Nouvelles de nulle part
Festival Bellastock : concevoir-construire-habiter-déconstruire
Antoine Aubinais | 18 juin 2020
Introduction
Depuis 15 ans, le festival d’architecture Bellastock rassemble quelques centaines d’étudiants qui pendant 4 jours conçoivent, construisent, habitent et déconstruisent une ville éphémère dans une atmosphère festive. Cet événement hors-les-murs réaffirme à chaque édition le désir de faire, de manipuler, d’assembler, de bâtir des étudiants participants. Quand donc ce désir sera-t-il assouvi dans les écoles et intégré à la formation des architectes, paysagistes, designers, etc. ? Antoine Aubinais, architecte, co-fondateur du festival, répond à nos questions.
Le désir
C’est encore étudiants qu’avec quelques camarades de l’ENSA Paris Belleville, vous lancez le premier festival Bellastock en 2006. Qu’est-ce qui a motivé cette initiative ?
Le manque de pratique ! Tout est parti de ce constat. Si l’école d’architecture nous donne les outils pour représenter et dessiner l’architecture, il est aussi essentiel d’être confronté à la matière et de comprendre ce qu’implique ce que l’on dessine.
Et la quasi-inexistence de vie étudiante à l’école ! Or une école doit être plus qu’un lieu de savoir et de transmission entre enseignants et étudiants, elle doit aussi être un lieu de vie et d’échanges entre étudiants. Ainsi dès notre première année avec Grégoire Saurel et Frantz Bourgeois, nous avons repris l’association étudiante « Bellasso », créé un journal, organisé des visites et, en fin d’année, proposé un temps constructif et festif : le festival Bellastock !
Comment s’est déroulée cette édition fondatrice ?
L’idée que nous avons présentée à nos camarades de promo était simple : construire sur un terrain et habiter nos constructions. Elle les a séduits, et pendant 6 mois, nous réfléchissons (nous n’étions pas très efficaces alors) et ce n’est que lorsque le père d’un ami, agriculteur à Issoudun, nous prête un terrain que tout se précipite. Nous avions trois mois pour affréter des cars, se faire livrer les matériaux, mettre en place les inscriptions, etc. Au total, 100 à 150 personnes, participants et bénévoles, étaient présents.
Une fois à Issoudun, l’équipe s’est prise au jeu. Nous avons eu beaucoup de plaisir à construire préalablement les installations nécessaires à l’accueil des participants.
C’est notre première expérience de la récupération : nous avons pioché dans la grange de notre hôte agriculteur pour élever des douches en traverses de chemin de fer, des toilettes en claies à moutons…
Il restait à dessiner le plan de la ville, à marquer les implantations et c’était parti pour 4 jours de festivités et de constructions. Cela a beaucoup plu… et les participants nous ont demandé de réitérer ce rendez-vous l’année suivante.
Pendant trois ans, nous avons conservé ce modèle, mais voyant le bois s’accumuler dans les bennes après chaque édition, nous nous sommes interrogés sur la vie d’après de ces matériaux et avons cherché des matériaux à détourner pendant les 4 jours du festival et à restituer à sa fin.
Le cycle
Le credo du festival est d’une simplicité et d’une efficacité déconcertante : « concevoir construire habiter », à considérer non pas comme trois actions isolées et séparées mais comme un seul et même acte celui de l’architecte, du designer, du paysagiste, etc. Comment se manifeste-t-il ?
C’est le scénario de l’événement : je conçois, construis et habite une seule et même architecture.
L’exercice est intéressant sur plusieurs points. Un, l’étudiant se rend compte que le trait qu’il dessine sur une feuille implique un matériau avec sa forme, sa physique, sa résistance… Cela reconnecte l’architecte sur sa planche à dessin à celle ou celui qui produira et mettra en œuvre son projet. Deux, en habitant son architecture, il prend conscience qu’une architecture mute dans ses usages, que l’architecture s’incrémente au gré de ses utilisations. L’aller-retour constant entre concevoir-construire-habiter permet de corriger nombre de détails tout en faisant comprendre à l’apprenti-architecte qu’il ne peut pas tout définir, tout régler… Il donne un squelette à utiliser, à habiter et donc potentiellement à modifier. Trois, l’apprenti-architecte ayant éprouvé ces gestes, manipulé des outils a plus de facilité à communiquer, échanger avec un soudeur, un charpentier et finalement ses dessins seront plus harmonieux avec cet artisanat.
