ville éducation bois paille préfabrication
Paris : une école polymorphe en cœur d’îlot
Axelle Acchiardo Corentin Desmichelle | 8 juin 2020
Introduction
qui LA Architectures (Mandataire) & Atelier Desmichelle (Associé) | Chef de projet étude : Alexis Hagard | Chef de projet chantier : François Gendre
quoi École maternelle de six classes | 1 753 m² SDP
où 90 boulevard Vincent Auriol, Paris XIIIe
quand Concours : juillet 2015 | Chantier : août 2017 | Livraison : août 2019
comment Planchers et toitures en CLT | Murs à ossature bois et isolation en paille et laine de bois | Voiles de refends en béton armé et poutres acier ponctuelles | Menuiseries triple vitrage mixte bois-aluminium | Toitures végétalisées | Infiltration naturelle des eaux pluviales | Second-œuvre majoritairement bois (faux-plafond, cloisonnement, escalier en bois massif, etc.) et briques de terre cuite artisanales
pour qui SEMAPA (client et aménageur) et les écoliers du XIIIe arrondissement de Paris
avec qui Atelier Volga (Paysagiste) | Gaujard technologie scop (Structure bois et façades en matériaux biosourcés) | Mecobat (Structure béton et VRD) | AI Environnement (Fluides et HQE) | Ecallard Economiste (Economie) | CdB Acoustique (Acoustique) | Quassi (CSSI) |Urbaine de travaux (Entreprise générale mandataire) | Goubie Charpente (Entreprise cotraitante) | Les ateliers de Reims (Menuiserie) | Menuiserie André (Menuiserie)
combien 5 900 000 euros hors taxe
En cœur d’îlot
Vous participez avec cette école maternelle à une opération d’aménagement plus large portant sur un îlot entier occupé auparavant par une école de plain-pied. Qu’est-ce qui a motivé la démolition de cette école originelle, la densification de l’îlot et son remplacement par une nouvelle construction ?
En effet, la parcelle du 90 Boulevard Auriol a été occupée par une petite école provisoire, posée sur une butte arborée. Le site présentait des dénivelés importants et non conformes aux normes d’accessibilité. La très forte densification de l’îlot répond au besoin de création de logements abordables à Paris. L’opération urbaine a été initiée au printemps 2013 par la Mairie, et portée par la SEMAPA, aménageur et maître d’ouvrage de l‘école.
L’école est implantée entre deux hauts pignons, en fond de parcelle, au cœur de l’îlot. Pourquoi ? Comment s’organise-t-elle ? Comment s’articule-t-elle avec les parcelles voisines d’une part et la ville d’autre part ?
Le choix de l’implantation de l’école sur cette parcelle, sa forme polymorphe et sa position dans l’îlot est une proposition de la maîtrise d’œuvre urbaine Urban-Act + Transfaire. Cette configuration particulière (cour sur rue et école en cœur de parcelle) a fait l’objet d’un « vote » de la part des riverains qui ont plébiscité cette implantation parmi les trois proposées. La réussite de ce projet urbain tient, selon nous, à la qualité du dialogue mené par les équipes en charge du projet urbain (mairie, aménageur, urbaniste, AMO HQE). L’opération est dense, certes, mais elle s’ancre dans une logique environnementale, végétale et volumétrique vraiment pertinente dans ce quartier.
La position de l’école, de prime abord, n’apparaît pas favorable : encadrée par des immeubles d’habitation assez hauts, en recul par rapport à la rue, avec des masques solaires importants, et cette obligation d’implanter la cour à plus de 8 mètres des fenêtres des logements mitoyens… Mais en fait, cette implantation imposée nous a poussés dans nos retranchements, et nous nous sommes appuyés sur les biais de la parcelle, sur les systèmes végétaux arborés existants et futurs, et sur les objectifs environnementaux pour écrire une histoire, penser une architecture basée sur le mouvement, le parcours et le rapport à la lumière et à la nature.
En matériaux biosourcés
Vous avez choisi une structure préfabriquée essentiellement en matériaux biosourcés (bois, paille). Quels sont les avantages et les inconvénients d’une telle construction en zone urbaine dense ?
Le système constructif bois-paille du bâtiment est ici favorable à cette notion de stockage ‘carbone’. L’empreinte écologique du bâtiment est donc diminuée.
Le projet est également inscrit dans des démarches de certification HQE et de conception passive. À cette fin, l’enveloppe du bâtiment est très performante, tout en préférant des matériaux nobles d’un point de vue environnemental. Cette conception répond aux axes de développement portés par la SEMAPA en 2015, lors du concours :
• La biodiversité, destinée à inscrire le projet de manière exemplaire dans les continuités entre les différents espaces verts voisins ;
• La qualité de l’air intérieur, compte tenu de la proximité du boulevard et du métro aérien et compte tenu de la nature du programme ;
• Un bilan carbone faible du projet, en portant une attention particulière aux énergies grises de construction et de fabrication.
Cette exigence assumée, accompagnée et financée nous a permis de réaliser un projet efficient et à très haute qualité environnementale dans tous ces aspects.
Cette opération démontre, comme tant d’autres, que construire en bois et isolants biosourcés en milieu urbain dense peut se faire aussi aisément qu’en milieu rural. Il y a des différences bien sûr en termes de process (marché de travaux en entreprise générale) et d’approvisionnement (c’est moins local que des circuits courts en milieu rural), mais globalement ce sont des questions techniques qui se résolvent assez bien.
