Les mots et les choses

Laines minérales : dans la novlangue des industriels

Yannick Champain | 20 février 2025

Introduction

Plutôt que de remettre en cause leurs process industriels pour répondre aux critères environnementaux qui sont devenus incontournables, les industriels de la pétrochimie préfèrent user des méthodes de lobbying, dont la sémantique est un outil essentiel. Petit tour d’horizon du vocabulaire détourné par les fabricants d’isolants en fibres minérales. Ne seraient-ils pas, quelque part, si fiers que le grand public assimile leurs produits à la très-inoffensive laine animale ?

Greenwashing, storytelling…

« Laine de roche » : voilà une matière si courante et si irrésistible dans le secteur de la construction que personne n’interroge ou presque ni sa présence, ni sa dénomination. Rock wool en anglais, elle est depuis les années 1930 le nom d’un de ses principaux fabricants en Europe, qui a peut-être contribué à associer le terme au matériau… La définition technique de cette matière, connue sous la forme d’une gamme de produits isolants, indique cependant : « fibres artificielles minérales non métalliques siliceuses vitreuses » [1]. Les fibres sont en effet obtenues par fusion de silice ou de roche et agrégées par un liant, le plus souvent à base d’urée-formol.

 « Laine de roche », disent-ils. Une manière de faire passer pour naturel un produit issu de l’industrie du verre. « Laine » est un matériau d’origine animale qui trouve de multiples usages vestimentaires et teinturières. L’image de la laine est associée à la chaleur. « Roche » est un mot générique pour désigner les minéraux d’origine naturelle. Cette fois, l’image est celle de la nature et de la solidité. Le matériau « laine de roche » n’a pourtant rien à voir avec un textile car les fibres obtenues par projection de la roche en fusion dans un tambour ne peuvent pas être tissées, contrairement aux fibres animales comme la laine, ou végétales comme le chanvre, le lin ou le coton. Les fabricants d’isolants en fibres minérales manipulent les mots et les images… cela s’appelle du greenwashing.

« Inspired by nature » [2], les fabricants rapprochent la roche utilisée (principalement le basalte) du magma terrestre, et la fabrication des fibres d’un volcan en fusion à 1500°C. Ainsi, ils racontent une histoire : le storytelling fait bon ménage avec le greenwashing.

Mais les isolants en fibres minérales ne sont pas composés que de basalte (« laine de roche ») ou de silice (« laine de verre »), il peut aussi y avoir de la bauxite (une roche sédimentaire riche en alumine) et des laitiers de hauts fourneaux (coproduits de la sidérurgie). Puis, une fois refroidies, les fibres doivent être agglomérées par un liant qui compose près de 10 % du total. Pour restituer un peu de vérité dans les mots qui permettraient de décrire les fibres minérales, listons une partie des polluants atmosphériques générés par leur production : acide chlorhydrique, acide fluorhydrique, ammoniac, dioxyde de soufre, formaldéhyde, monoxyde de carbone, oxyde d’azote, phénols, sulfure d’hydrogène et particules fines [3].

Durable, écologique…

Le FILMM, syndicat des cinq fabricants européens d’isolants en fibres minérales, exerce un lobbying soutenu pour maintenir la diffusion de ces produits malgré l’évolution des réglementations en matière de santé et d’environnement. Il affirme sur son site internet que : « Les laines minérales (laine de verre et laine de roche) sont des matériaux isolants qui contribuent à sauvegarder les ressources naturelles et à réduire l’impact environnemental des constructions. Elles sont la solution d’isolation durable et écologique » [4]. Nous laisserons chacune et chacun s’exercer à une lecture critique des expressions utilisées. Notons tout de même que les industriels se voient aujourd’hui dans l’obligation de répondre à des préoccupations sociétales et, à défaut de pouvoir changer leurs process, ils font évoluer leurs éléments de langage.

Recyclable, résilient, circulaire...

Dans une perspective écologique, reste-t-il des arguments en faveur des isolants en fibres minérales ? Les fabricants acquiesceront frénétiquement et utiliseront pour cela tout le vocabulaire approprié : « durabilité », « circularité », « résilience » et « recyclabilité ».

Selon une interprétation large des fabricants, la « laine de verre » et la « laine de roche » sont « recyclables » car leur fabrication peut incorporer des déchets de ces mêmes matériaux, ainsi « réutilisés » [5]. Mais la réalité est bien différente puisqu’à peine 1 % des isolants en fibres minérales issus des démolitions est recyclé [6].

