Du lisible au visible

« Biomorphisme » sous la direction de David Romand, Julien Bernard, Sylvie Pic, Jean Arnaud

Mathias Rollot | 31 octobre 2023

Introduction

Biomorphisme, Approches sensibles et conceptuelles des formes du vivant est indéniablement un livre impressionnant. 

Impressionnant, tout d’abord, de par l’ampleur de l’ouvrage : 460 pages grand format ; 22 auteurices pour une trentaine de textes, le tout rédigé dans une écriture à la fois serrée dans la forme et dense dans le fond. De l’ensemble, joliment maquetté et illustré, ressort immédiatement l’impression d’avoir affaire à une immense somme de travail. D’autant plus si on peut s’accorder sur le fait que son objet d’étude reste, somme toute, assez rarement discuté de nos jours.

Impressionnant, ensuite, de par l’interdisciplinarité qu’il met en jeu et par la grande diversité de façons qu’il a de mettre en mouvement cet objet d’étude. Le « biomimétisme » y est tantôt abordé comme prétexte, tantôt envisagé comme finalité ; parfois engagé comme méthode et d’autres fois confronté comme sujet ; ici utilisé comme prétexte à création et ailleurs malaxé comme matière à discussion… en cela, ce livre fait la démonstration convaincante de la capacité contemporaine de ce concept de biomimétisme, à l’évidence stimulant, et de bien des manières, pour de nombreuses disciplines, théories et pratiques. 

Impressionant, encore, parce que ce livre s’engage à ne refuser « toute hiérarchisation entre les propositions artistiques et scientifiques » (4e de couverture)… et qu’il réussit à tenir son engagement ! En lui, les œuvres artistiques ne sont jamais réduites à des expressions a posteriori d’idées scientifiques préalablement conçues, pas plus que la science n’est utilisée pour expliquer ou rationaliser l’intérêt de pratiques artistiques existantes. Si les résonances y sont donc nombreuses entre un champ et l’autre, c’est au sens d’échos et de fleurissement, de stimulus et de dérangement créateurs. Une sacrée danse, en quelque sorte.

Impressionant est cet ouvrage, enfin, de par la grande intellectualité avec laquelle il aborde ce concept central dans son histoire, en rappelant non seulement ses origines historiques et ses appropriations successives au cours de l’histoire, mais aussi en précisant bien la multiplicité des sens et intérêts qu’il peut revêtir aujourd’hui. Les auteurices s’y disent résolument décidés à marquer une rupture « avec l’approche du biomorphisme telle que conçue par l’histoire de l’art pour situer un courant artistique des années 30 » (p.13), et on ne peut que les suivre lorsqu’iels invitent à « inventer collectivement » ce que cette notion peut apporter « aux enjeux contemporains sur le vivant » plutôt qu’à simplement présenter « une notion toute faite que nous n’aurions eu qu’à mettre à jour » (p.21). Entre autres, on y lit le biomorphisme comme un engagement possible, aux côtés de Baptiste Morizot, « contre la posture anthropocentriste » (p.272). A l’opposé du biomorphisme historique, il se dit alors capable de devenir le rouage d’un mécanisme éthique en écho à la fois aux éthiques biocentristes et aux courants dits de l’écologie du sensible

« Le biomorphisme, en ce qu'il aspire à une manière plus holiste de concevoir le vivant, propose un renversement de la perspective anthropocentrique, le monde vivant n'étant en ce cas plus envisagé au miroir de l'homme, mais l'homme au miroir du monde vivant. »

Tout cela étant dit, on s’accordera cependant sur le fait que cet ouvrage « impressionnant » n’est certes pas d’accès facile. On pourrait même dire qu’il n’est presque pas possible de lire ce travail entièrement, en commençant par le début pour arriver linéairement jusqu’à la dernière page. Tout juste peut-on se procurer l’ouvrage (vendu à un prix extrêmement raisonnable vu son ampleur – c’est aussi à souligner), et l’aborder avec modestie : lentement, par fragments, et sans aucun espoir d’en venir jamais à bout. En ce sens, c’est donc plutôt un livre à tenir près de soi, sur le long terme, comme un compagnon de route à mûrir calmement. 

David Romand, Julien Bernard, Sylvie Pic, Jean Arnaud (dir.) (2023), Biomorphisme. Approches sensibles et conceptuelles des formes du vivant, Contributions de Jean Arnaud, Pierre Baumann, Julien Bernard, Luciano Boi, Peter Briggs, Xavier Caubit, Amélie de Beauffort, Nathalie Delprat, Karin Graff, Edward Juler, Carlos Lobo, Fabrice Métais, Maël Montevil, Daniel Papillon, Julie Pelletier, Sylvie Pic, David Romand, Barbara Sarreau, Stéphane Schmitt, Teruhisa Suzuki. Editions Naima, 2023, 462 pages, plus de 150 illustrations, 24 euros.