À Fontanella, sur les lignes de la terre crue

Hanno Burtscher | 11 janvier 2023

Introduction

qui Architecte : Earthman (Hanno Burtscher) | Assistant chef de projet : Carlos Covarrubias.
quoi Rénovation d’un chalet en chantier participatif : 4 appartements, 400 m² habitables.
Fontanella, Großes Walsertal, Vorarlberg, Autriche | Altitude : 1145 m.
quand Structure : 1974 | Extension : 1993 | Chantier de réhabilitation : juillet 2018–décembre 2021.
comment Construction existante : dalles béton armé, murs en parpaings creux, isolant 2–5 cm | Réemploi & recyclage : blocs de béton cellulaire, isolant pétrochimique, panneaux de bois, poutres en bois, graviers, terre d’excavation | Charpente : bois | Murs nouveaux : ossature bois, isolation en fibres de jute | Cloisons : terre crue allégée de copeaux de bois et graviers | Contre-cloisons : pisé artistique | Sols : terre damée | Revêtements : enduits de terre crue, enduits chaux façon tadelakt (salles de bain) | Bardage : bois (épicéa) | Menuiseries : bois (sapin blanc) | Lavabo, baignoire, poêle de masse, plan de travail : pisé, cire de carnauba | Thermique : pompe à chaleur, panneaux de terre crue radiants, panneaux photovoltaïques, inertie rendant les brise-soleil superflus.
pour qui Famille Burtscher.
avec qui Étude thermique : Gebi Bertsch
par qui Bois, terre, béton, isolation, enduits : équipe d’artisans hétéroclite et évolutive, chantier participatif — 55 personnes | Bardage bois : Gilbert Burtscher, Fontanella | Menuiseries bois : Konzett, Fontanella | Fournisseurs de terre crue : Lehm Ton Erde, Lehmorange.
combien Réhabilitation : environ 2200 € / m² | Surface habitable : 400 m² — 3 appartements environ 115 m² + 1 appartement 55 m² | Terre crue : 55 T de pisé en sols & 20 T en murs de provenance 25 km ; 55 T de panneaux & enduits de terre crue de provenance allemande | Enduits chaux de provenance 10 km | Bois de provenance 10 km.

La maison familiale Burtscher, initialement de 130 m², est édifiée en 1973 à Fontanella, dans la vallée Großes Walsertal. Populaire destination touristique d’hiver, une extension a eu lieu en 1993 afin de créer trois meublés touristiques. Les matériaux et techniques utilisées dans la maison initiale sont typiques des méthodes de construction conventionnelles des années 1970 : dalles en béton armé et murs de briques recouverts de deux à cinq centimètres d’isolation. Quarante-cinq ans après, la construction est en mauvais état et sa réhabilitation est envisagée.

De l’attachement

Alissa Wolff | Tu as intégralement réhabilité ta maison familiale à Fontanella, village de montagne où tu as grandi. Bien qu’il soit aisé de comprendre l’attachement que tu entretiens à cette maison, le choix d’une réhabilitation a-t-il toujours été évident ?

Hanno Burtscher | J'ai passé la majeure partie de ma vie en hors de ma vallée natale et j'ai donc naturellement établi une certaine distance avec la maison familiale. J'étais cependant conscient que je n’avais pas un rapport neutre avec ce bâtiment. Pour évaluer l’état technique de la maison, j’ai fait ainsi appel à différents architectes et maîtres d’œuvre. Les résultats ont été très différents. Quand les uns parlaient d'une démolition intégrale, les autres étaient indécis, d'autres encore estimaient qu'il était possible de conserver la substance de base. Pour ma part, j'ai toujours penché pour la conservation de la maison, et j'ai fini par me fier à l'avis d'architectes et de maîtres d'œuvre expérimentés.

Mon cousin m’a recommandé l’expertise de Xaver Natter, un maître d'œuvre originaire du Bregenzerwald, aujourd’hui retraité. Celui-ci a rénové, agrandi ou construit environ 300 maisons au cours de sa carrière. Récemment, Xaver a rénové une maison datant également de 1974 et a estimé a posteriori qu'il aurait mieux fait de la démolir. Lors de sa visite à Fontanella, il a déclaré de suite qu'il transformerait indéniablement la maison et qu'il ne la démolirait pas.

