Du lisible au visible

« Mésologie urbaine » d’Augustin Berque

Baptiste François | 9 juin 2021

Introduction

Exposé érudit et polyglotte (japonais, chinois, allemand, anglais, grec...) voilà un livre qui nous plonge au cœur du paradigme mésologique. Il se lit d’un trait, propose un parcours au cœur d’une foisonnante toile, dont l’éditeur a organisé pédagogiquement certains fils.  Mésologie urbaine est une réunion de six essais d’Augustin Berque, géographe, philosophe, spécialiste du Japon, constituant à la fois une introduction à la mésologie et une exploration des mondes urbains, entendu ici comme espaces vécus.

La mésologie est la science des milieux, que l’auteur nomme aussi « perspective. » Son paradigme est celui d’un environnement compris comme « donnée brute de la nature » qui existe différemment selon l’individu qui le vit et l’interprète. Celui-ci le fait exister en tant que milieu (fudô), qui par définition est « celui qui convient le mieux à l’être concerné. » Aussi devons-nous changer notre regard pour saisir les phénomènes en jeu dans l’habitabilité d’environnements que d’aucun qualifierait d’hostiles. Dans son sillage, la mésologie embarque une critique véhémente et polymorphe du modernisme qui a isolé l’environnement de celles et ceux qui l’habitent, en voulant le transformer en machine, ou le standardiser en tout point de la planète. Elle permet un détricotage de notre relation au monde, ou plutôt, invite à saisir toutes les interrelations entre le monde vivant, la nature et les humains. Ici, Augustin Berque s’attarde plus particulièrement sur l’urbain, d’où des réflexions sur l’espace public, le commun et le privé, l’intérieur et l’extérieur et l’architecture mondialisée qu’il fustige, ce qui nous vaut un hilarant passage sur Rem Koolhaas.

L’auteur nous propose de passer de la « globalisation » à « l’espace foutoir » après avoir doté les lecteur·ice·s du concept de mésologie et d’autres concepts apparentés, « écoumène », « trajection », « cosmicité »... Le détour japonais effectué dans plusieurs de ces essais engage une réflexivité sur notre propre monde, construit sur une pensée duale logique, devenue dominante. Les espaces urbains et architecturaux produits par cette mondialisation seraient alors les conséquences de la destruction de « la base terrestre de notre propre existence, » ayant caché « qu’un monde n’est pas la terre » pour « permettre d’industrialiser. »

Augustin Berque propose ainsi une puissante déconstruction. Celle des conséquences sur nos espaces vécus de l’application de formules, de modèles et autres standards. Il est question de la modernité occidentale classique, du cartésianisme aveugle couplé au capitalisme atteint de cette même cécité, dont la déconstruction est réalisée par le truchement de la mésologie elle-même, bien-sûr. L’apport le plus stimulant de l’ouvrage me semble être de construire une mésologie urbaine en puissance pour les penseur·se·s et acteur·ice·s de la ville, qui accompagnent le changement de paradigme en cours, souvent relevé par l’auteur, de notre appartenance à la Terre, « écoumène : condition commune de l’existence humaine. »

Augustin Berque, Mésologie urbaine, « L’esprit des villes », Saint-Mandé, éditions Terre Urbaine, 2021, 152 pages, 18 euros.