La triple dimension concevoir-construire-habiter prend toute sa valeur en rappelant à l’architecte qu’il n’est pas qu’un dessinateur.
Il travaille aussi avec ceux qui mettent en œuvre et il se nourrit d’échanges avec ceux qui habitent.
Au fur et à mesure des éditions, déconstruire est devenu un enjeu fondamental et la quatrième phase du festival, avec l’instauration d’une dernière journée consacrée. Déconstruire est en projet en soi, car préserver l’intégrité d’un matériau afin qu’il soit démontable et réutilisable ou réemployable réclame un travail d’assemblage fin. Le choix des matériaux de la ville éphémère du festival s’avère essentiel, c’est pourquoi nous nous sommes tournés lors des dernières éditions sur la terre et la paille qui, en fin de vie, peuvent retourner à la Terre.
Ainsi dès que je conçois, je dois avoir conscience qu’un jour ce que j’ai construit et habité, sera déconstruit. Nous œuvrons non pour l’éternité mais dans des cycles.
N’y a-t-il pas un 5e temps, un 5e mot « fêter » car Bellastock est aussi un festival ?
Absolument. « Fêter » fait partie du projet. Grâce à la notoriété acquise du Festival, nous assumons davantage ce côté festif de l’événement. Outre le fait de célébrer le travail accompli – deux jours de chantiers intenses pour 500 à 1 000 personnes –, la fête est un moment privilégié pour faire se rencontrer des étudiants de disciplines différentes – architecture, paysage, art, ingénierie, design, etc., ce décloisonnement est essentiel – et nouer de nouvelles amitiés…
Les thèmes
Chaque année, le festival renouvelle son thème : la paille, la terre crue, le réemploi, ou les constructions suspendues, flottantes, mobiles… se révélant tour à tour novateur, précurseur, développeur. Qu’est-ce que les thèmes choisis nous disent de la société ? Quelles évolutions observez-vous depuis le début du festival ?
Les thèmes sont choisis collectivement, en équipe au sein du Bellastock avec les adhérents et ceux qui suivent le projet. C’est notre activité la plus fédératrice qui agrège un grand nombre de points de vue et d’idées. Ce qui nous a permis de nous renouveler d’année en année depuis 15 éditions.
Certains thèmes sont nés d’un rêve, doublé d’un défi technique : vivre dans les arbres ou sur l’eau, par exemple. Ils ont cette magie d’être une véritable œuvre collective.
D’autres sont inspirés par des questions d’actualité. Que faire des terres de déblais des travaux du Grand Paris Express ? Nous avons établi une usine de Brique de Terre Comprimée et fondé une ville des Terres en 2017. Idem pour la paille en 2019, le festival de par sa notoriété auprès des écoles d’architecture et des étudiants met en lumière ses matériaux.
D’autres encore sont plus précurseurs, notamment sur les questions de réemploi que nous avons traité à plusieurs reprises. Il est évident qu’on ne peut plus construire, démolir, construire à nouveau avec des matériaux neufs, et ainsi de suite.
Les écoles
Pourquoi l’enseignement institutionnel se cantonne-t-il, souvent, à la conception, parfois à la construction, rarement à l’habitation ? Pourquoi faut-il un festival hors-les-murs pour aborder et entremêler ce qui semble être pourtant la Sainte Trinité de l’architecture ?
Deux raisons parmi d’autres. Une, le métier d’architecte a longtemps été cantonné à ce poste de concepteur-dessinateur, qui ne va qu’épisodiquement sur le chantier. Cela transpire d’ailleurs dans les écoles où l’on transmet les outils de représentation qui sont certes essentiels mais insuffisants. Malheureusement on n’offre que rarement la possibilité de construire et encore plus rarement d’habiter. Culturellement, on n’a jamais vraiment intégré dans notre métier d’archi cette dimension d’« habiter nos projets », d’en faire l’expérience quotidienne. Finalement, l’architecte pense le projet et les autres l’habitent. Deux, le manque d’espace et de temps. Les écoles notamment parisiennes sont à l’étroit.
Le festival et sa préparation vous mettent en relation avec des centaines d’étudiants de disciplines variées venant de toute la France – et de l’étranger car le festival a essaimé ponctuellement dans d’autres pays. Vous avez là un poste d’observation transversale unique. Que vous disent-ils de leurs formations ?
