Du lisible au visible

« Les Collapsologues et leurs ennemis » de Bruno Villalba

Loïs Mallet | 25 novembre 2021

Introduction

Vous avez certainement entendu parler de la collapsologie, cette étude systémique et interdisciplinaire du risque d’effondrement de la société thermo-industrielle et de ce qui pourrait lui succéder. Ce néologisme a été forgé en 2015 par les chercheurs « in-terre-dépendant » Pablo Servigne et Raphaël Stevens dans le livre Comment tout peut s’effondrer, un best-seller. La collapsologie fit l’objet d’un traitement médiatique important et prit ses marques dans les esprits du camp de l’écologie politique. À la hauteur de son irruption bouleversante, elle fit l’objet de nombreuses et virulentes critiques en provenance précisément de la famille des écologistes. Prenant acte de ce tir de barrage, Bruno Villalba, Professeur de Sciences Politiques à AgroParisTech, propose de clarifier ce qui est en jeu dans son livre intitulé Les Collapsologues et leurs ennemis (Le Pommier, 2021).

Dans ce contexte, prendre aujourd’hui publiquement la défense de la collapsologie est un exercice difficile et courageux sur le plan académique (comme militant). Et pourtant, c’est un travail nécessaire pour celui ou celle qui tient aux notions de limites et d’irréversibilité. Il implique néanmoins de s’inscrire à contre-courant de la vaste majorité de ses pairs « collapsosceptique » qui ont érigé la « collapsophobie » comme le préalable à tout discours écologiste raisonnable. De manière ubuesque, délégitimer la collapsologie semble être devenu un processus partagé de légitimation scientifique, un gage de sérieux. Avant de parler d’écologie, il faudrait désormais présenter la patte blanche du « collapso-bashing ». En réalisant ce livre, c’est à cela que se mesure Bruno Villalba. Il prend des risques que nous estimons autant saluables que salutaires ; et pour cela, nous lui en sommes redevables.

Parce que oui, disons-le tel quel : les collapsologues ont trouvé des ennemis davantage que des critiques. Trop rares sont celles qui traitent de la collapsologie dans sa complexité et son amplitude. À l’inverse, tout semble valable pour délégitimer ce discours perçu comme une menace idéologique, un ennemi qui nous fait concurrence et qu’il nous faut repousser de tous bords. Le plus souvent, il apparaît que l’attaque cible, non pas la collapsologie, mais un épouvantail, un avatar ad hoc apprêté spécifiquement pour être la cible idéale, c’est-à-dire bien proportionnée, afin d’accueillir avec évidence le pic qui lui est lancé.

À sa tâche, Bruno Villalba définit trois familles argumentaires de la manière suivante : l’épistémologie (irrationnalité, illégitimité, minimisation), le spirituel (psychologisation, religiosité) et le politique (incapacitation, le caractère réactionnaire, dépolitisation). À chaque fois, Bruno Villalba dévoile les postures idéologiques et les procédés fallacieux qui se cachent sous l’autorité de l’émetteur.

« Le ton qui domine est celui du rappel à l’ordre. »

De manière générale, l’auteur remarque que la vague de critiques est largement superficielle. Les argumentaires se font répétitifs et négligents, contradictoires, confus, peu robustes et témoignent d’un général manque d’imagination que Bruno Villalba met sur le compte de la paréidolie. Celle-ci désigne le penchant à l’identification « d’une forme familière dans un paysage, un nuage, de la fumée ou encore une tache d’encre ». Il s’agit d’une tendance à ne distinguer de l’étrangeté que des formes connues sans en prendre la bonne mesure, c’est-à-dire la singulière mesure. La paréidolie est ainsi un aveuglement résultant de la facilité à utiliser des clefs de lecture familières, plutôt que de forger de nouvelles grilles, pour appréhender un nouveau phénomène.

« Les critiques témoignent de la défense de positions classiques, conventionnelles, que l’on pourrait même qualifier de conservatrices – tant il y a parfois de la réticence à accepter de décentrer son propos et d’y inclure des thématiques marginalisées dans ses conceptions politiques dominantes, comme la place des non-humains, ou la finitude. »

Enfin, Bruno Villalba invite à la reconnaissance épistémique du pessimisme méthodologique, procédé visant à forcer l’imagination à la hauteur des phénomènes catastrophiques qui nous traversent. Il propose ainsi une (trop courte) analyse singulière et particulièrement éclairante de la filiation entre la pensée catastrophiste du philosophe Günther Anders et le discours collapsologique. Bruno Villalba réussit donc, envers et contre tous et toutes, à réaffirmer la légitimité de la collapsologie à exister dans le corpus de l’écologie politique. Si celle-ci était déjà acquise de fait par son ancrage dans les esprits écologistes, n’en déplaise à ses ennemis, la voilà désormais réinvestit de droit dans le champ académique.

« Loin d’être inoffensive ou inopérante, désespérante ou incapacitante, la collapsologie permet d’imaginer un monde d’après, qui demeurera accueillant pour tous les terriens, humains et non humains. »

Bruno Villalba, Les Collapsologues et leurs ennemis, Le Pommier, 2021, 238 pages, 16 euros.