Introduction

Soyons clair et net : je propose d’inventer un verbe, qui manque à notre langue : le verbe « améniser ». Que signifie-t-il ? Rendre amène — c’est-à-dire aimable, agréable, hospitalière — la ville et tout particulièrement ses rues. Celle-ci sont les antichambres des logements.

Je sors de chez moi et j’entre en ville. Parfois, j’ai l’impression d’être un nageur qui du bout du pied prend la température de la houle, avant d’épouser le mouvement des vagues. À d’autres occasions, je plonge sans hésitation dans le courant des piétons, adopte son rythme, avant d’assurer ma propre vitesse et d’effectuer un véritable slalom, doublant les uns, évitant les autres ! Je me faufile entre des potelets (« potelaids » !) et une corbeille à détritus. Le mobilier urbain est souvent disposé contre les piétons, je me demande toujours qui décide de leur emplacement imbécile.

Une camionnette est grimpée sur le trottoir. Combien de fois, je m’imagine poursuivre mon trajet et marcher sur l’obstacle comme si de rien n’était ! Il serait absurde de condamner l’automobile sans lui substituer d’autres moyens de circuler : la livraison à domicile ou à un point communal (dans le cas des villages et des zones pavillonnaires), le télétravail volontaire, le covoiturage, le retour des commerces en ville ou dans les bourgs, la généralisation de l’auto-stop, les taxis collectifs, le minibus municipal à la demande, davantage d’arcades pour protéger les piétons de la pluie et du soleil, comme à Bologne) et de chemins hors des routes dans les campagnes urbanisées, etc..        

« Rendre amène — c’est-à-dire aimable, agréable, hospitalière — la ville et tout particulièrement ses rues. »

Rejetant la géométrie disciplinaire de l’architecture et de l’urbanisme modernes, les Situationnistes — une poignée de jeunes aux idées radicales — pratiquent dans les années 1950, au nom de la psychogéographie, la dérive urbaine et le détournement des publicités, en attendant de construire des « situations » dans New Babylon, espace dédié aux jeux, rencontres, ambiances… Jane Jacobs plaide en 1961 pour un renouveau des rues des grandes villes américaines. René Schoonbrodt créé en 1969 l’Atelier de recherche et d’actions urbaines à Bruxelles, puis invente les « promenades urbaines » en 1972 et élabore une poignée d’années plus tard un « code de la rue ». Françoise Choay examine les usages de la rue au cours des siècles dans Espacements (1969). Pierre Sansot élabore une Poétique de la ville  (1973). Jean-François Augoyard propose dans Pas à pas. Essai sur le cheminement quotidien en milieu urbain (1979) une appréhension sensible de nos parcours. David Le Breton fait L’Éloge de la marche (2000) et plus tard Jérémy Gaubert théorise une Philosophie du marcheur (2021). Les idées ne manquent pas pour imaginer des lieux urbains créatifs, inventifs, aimables, appréciés des citadins, quelque soit leur âge, sexe, attentes et activités !

Stimulons les six sens (l’ouïe, la vue, l’odorat, le goût, le toucher et le mouvement) avec de subtils ménagements (du verbe ménager qui signifie « prendre soin »), tout en cultivant l'imprévu, la turbulence, la transgression. Les élu·e·s manquent cruellement d’audace et d’inventivité, adoptent les modèles standards, au lieu de privilégier le cas par cas, le sur-mesure, le fait-avec les habitants, petits et grands ! L'intervention des artistes est d’une valeur sans prix : tags, graffiti, installations, mimes, théâtre de rue, etc. Elle démultiplie les usages de la rue et les singularise. Tout diagnostic urbain et paysager réclame des approches inédites d'observation et de restitution, telles les cartographies sensibles et chronotopiques des lieux urbains selon leurs usages temporalisés et genrés. Oui, améniser est un verbe qui manque...