Ses principaux arguments étaient les suivants : 1 – les défauts que présentait la maison pouvaient être corrigés ; 2 – après plus de 40 ans, la maison était stable sur un sol tassé et il n'y aurait plus de surprises ; 3 – la hauteur sous dalle était de 2,60 m dans les pièces, ce qui est atypique pour son époque de construction, où l’on ménageait plutôt 2,40 m entre dalles, par conséquent, il y aurait suffisamment de place pour pouvoir poser de nouvelles conduites dans le sol ; 4 – les frais de démolition et un nouveau soutènement du terrain, un adret en forte pente, s'élèveraient à environ 150 000 €…

À Fontanella, sur les lignes de la terre crue
Pièce principale de l’appartement 4 // Lukas Gächter / Topophile

Le vernaculaire en projet

Architecte, tu es devenu artisan terreux auprès de Martin Rauch, mais également lors de tes voyages en Asie, Moyen-Orient, Amérique du Sud. Retrouves-tu dans ton travail des témoignages de ces cultures traditionnelles, essentiellement liées à la sagesse tacite du corps ?

L'architecture vernaculaire m'a très certainement influencé. Pendant les années passées en Inde et en Indonésie, j'ai découvert la simplicité de la construction et de la vie. Ce qui m'a fasciné, c'est que simplicité ne signifiait pas réduction de la qualité. Il s'agit plutôt d'une revalorisation de l'espace.

Depuis plusieurs années, un mouvement de sobriété est également en cours en Europe. De nombreuses personnes ressentent le bienfait que procure le fait de se limiter à l'essentiel.

Il s'agit d'une réduction aux matériaux essentiels, idéalement des matériaux naturels. Une attitude interrogative pendant toute la phase de planification et de construction est la véritable nécessité.

La grande différence entre la construction et l'habitat simples et sobres chez la plupart des gens en Asie, en Afrique ou en Amérique du Sud et en Europe est la suivante : construire avec des matériaux naturels de manière simple et réduite est un choix conscient pour la plupart des Européens. Pour la plupart des habitants d'Asie, d'Afrique ou d'Amérique du Sud, c'est la seule possibilité.

Les éléments suivants de ce projet me rappellent l'architecture vernaculaire : 1 – nous avons utilisé des matériaux de construction qui proviennent encore des campagnes de construction précédentes (1974–1996), principalement des poutres et des planches en bois ; 2 – nous avons réutilisé de nombreux matériaux de construction issus de la démolition partielle ; 3 – nous avons toujours cherché des solutions simples pour la construction et les détails… et les avons trouvées pour la plupart ; 4 – la plupart des détails n'ont pas été définis sur une feuille de papier, mais directement pendant la construction et j'estime que 40 % ont été définis sur le papier et 60 % pendant la construction ; 5 – il y avait une ambiance très familiale entre les membres de l'équipe pendant la construction.

Salon de l’appartement 1 : contre-mur en pisé à incrustations et lits pigmentés // Lukas Gächter / Topophile

Détails du processus

Après avoir choisi de réhabiliter la maison, peux-tu nous décrire le processus de réemploi ? Comment as-tu concilié le réemploi de matériaux parfois d’origine pétrochimique et la généreuse mise en œuvre de terre crue, naturelle et locale ?

Nous avons trié et stocké tous les matériaux qui pouvaient être utilisés. Par exemple, nous avons déchiqueté toutes les planches de bois d'une épaisseur inférieure à 16 mm puis les avons mélangées avec le gravier de 3 mm de l'ancienne couche de chape et de la poudre d'argile. Ce mélange de copeaux, graviers et d'argile a été utilisé pour la construction de cloisons intérieures.

Les seuls matériaux d'origine pétrochimique étaient des panneaux isolants. Nous les avons réutilisés à l'extérieur, de manière judicieuse, en sous-bassement.

La chaîne de montagnes modelée sur l’allège // Raphael Pauschitz / Topophile

Peux-tu nous raconter l’histoire de l’allège de fenêtre de l’appartement d’amis…?

Pour l’allège de l'appartement d'amis, nous voulions représenter un relief de montagne qui s'écoule naturellement. Il s'agissait de jouer avec le matériau argile et de développer des formes les plus diverses. J'aime construire avec l'argile de manière à ce que l'ombre et la lumière puissent se manifester.

En regardant la chaîne de montagnes du côté sud de notre vallée – les Lechquellengebirge –, j'ai toujours retrouvé ce jeu d'ombre et de lumière, et cela m'a toujours fasciné.

Chez nous, les embrasures de fenêtres sont généralement conçues de manière à permettre aux rayons du soleil de pénétrer plus profondément dans l'habitation pendant les mois d'hiver… et sur une fenêtre, nous avons travaillé non seulement les embrasures ouvertes mais aussi la surface de l'allège de manière à ce qu'elle devienne une surface de jeu pour la lumière et l'ombre... tout comme le relief de la montagne en face.

Pendant la phase de construction, l'expérimentation avec les différents matériaux de construction était très importante. Il s'agissait entre autres de réaliser des détails avec de l'argile de manière ludique.

