Introduction
Terre, tel est le titre concis et évident du roman graphique de Léa Rinino, à lire comme la vigie qui, perchée au sommet du mât, crie « Terre ! » empreint de la promesse d’aventures, ou de la proximité du foyer. Alors étudiante à l’INSA Lyon, Léa Rinino consacre son mémoire à la caractérisation des terres pour la construction en terre crue et interroge de nombreux maçons et artisans, architectes et ingénieurs qui lui répondent sans fard. Elle recueille ainsi une matière première organique marquée de toute la singularité de celles et ceux interrogés qui va bien au-delà de la question de la convenance des terres et offre un tour d’horizon des débats animant la filière terre crue aujourd’hui. Elle décide de retranscrire ces positions passionnées, ces convictions chevillées, ces divergences enflammées, ces doutes forcenés dans un roman graphique mettant en scène deux personnages : elle, une bouche qui questionne et une main qui note, et iel, un corps sans tête aux jambes croisées et aux mains déchaînées dont les pensées foisonnantes et contradictoires bullent dans tous les sens !
Souligné par l’emploi de tons harmonieux de jaune, bleu et rouge en aplats qui forment les cases disparates de la BD, le crayonnage se concentre sur nos deux personnages et saisit tantôt un front ou une joue, tantôt un profil ou un buste, conférant à l’ensemble une dynamique certaine et plongeant le lecteur dans le huis clos de l’entretien. Une remarque toutefois, l’abus des mots surlignés. Si certains apprécieront la possibilité d’un niveau de lecture rapide, je regrette ce hachage de la parole et de la pensée, malgré la cohérence graphique que cela confère.
Il est illusoire de tenter, ici, de résumer les propos recueillis par Léa Rinino et de dresser le portrait de la filière terre crue dans toutes sa diversité. Pourtant c’est ce que l’auteure parvient à esquisser en créant ce personnage anonyme avec des terres plein la tête agissant comme le truchement intègre et fidèle de toute une filière. Il donne graphiquement « corps » à une filière pourtant fragmentée. Si l’anonymat des positions défendues se comprend, il est dommage qu’aucun nom n’apparaisse, car la filière est belle et bien constituée d’une somme d’individualités. Une liste des personnes interrogées aurait été appréciée.
Chantier, BTP, convenance, norme, approvisionnement, mise en œuvre, earthwashing, etc. sont quelques sujets abordés parmi d’autres mais celui qui revient de manière récurrente et sur lequel une majorité semble s’entendre est la valeur et la valorisation du travail. L’un d’entre eux à la formule suivante :
« Moins il y a de savoir-faire sur chantier, plus il y a de ciment. »
La terre crue à cette qualité rare d’être une matière qui devient un matériau par l’intelligence de la main de celui ou celle qui la met en œuvre. Aussi le savoir-faire des artisans doit être reconnu à sa juste valeur afin de faire du chantier un espace-temps d’épanouissement et d’émulsion collective. Ainsi peut-être arriverons-nous à rompre avec le monde délétère du BTP (Bâtiment Travaux Publics) et à faire advenir celui prometteur du nouveau BTP (Bois Terre Paille).