Introduction
Dix ans après son décès Guy Rottier (1922-2013), architecte hors du commun, accède enfin à la notoriété méritée, comme en témoigne la parution d'un catalogue intégral de ses œuvres. « Hors du commun », Guy Rottier l'est tout autant pour sa production réalisée que pour ses projets « de papier », toutes deux recensées presque in extenso dans ce d’ores et déjà précieux ouvrage. Je pensais bien connaître son travail, or cet ouvrage me révèle des projets méconnus et m’invite à en redécouvrir d’autres différemment. Il surprend sans cesse !
J'ai été absolument conquis par les près de trois cents pages d'images de Guy Rottier que propose le Frac Centre sous le titre Guy Rottier — Architecture de l'errance. C'est, en effet, un rare bonheur que d’accéder à tant d’œuvres hétéroclites : dessins, maquettes, collages, peintures, photomontages, etc. Il y a une imprescriptible fraîcheur à se pencher sur le travail de Guy Rottier — a fortiori sur un catalogue aussi foisonnant : on en ressort le cerveau tourneboulé et avec l'envie d'esquisser un pas de danse.
Pourtant, passé ce premier enthousiasme, une brume de réserve s'insinue sournoisement, d'abord indistinctement, puis la question se précise et éclot : pouvait-on, peut-on réduire Guy Rottier à des images, à une collection d'images, si riche soit-elle, si exhaustive soit-elle ? Formulée ainsi, la question appelle une réponse aussi négative que péremptoire : non, Guy Rottier n'est pas un de ces architectes de papier qu'on cite avec condescendance dans les amphithéâtres des écoles d'archi. Non, Guy Rottier ne peut être réduit à ses images — à ces images qu'il a voulu donner de lui-même.
L'une des qualités patiemment développées, qui fait l'architecte, est celle de voir derrière l'image : de voir le bâtiment derrière ses plans, de voir l'usage derrière la visualisation 3D (produite à l'étranger par des spécialistes sous-payés, mais c'est un autre sujet). Il faut ainsi chercher Guy Rottier derrière les images de Guy Rottier.
Et en cela, l'ouvrage proposé par le Frac Centre ne nous aide guère. Ce ne sont pas quinze pages de texte (sur près de trois cents, je le rappelle, car c'est au crédit de l'ouvrage) et des légendes laconiques voire inexistantes dans les trente premières pages, bref, ce ne sont pas les trop rares textes d'accompagnement qui permettent d'appréhender toute la puissance de la pensée de Guy Rottier. Quel lecteur, au fil de sa lecture nécessairement papillonnante, comprendra la passion de réflexion iconoclaste qui animait Guy Rottier comme un Nietzsche qui se serait intéressé à l'architecture ? Quel lecteur comprendra sans qu'on le lui souffle qu'il faut aimer Guy Rottier malgré ses représentations et non pour elles ?
Un catalogue des images de Guy Rottier est certes une bonne idée, mais ce qui manque aujourd'hui, c'est une exégèse de sa pensée, c'est un enseignement magistral en école d'archi de l'iconoclastie de Guy Rottier, c'est une visite de ses projet réalisés, c'est — peut-être, si possible, tant que c'est encore possible — le recueil des souvenirs des innombrables élèves qu'il a aidés à naître, qu'il a décillés, et à qui il a élargi l'horizon ou débridé la créativité. Mais ne gageons pas notre plaisir et espérons que d’autres ouvrages viendront vite compléter celui-ci, en insistant sur sa pensée, sa profondeur vertigineuse, son souffle revigorant, son éclectisme prolifique, sa pertinence — son impertinence, aussi.
Ablderkader Damani (dir.) (2021), Guy Rottier. Architecture de l’errance, avec les contributions de Nouha Babay, Nadine Labedade et Daniel Siret, Frac Centre-Val de Loire, Liénart éditions, 280 pages, 33 euros.
Catalogue de l’exposition « Guy Rottier, l’architecture libre » qui se tient du 15/10/21 au 22/05/22 au FRAC Centre-Val de Loire à Orléans.