De nombreux étudiants étrangers nous ont contactés pour monter un festival chez eux. Pourquoi ? Plus ou moins pour les mêmes raisons qu’en France : un manque de pratique dans l’enseignement et un désir de manipuler la matière. Parfois des matériaux locaux, comme le bambou en Chine, plus souvent des objets du quotidien ou des déchets de la mondialisation comme à Istanbul ou Athènes.
Quel que soit le pays, on retrouve cette même appétence pour créer avec ce qu’il y a et donner une seconde vie à ces monceaux d’objets et de matériaux identiques aux quatre coins du monde.
Finalement ces écoles visitées m’ont paru relativement homogènes et semble ignorer, dans une large part, les ressources naturelles de leur région.
Les étudiants
Les étudiants doivent-ils prendre en main leur éducation ? Si oui, comment ?
Si l’école offre des outils et une culture notamment par le contact d’architectes expérimentés, l’étudiant doit par lui-même se confronter à la réalité, sortir de l’école, acquérir une plus grande marge de manœuvre. Cela lui sera particulièrement utile une fois son diplôme en poche. L’aventure de Bellastock en est un bon exemple : impulsée dès nos premières années, nous profitons à la sortie de l’école d’une structure existante et indépendante, et d’une capacité à faire des projets qui nous tiennent à cœur sans passer par des agences tierces.
À 20-25 ans, si on est intéressé par l’éco-construction, il n’est pas certain que tes enseignants qui ont 60 ans, qui ont une autre culture architecturale vont nous en parler. Il faut absolument instaurer un dialogue. Cette responsabilité est partagée et repose tout autant sur les étudiants que sur les enseignants. Ce dialogue est essentiel au sein des écoles, afin de faire émerger des sujets, de mettre sur pied des modules pédagogiques, de profiter de l’expérience des uns et de l’enthousiasme des autres.
Comment s’y prendre ? Cela peut être très simple. Gérer un bureau des étudiants avec son budget et ses comptes à rendre. Organiser un cycle de cinéma et sa médiation avec le public. Impulser un événement dans la rue et donc obtenir les autorisations nécessaires, les assurances, etc. Monter une structure : l’association est un bon premier pas, accessible tout en se confrontant à la rédaction de ses statuts, de ses objets, à la création d’un compte bancaire, à la gestion comptable. Toute expérience petite ou grande a son importance puisqu’elle va nous mettre face à des responsabilités, à des clients, à des gens qui t’ont fait confiance… En parallèle de l’école, il faut que les étudiants fassent ces premières expériences.
Le CAAPP
L’expérimentation – constructive notamment – vous est chère. Vous travaillez actuellement à l’établissement du CAAPP pour Cluster Art Architecture Paysage Patrimoine. De quoi s’agit-il ?
Le ministère de la Culture a demandé à Bellastock de cristalliser ses 15 ans d’expériences dans un lieu destiné aux étudiants des écoles d’architecture (mais aussi d’art, de paysage, de design) franciliennes : le CAAPP, situé sur un coteau de le Seine à Évry-Courcouronnes, à moins d’une heure de Paris.
En plus de mutualiser des moyens, il proposera aux écoles à l’étroit dans leurs locaux ce qui leur manque cruellement pour expérimenter : de l’espace et du temps. L’échelle 1 et le temps long (celui du vivant par exemple) ne seront plus impossibles.
D’autres objectifs sous-tendent ce projet : le croisement des disciplines, il faut faire travailler ensemble des étudiants de cursus différents sur des projets communs, concrets et construits ; la réflexion sur les enjeux contemporains de la construction, il doit devenir un laboratoire de propositions, d’idées, d’expérimentations abordant toutes les facettes de la construction et de l’aménagement ; la mise en acte d’engagements écologistes ; l’ouverture au territoire d’accueil et à ses habitants. Ce serait une erreur de faire un lieu fermé, où un groupe de créateurs venus de l’extérieur réfléchissent en huis-clos. N’oublions pas qu’Évry fut une ville nouvelle, et donc le lieu d’expérimentations nombreuses, parfois ratées parfois réussies. Alors expérimentons.
C’est un lieu qui réunira les écoles et qui un jour fera école.
Propos recueillis par Martin Paquot