En biais
Le bâtiment a de nombreux angles obtus, adoptant ainsi une géométrie et une structure « compliquées ». Pourquoi ? Comment concilier sobriété, complexité et originalité ?
La parcelle de l’école présente une forme polymorphe. Y penser un projet à angle droit, rationnel structurellement – c’est-à-dire avec une structure qui « plombe » – n’était pas envisageable pour nous. Ici, la fiche de lot bouscule le schéma préconçu d’une école alignée sur rue et repliée sur elle-même. Ici, l’école est le cœur d’îlot. Elle occupe l’espace central, et est plongée dans un système centripète qui dépolarise complètement ses façades et distend ses espaces.
Il nous fallait donc répondre à ce contexte urbain par une architecture topographique, géographique en soutenant les ambitions environnementales fortes du programme : porosité, continuité végétale visuelle et physique, qualité lumineuse des espaces.
Ne pas enfermer le projet et les vues : ouvrir les angles, chercher les profondeurs de champs et de vues vers l’extérieur. Les biais favorisent les cadrages et la multiplicité des points de vue, ouvrent les angles et effacent les polarités…
La sobriété ne se recherche pas que dans la simplicité structurelle. Et une architecture complexe n’est pas forcément une architecture « énergivore ». Nous avons cherché le juste équilibre, mais avant tout, ce projet est généré depuis l’intérieur. Il est pensé pour que depuis chaque espace, chacun ait une relation à l’extérieur privilégiée. C’est important en ville de ne pas se sentir enfermé…
En terrasses
Entre deux squares (public de l’autre côté de la rue, et privé au cœur de la résidence voisine) et surplombés par ses voisins, les différents toits-terrasses de l’école ont fait l’objet d’un travail particulier et sont largement plantés. Pourquoi et comment cela a-t-il été mis en œuvre ?
L’inscription urbaine définit par Urban-Act pour cette école a été pensée en relation très forte avec les espaces verts existants du quartier : le square Gustave-Mesureur et le jardin privatif résidentiel situé plus au nord de l’opération.
On peut dire que l’école est le pendant de ces espaces à l’échelle de l’îlot : des immeubles de logements assez hauts encadrent des espaces plantés plus bas, qui forment des ‘corridors’ verts entre ces immeubles… Ainsi, notre propos volumétrique a été d’amplifier l’effet « terrasses » du projet, en faisant en sorte que chaque étage forme une terrasse plantée…
L’école est pensée en strate végétale, avec une terrasse sur RDC qui sera une terrasse largement plantée et arborée (on a prévu des fosses de plantation sur le toit), puis une terrasse sur R+1 avec des massifs de petits arbustes et vivaces plus bas, et enfin, sur le toit du volume R+2, une terrasse plantée type « sedum » plus classique. Chaque écosystème végétal répond ici à une fonction différente, et à la nature des vues qui le surplombent.
En support de
À l’inverse la cour de récréation, bien que cœur battant de l’école, apparaît largement minérale. Lieux de jeux et d’évasion, de quelle attention a-t-elle bénéficié ? Quels imaginaires suscite-t-elle ?
La cour de l’école se développe sur la rue, pour autant, elle n’est pas visible depuis celle-ci.
En effet, pour des raisons de sécurité, les murs qui l’encadrent sont assez hauts. Finalement, elle est comme un grand patio… On a envie de s’y allonger pour regarder le ciel quand on y est… La surface de la parcelle étant très contrainte, et la cour assez petite (600 m²), il fallait réserver au sol, au RDC, une surface suffisante pour la pratique des jeux, etc. La présence végétale se fait en bordure de la cour, sur le pourtour et en ponctuation, avec des arbres plantés au milieu. Son sol est clair (pour limiter les surchauffes), un îlot avec un sol souple et des jeux en bois trône comme une île au milieu de la cour, et les murs « habités » au nord intègrent de petits évènements : un mur noir à craie, des assises, une fontaine à eau, des nichoirs à oiseaux, etc.
Plus globalement, en quoi cette architecture accueille et honore les enfants ? Comment le point de vue enfantin a-t-il été pris en compte ?
Cette école maternelle a été pensée pour accueillir des enfants de 3 à 6 ans, mais sans pour autant réduire l’architecture à leur échelle. Nous avons travaillé à une architecture intérieure sobre et neutre qui doit juste accompagner et poser un cadre vierge et rassurant pour les parents, les enfants et le personnel. C’est à eux par la suite de s’emparer du « support » qui leur est donné pour faire vivre cette école. L’idée était de proposer une architecture fonctionnelle, des espaces « support de ». On a puisé dans nos propres expériences spatiales et temporelles en tant que parents, on s’est inspiré de nos propres enfants aussi, et on s’est remémoré notre enfance. À chaque fois que l’on posait le crayon pour penser un mur, un parcours, un espace, on se disait : « ok, je suis un parent, qu’est-ce que je veux voir, quel temps je mets pour aller chercher mon enfant ? » ou encore, « si ma fille était inscrite dans cette école, où accrocherait-elle son manteau ? Comment fait-on pour lui proposer un déjeuner apaisé, une parenthèse dépaysante dans sa journée ? ». Bref, il s’agissait ici de penser l’espace dans une notion de temporalité, d’usages et d’actions.
Questions
Martin Paquot
Réponses
Axelle Acchiardo (LA Architectures), Corentin Desmichelle (Atelier Desmichelle)
photographe
Charly Broyez