La « résilience » est aussi un argument indispensable à une bonne communication. En écologie, elle décrit la capacité d’un écosystème à retrouver son état d’équilibre après une phase d’instabilité. Pour le fabricant, par un glissement de sens, la résilience est la capacité d’un produit à résister au feu sans perdre ses qualités [7]. Quant aux écosystèmes qui ont été impactés par la production, ils devront faire preuve d’une forte résilience pour absorber les pollutions diverses…

Pour prétendre s’inscrire dans un mouvement de « circularité » (l’image est elle-même trompeuse puisqu’aucun matériau ne revient à son état d’origine), le fabricant d’isolant en fibres minérales met en place des outils de collecte. Mais, là encore, l’effet est très limité car il faut que le déchet soit propre pour être réinjecté dans le process de fabrication.

Et pour ce qui est de la « durabilité », le fabricant affirme que l’isolant permet d’économiser, durant son utilisation, par l’économie de chauffage suscitée par l’isolation, l’énergie de fabrication et le CO2 émis par sa production [8]. Mais si l’on s’en tient à la production, celle d’un isolant en fibres minérales nécessite plus de 4 fois l’énergie nécessaire à la production d’un isolant biosourcé (en moyenne de différents isolants biosourcés) [9]. De plus, ce dernier stocke le carbone au lieu d’en produire.

D’ailleurs, à propos de performance : en écologie, il apparaît plus bénéfique aux écosystèmes d’être « robustes » que « performants » [10]. Ne doutons pas que les produits peu performants des industriels seront bientôt « robustes » par un nouveau détournement de sens.

[1] Stéphane Ducamp, Joëlle Févotte et al. Éléments techniques sur l'exposition professionnelle aux fibres minérales artificielles – Matrices emplois-expositions aux fibres minérales artificielles : laines minérales, fibres céramiques réfractaires. Saint-Maurice : Institut de veille sanitaire ; 2012. 18 p. https://web.archive.org/web/20180524151308/http://invs.santepubliquefrance.fr//content/download/29496/151870/version/1/file/rapport_Matgene.pdf.  

[2] Slogan de fabricant : https://www.rockwool.com/fr/a-propos-de-rockwool/par-nature/.

[3] Dans une définition de la laine de roche, les industriels de l’acier n’hésitent pas à faire le parallèle avec l’amiante ! : « Laine de roche : isolant thermique utilisé dans la construction, au même titre que l’amiante [sic !] ou la laine de verre. » Jean-Marie Delbecq. « Valorisation des co-produits issus de la fabrication de l’acier. L’expérience d’ArcelorMittal », L’Actualité chimique, n°335 (novembre 2009) : 21‑26. https://new.societechimiquedefrance.fr/wp-content/uploads/2019/12/2009-335-nov-p.21-Delbecq.pdf. Confirmation scientifique du parallèle : Yu-Ting Qi et al. « Nanosensor detection of reactive oxygen and nitrogen species leakage in frustrated phagocytosis of nanofibres », Nature Nanotechnology, 3 janvier 2024, 1‑10. https://doi.org/10/gtc2ms.

[4] Voir le site du syndicat de fabricants FILMM : https://www.filmm.org/developpement-durable/respect-de-lenvironnement.

[5] Voir le procédé proposé par Isover : https://www.isover.fr/nous-connaitre/nos-actualites/isover-recycling-la-nouvelle-offre-de-recyclage-de-dechets-de-laine-de.

[6] Lire à ce sujet l’association Stop Rockwool : https://stoprockwool.wordpress.com/2023/02/27/leconomie-circulaire-a-la-rockwool/.

[7] Selon Rockwool, « Résiliente au feu par nature » : https://www.rockwool.com/fr/a-propos-de-rockwool/par-nature/resiliente-au-feu/.

[8] Et encore rencontrent-ils, « en conditions normales d'utilisation, […] une efficacité thermique réduite, jusqu'à 75 % en moins de la performance affichée » cf : Antoine Boudet. « Isolation des maisons : la Cour de cassation révèle un “Isolgate” », Les Échos, 12 décembre 2019, section Immobilier & BTP. https://www.lesechos.fr/industrie-services/immobilier-btp/isolation-des-maisons-la-cour-de-cassation-revele-un-isolgate-1155733.

[9] La seule manière d’évaluer le bilan carbone de manière objective et vérifiable est de comparer celui d’une laine minérale avec des matériaux biosourcés : https://stoprockwool.wordpress.com/2023/12/10/la-publicite-mensongere-de-rockwool/.

[10] Selon l’institut Michel Serres, « la robustesse est la capacité d’un système à maintenir sa stabilité (à court terme) et sa viabilité (à long terme) malgré les fluctuations ». https://institutmichelserres.fr/resilience/.