un poste ouvrier dans l’usine d’huile de palme voisine… En un sens, il y avait une certaine impression partagée entre les habitants que leur village n’était pas « oublié » du monde. D’autre part, instituteurs et parents voyaient d’un bon œil la possibilité offerte pour les enfants de poursuivre leurs études dans le village.
Rachel Méau | Avec le recul, il est difficile d’avoir un avis tranché sur la question de l’impact de la présence occidentale dans ce type de projet. En traversant tout un continent pour venir construire – bénévolement de surcroît – dans un village ghanéen, nous avons participé, malgré nous, à transmettre une image de l’occident riche, qui a les moyens de vivre sans salaire pendant plusieurs mois, quand ici la vie est au jour le jour. Nous avons dessiné et construit un bâtiment avec tout de même peu de connaissances préalables du site et des enjeux du lieu, ni des conflits politiques locaux. Bien que nous ayons beaucoup échangé sur place et fait évoluer le projet en fonction, nous avons « imposé » notre vision de l’architecture dans le village. Cependant, ce concours nous a offert une opportunité que nous n’aurions jamais eue en France : dessiner, concevoir et construire un projet dans son entièreté à la sortie des études, avec une volonté écologique marquée et l’usage de ressources locales.
Mais surtout, notre ambition était la transmission de savoir-faire et la valorisation de la construction en terre crue. Sur ces points, le chantier a été une réussite. Il a permis à certains villageois sans qualification d’apprendre des techniques constructives spécifiques, et à d’autres déjà compétents de confirmer leurs aptitudes. Et il a assuré un revenu régulier pendant quelques mois aux ouvriers du chantier. Il a offert l’opportunité notamment au charpentier de travailler à plein temps pendant un mois, en s’essayant à d’autres assemblages que ceux auxquels il était accoutumé. Les banches métalliques fabriquées pour le projet ont été laissées à Abetenim et nous savons qu’elles ont resservi par la suite pour la reconstruction de certaines maisons du village grâce au renouveau des savoir-faire partagés entre villageois. Au moins deux ouvriers de notre chantier ont, suite au projet, créé leur propre entreprise de maçons terre itinérants. Enfin, la bibliothèque a participé à redonner une image contemporaine et confortable de la construction en terre, trop souvent délaissée pour le parpaing, comme partout dans le monde.
Questions
Réponses
Maude Cannat & Rachel Méau (Association Eskaapi & Atelier Tikaal)
Iconographie
Eskaapi