Chantier des contre-murs en pisé // Carlos M. Cambariere / Topophile

Chantier participatif

Le processus de cette réalisation témoigne de l’étendue que peut parfois prendre le métier d’architecte : le temps d’un chantier, tu portes simultanément la casquette d’habitant, d’artisan, mais aussi de formateur, la plupart des artisans étant de jeunes professionnels. Comment s’organisait ce chantier participatif international ?

Au cours du processus de construction, nous avons appris et développé différentes techniques. En cas d'incertitude, nous avons demandé l'avis d'artisans et de techniciens expérimentés. La majeure partie de la solution retenue in fine a toutefois été élaborée et apprise par nous-mêmes. Tout au long du processus de construction, nous n'avons pas hésité à faire des erreurs, car elles nous ont beaucoup appris.

La plupart des collaborateurs n'avaient pratiquement aucune expérience du chantier. Dans la manière dont je vis la construction, l'expérience n'est pas le plus important. À Chiang Mai, nous avons construit une école en bambou et en terre. Nous étions une centaine d'ouvriers sur le chantier à manipuler l’argile. J'étais le seul à avoir de l'expérience dans la construction en terre. Enseigner la technique n'était qu'une petite partie. L'essentiel, ce qui a contribué à la réussite du projet, c'est la motivation de chaque personne. Le chantier de Chiang Mai m'a fait prendre conscience pour la première fois que la motivation et l'enthousiasme sont les éléments essentiels qui contribuent au succès. Tout le reste s’apprend… L'enthousiasme, non.

Je l'ai également ressenti lors du projet à Fontanella. Mon rôle – en plus de la transmission des connaissances – était de diriger l’équipe et, en partie, d'ajuster un peu les aiguillages. Bien sûr, dans ma position, j'avais aussi une grande influence sur l'ambiance générale.

Nous avons construit le projet non pas comme un processus de construction calculé de manière linéaire dans le temps, mais comme un développement progressif d'une structure. La linéarité dans le temps était importante, mais c'était un aspect parmi d'autres. Souvent, les solutions créatives et satisfaisantes n’émergent que lorsque nous nous éloignons de cette structure de pensée.

En fin de compte, tout est une question d'équilibre entre tous les aspects. Mon principal travail a consisté à maintenir l'ensemble de l'équipe dans cet équilibre.

Chantier du sol en terre damée // Earthman / Topophile

De la valeur de cette démarche

Penses-tu que cette démarche constructive devrait être généralisée ? Quel regard portes-tu sur la nécessité de questionner la manière d’exercer la profession d’architecte ?

J'observe une très forte demande, surtout chez les jeunes professionnels, pour créer de la même manière que nous l'avons fait ici.

Pour beaucoup de gens, une attitude plus consciente dans la vie est devenue importante. Nous sommes plus attentifs à la nourriture que nous mangeons, aux matériaux dont sont faits nos vêtements et aux matériaux qui nous entourent dans nos habitations.

La qualité des matériaux est une chose, l'attitude consciente lors de la production en est une autre. Les labels de commerce équitable et de protection de l'environnement pour les aliments, les vêtements et les matériaux de construction ont pris de plus en plus d’importance. Bien entendu, il existe toujours des projets où la construction est un bien de marché crée par des investisseurs pour être vendu à d'autres investisseurs. Ces projets sont optimisés en termes de bénéfices et non en termes d'habitat sain. Ces types de projet sont généralement réalisés selon des méthodes de construction conventionnelles.

Convivialité de chantier participatif, autour du feu // Carlos M. Cambariere / Topophile

Des projets comme celui que nous avons construit à Fontanella voient le jour lorsque des personnes ayant la volonté de construire de manière consciencieuse se rencontrent. Les processus qui découlent de cette attitude fondamentale ne sont généralement pas optimisés en termes d'investissement en temps et en argent.

Notre motivation est de créer des espaces de vie sains, dans lesquels nous pouvons nous épanouir et nous sentir bien. Cette valeur est difficile à mesurer avec des critères conventionnels.

Earthman (Hanno Burtscher) a produit un captivant court-métrage, Shape of Earth [La forme de la terre], réalisé par Carlos M. Cambariere, qui fait revivre le chantier participatif dans toute sa splendeur et montre la mise en œuvre des techniques de la terre crue et des détails constructifs. La bande-annonce est librement visionnable en ligne.

Questions
Alissa Wolff

Réponses
Hanno Burtscher

Documents
Entreprise Earthman (Hanno Burtscher)

Photographies
Earthman & participant·e·s au chantier, Carlos M. Cambariere, Lukas Gächter, Martin Paquot, Raphael Pauschitz, Magdalena Türtscher, Alissa Wolff