Introduction
Chaque année, plus de vingt millions de tonnes de terre sont extraites des chantiers franciliens. Cette terre d’excavation, invisible pour le grand public, constitue l’un des principaux déchets produits par notre société — plusieurs fois les déchets ménagers en poids et en volume. Elle part en décharge ou sert de remblais, le plus souvent dans des carrières, sous l’étiquette trompeuse de « valorisation matière ».
Depuis quelques années, la terre crue retrouve progressivement sa place dans la construction. Sa disponibilité, sa faible empreinte carbone, sa recyclabilité complète — à condition de ne pas y ajouter de liants chimiques comme le ciment ou la chaux — en font un matériau d’avenir. Ses performances thermiques, acoustiques et hygrométriques sont désormais documentées, et les techniques de mise en œuvre (pisé, bauge, torchis, BTC, briques extrudées, adobe, enduits) offrent une palette d’usages adaptée à l’architecture contemporaine.
La région parisienne, productrice d’une quantité considérable de terre d’excavation, n’a pas, contrairement à d’autres territoires, de tradition de construction en terre crue. Le creusement du Grand Paris Express et l’exposition « Terres de Paris » en 2016 ont fait émerger une conscience de cette ressource méconnue.
C’est dans ce contexte qu’est né le projet Cycle Terre. Grâce au soutien de l’Union européenne et des collectivités, un site de transformation des terres locales en matériaux de construction a vu le jour à Sevran (93). Les équipes ont mis en place une chaîne d’approvisionnement, développé des produits, obtenu les Atex nécessaires à leur commercialisation... L’ouverture, en novembre 2021, fut un moment fort : enfin, une fabrique opérait à l’échelle métropolitaine, démontrant qu’un matériau de bon sens pouvait s’inscrire dans les circuits économiques et constructifs contemporains. La fermeture de Cycle Terre en 2024 a suscité une vive émotion et de nombreuses questions : Que s’est-il passé ? Des commandes insuffisantes ? Un problème dans le mécanisme de financement ? Une fragilité économique structurelle ?
À l’initiative du Collectif francilien de la terre crue et d’Édifice Formation, une conférence a réuni architectes, artisan·e·s, briquetier·e·s, chercheur·se·s, ingénieur·e·s et maçon·ne·s pour comprendre les raisons de cet échec et, surtout, en tirer les enseignements. Les actes de cette rencontre, publiés avec l’ICEB, forment aujourd’hui l’ouvrage Bâtir avec les terres franciliennes. Celui-ci aborde trois grandes questions : Que s’est-il passé avec Cycle Terre et quels enseignements en tirer ? Quels exemples ailleurs en France peuvent inspirer l’Île-de-France ? Et comment les acteur·rice·s de la filière perçoivent-ils les perspectives à venir ?
La première section est un article de Silvia Devescovi, protagoniste de l’aventure Cycle Terre, qui offre une analyse méthodique et équilibrée des choix faits et de leurs conséquences. Elle détaille plusieurs facteurs, offrant des éclairages très intéressants tant sur le projet Cycle Terre que sur le contexte francilien de la terre crue. Bien qu’elle soit lucide et sans fard dans son analyse, elle conclut que le plus grand enseignement est que « cela a presque marché ».
La deuxième section présente des retours de différentes expériences de fabriques de briques de terre crue en France. D’abord avec Stocks des Terres qui présente les apprentissages de son tour de France de producteurs de briques en terre crue. Ensuite avec deux études de cas plus approfondies présentées par leur protagonistes, la fabrique de la scop l’Aronde à Guérande (44) & la briqueterie de la communauté Emmaüs de Chevaigné (35).
La troisième section est la transcription d’une table ronde qui a réuni cinq acteurs du monde de la terre crue d’Île-de-France et au-delà : Kévin Berger, Frédérique Jonnard, Andréas Krewet, Alain Marcom et Corentin Mouraud. L’aspect le plus intéressant est la réflexion sur ce territoire francilien « effectivement très particulier » du point de vue de la construction en terre crue, et comment ces réalités — notamment vu des artisan·e·s — structurent des possibles.
En filigrane, une ambition commune : faire émerger une culture de la terre crue en Île-de-France, mutualiser les connaissances, partager les retours d’expérience, établir des connexions du chantier jusqu’au lieux de décision de la commande. Cette filière ne peut reposer sur la seule ferveur de quelques pionnier·ère·s. Pour durer, il faut une infrastructure collective : une commande fiable, une logistique de matière première, des lieux de production, un réseau de savoir-faire et des formations adaptées. Autrement dit, un écosystème.
La terre crue n’est pas qu’un matériau : elle incarne une philosophie de l’acte de construire. Elle engage une économie de proximité, une attention à la matière, une vraie compréhension du métabolisme territorial. Retrouver cette intelligence, c’est rouvrir un lien dont nous avons peut-être encore plus besoin en région parisienne qu’ailleurs. Voilà le défi en cours. Cet ouvrage en est à la fois le témoin et le jalon. Il constitue une lecture passionnante et nécessaire pour tout compagnon de route de cette ambition collective.
Collectif, Bâtir avec les terres franciliennes. Perspectives pour la filière terre crue après Cycle Terre, Actes de la rencontre interprofessionnelle du 28 juin 2024 à Sevran, avec les contributions de Silvia Devescovi, Alice Gaillard, Samuel Bressoux, Corentin Mouraud, Adrien Aras, Alain Marcom, Andreas Krewet, Frédérique Jonnard, Kevin Berger, Martin Paquot, Flora Marchand et Joséphine Germain, « Lanceurs d’avenir », ICEB, Edifice Formation, Collectif francilien de la terre crue, 2025, 80 pages, 17 euros.
Disponible à l’achat à la librairie du Compagnonnage & à la libraire Eyrolles (Paris), lors des évènements de l’ICEB ou du Collectif francilien de la terre crue ainsi que sur la page HelloAsso du collectif.