L'utopie ou la mort
Crépuscule de l’ancien B.T.P. (2/10) : Architecture humanitaire ?
Laurent Demarta | 30 décembre 2025
Introduction
Lors des 6es rencontres nationales de la Frugalité heureuse et créative, fin septembre 2025, Topophile a créé une proposition théâtrale en ouverture de la « nuit du nouveau B.T.P. » (bois, terre, paille et leur monde). Une dizaine d’auteurs et autrices ami·e·s de la revue ont déclamé autant de textes originaux, que la revue se propose de publier au fil des prochains mois.
Pour célébrer le crépuscule de l’ancien B.T.P. (béton, tôle, plastique et leur monde), il s’agissait collectivement de dépeindre, depuis l'expérience de chacun, l'ampleur des externalités négatives de cette ère pétrochimique, extractiviste et industrielle de l'architecture. L'habitabilité commune de la Terre en exige l'extinction immédiate.
« Capitalocène, anthropocène, pollutions, inégalités, néocolonialisme, uniformisation, appauvrissement écologique, affadissement esthétique… Tout doit y passer. Mais ne cédons pas au désespoir ni à l’accablement : la gravité du constat doit être le moteur de la révolution (sans transition) ! Pour cela, élan, vitalité et humour sont des ingrédients indispensables ! »
À chaque séisme en Afghanistan, à chaque cyclone à Mayotte, à chaque glissement de terrain dans une vallée du Valais suisse, à chaque incendie de forêt en Espagne, à chaque Tsunami en Indonésie,
À chaque catastrophe naturelle au Tadjikistan, en Haïti, ou au Pakistan — pour parler des pays où j'ai travaillé —, à chaque tremblement de terre à Istamboul, à Douchanbé, ou à Jérusalem — pour parler de ceux à venir —, bref, à chaque fois que la Terre secoue un peu ses puces,
On trouve pléthore de gentilles z'ONGs à la bien-pensance surannée voire institutionnalisée,
Pléthore d'ONGs pour lancer des concours sponsorisés par IKEA pour développer des maisons en carton, ou imprimées en 3D à partir de boues de station d'épuration, de maisons en papier-mâché ou en bouteilles-PET recyclées, de maisons en polycarbonate high-tech ou en caisses de bière empilée...
Est-ce là de l'architecture ?
Est-ce là ce que nous avons de mieux à offrir à des hommes, à des femmes et à des enfants qui ont tout perdu ?
Est-ce là leur témoigner empathie et respect ? Est-ce là tout notre amour ?
Plutôt que de les insulter en leur offrant généreusement les miettes de nos expérimentations les plus hasardeuses, ne pourrions-nous pas leur accorder ce que nous revendiquons pour nous-mêmes : le droit à une architecture de qualité, le droit d'habiter dans une demeure digne ?
Bien sûr, l'architecture prend du temps.
La précipitation ne peut accoucher d'une architecture de qualité. Jamais.
C'est pour cela que la construction d'urgence doit être anticipée, et donner aux victimes ce temps, le temps d'être pertinent.
C'est pour cela qu'il est essentiel de construire parasismique et de développer des abris d'urgence avant les catastrophes,
Abris d'urgence qui peuvent et doivent servir à autre chose en temps serein : école ou salle des Fêtes (je mets toujours une majuscule à Fête), échoppes ou halle de marché.
Voilà une première forme d'architecture.
« La précipitation ne peut accoucher d'une architecture de qualité. Jamais. »
Mais allez récolter des fonds avant une catastrophe ? J'ai essayé, et je m'y suis cassé les dents.
Après la catastrophe, une architecture de qualité implique de participer au côté des victimes à l'érection de vraies maisons, comme ils l'entendent eux, et non comme nous voudrions les expérimenter.
Si dans les montagnes du Tadjikistan une maison est avant tout une protection contre le froid, en Haïti elle est d'abord un coffre-fort contre le vol et dans zones tribales du Pakistan une forteresse devant résister aux balles de Kalachnikov. Ces priorités sont celles des habitants. Elles sont légitimes. Elles sont seules légitimes. Ce n'est pas à nous de rédiger le cahier des charges !
Nous, nous ne pouvons que leur apporter quelques connaissances techniques pour améliorer certains détails, pour que les matériaux soient mieux utilisés, pour que certaines erreurs ne soient plus répétées. Nous devons assister les victimes, pas utiliser leur souffrance pour développer nos propres recherches.
Nous devons nous rappeler, toujours, qu'ils sont les Maîtres de l'Ouvrage, et nous leurs modestes serviteurs.
Notes
Prose déclamée le 27 septembre 2025 sur la scène des 6es rencontres nationales de la Frugalité heureuse et créative, sur une proposition originale de Topophile (direction éditoriale Sarah Ador & Raphael Pauschitz).