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À Rosny, la botte de paille porte l’avenir
Yannig Robert | 15 juillet 2022
Introduction
qui Équipe d’Architecture régénérative, direction Recherche et Innovation, mairie de Rosny-Sous-Bois | Architectes : Emmanuel Pezrès, Charlotte Picard | Ingénieur bois : Yannig Robert | Ingénieurs fluides : Mathieu Lebourhis, Giampiero Ripanti.
quoi Centre de loisirs (1000 m²).
où 7 rue Jacques Offenbach, 93110 Rosny-sous-Bois. Au sein de l’enceinte du groupe scolaire Rosny Bois Perrier–Félix Éboué, entoure d’un quartier de tours d’habitations des années 1960.
quand Études : 2017 | Permis de construire : octobre 2017 | Construction : 2019 | Livraison : février 2020.
comment Structure périphérique (3 façades) : grandes bottes de paille bio porteuses 80 cm, en partie d’agroforesterie en Eure-et-Loir | Structure centrale & 4e façade : poteaux en châtaigner, poutres treillis en sapin des Vosges et peuplier d’Île-de-France (au total 196 m³ de bois non traité) | Enduit extérieur : chaux-sable de 5 cm (chaux 15 %, sable 85 %, paille support d’enduit) | Bardage extérieur : douglas (non traité) | Enduit intérieur : terre-plâtre de 5 cm (terre crue 50 %, plâtre francilien 50 %, paille support d’enduit) | Charpente : sapin des Vosges (non traité), isolant en textile recyclé | Cloisons et parois complémentaires : ossature bois, isolant en textile recyclé | Toiture : bardeaux de châtaigner ou végétalisation extensive | Bardage en toiture : aulne, chêne déclassé, frêne et peuplier d’Île-de-France brûlés | Revêtement en pied de façade : pavés en robinier de bout | Toiture-terrasse : accessible, bacs de végétation, platelage en châtaignier | Circulation : escaliers et cage d’ascenseur en bois lamellé-croisé | Chauffage : panneaux solaires thermiques, cuve de stockage de chaleur inter-saisonnier dans 50 m³ d’eau, poêle de masse | Ventilation : naturelle par cheminées solaires, échangeurs de chaleur à l’entrée | Sanitaires : toilettes sèches.
pourquoi Les communes créent, en fonction de l’accroissement démographique, des centres de loisirs pour accueillir les enfants dans le cadre d’activités périscolaires.
pour qui Les enfants de Rosny-sous-Bois et leurs encadrant·e·s.
avec qui MOA : la direction de l’éducation, la direction des bâtiments, la direction de la commande publique, la direction du foncier, la direction des espaces publics de la ville de Rosny-Sous-Bois | B.C.T. : Apave (Laurent Dandres) | B.E. V.R.D. : CL Infra | A.M.O. pédagogie : Living School (Caroline Sost) | A.M.O. terre crue : le Centre de la terre (Denis Coquard) | A.M.O. biodiversité : Agence régionale de la biodiversité Île-de-France (Marc Barra) | A.M.O. prototype paille porteuse : BatiDéHom (Christian Hamani).
par qui Gros œuvre : Bonnevie & fils | Structure bois : Rialland | Paille porteuse & enduits : APIJ Bat | Menuiseries extérieures : menuiserie David et fils.
combien Coût : 3 707 500 € HT hors V.R.D. | Subventions : 2 400 000 € | Consommation d’énergie primaire : 46 kWhep/m2/an.
Le centre de loisir jacques Chirac est un bâtiment de deux niveaux et 1000 m² construit en bois massif local et en paille porteuse. Il est le fruit d’une conception bioclimatique et l’accent a été mis sur l’utilisation de matériaux locaux et la mise en valeur de techniques frugales comme la ventilation naturelle, les toilettes sèches et la protection solaire.
Mathias Humbert & Hervé Probst | Le projet du centre de loisirs Jacque Chirac nous enthousiasme par la multiplicité des techniques, dites « non-courantes », développées ici. Comment celles-ci ont-elles influencé la conception de la trame structurelle et participé à l’image du bâtiment ?
Yannig Robert | Dès l’avant-projet, il y avait une volonté forte d’utiliser des techniques non courantes [1] pour montrer que la grande créativité dont font preuve les porteurs de projets d’habitats en écoconstruction pouvait aussi être déclinée dans le contexte d’un établissement recevant du public soumis à une cadre plus exigeant.
Nous voulions privilégier le bois massif car il est peu transformé dans sa fabrication et peut être obtenu en circuit réellement court. Ainsi, pour pouvoir utiliser des solives en bois massif dans des sections disponibles et raisonnables, il est nécessaire de limiter les portées et de resserrer la trame entre les files de structure primaire. Nous voulions maintenir le parti du bois massif même pour les fermes de la structure primaire. En se souvenant de l’axiome d’Archimède [2], nous avons conçu des fermes faites d’éléments discrets assemblés de façon à obtenir une grande hauteur statique [3] sans recourir à des sections importantes. Les contraintes dues à la flexion sont inversement proportionnelles à la hauteur statique : c’est donc la principale variable d’ajustement dont dispose l’ingénieur une fois les autres paramètres bloqués, comme c’est souvent le cas pour un bâtiment fait à base de matériaux biosourcés. Au niveau de la liaison poutre–poteau, des forces de cisaillement importantes se concentrent. Afin de les limiter, nous avons choisi une trame de poteaux aussi rapprochée que possible.
Enfin nous avions une idée des forces maximales qui pouvaient être reprises par un mur en paille porteuse de 80 cm d’épaisseur et nous avons dimensionné la portée, donc les charges reprises par ces murs, en fonction de la descente de charge à ne pas dépasser.
Finalement, pour les murs en paille porteuse qui sont au nord, à l’est et à l’ouest, nous avons vite réalisé qu’il était nécessaire de ne pas avoir plus de 50 % de menuiserie pour des raisons structurelles.
Une fois tout cela dit, on pourrait penser que l’architecte de l’équipe n’a plus grand espace pour s’exprimer, mais, dans la pratique, il doit arbitrer entre toutes les contraintes de conception contradictoires. Arriver à un bâtiment architecturalement réussi demande beaucoup de finesse de sa part.
Vous êtes l’une des premières équipes à avoir développé la paille porteuse sur un bâtiment public en R+1. Comment avez-vous intégré les recherches nécessaires à l’utilisation de ce système avec le bon développement du projet ?
Dès le début de la conception, nous avons échangé avec le contrôleur technique pour lister les exigences réglementaires et établir quels éléments nous devions apporter pour qu'il puisse être convaincu que nous les respections. La stratégie était de faire de la « conception par l’essai » et donc de faire un essai structurel « à froid » et un essai R.E.I. [4] final qui prouveraient que les murs en paille porteuse auraient des performances en adéquation avec les exigences relatives à la résistance structurelle et à l'incendie. Cependant, ces essais étant longs et coûteux, il fallait les réussir dès la première itération et donc faire un travail de préparation en amont. Un mur en paille porteuse peut être décomposé en sous-systèmes : bottes de paille, sangles de pré-tension, enduits et lisses haute et basse. Nous savions que les lisses relevaient de l’Eurocode 5 (structure en bois) alors que les autres éléments nécessiteraient de la recherche appliquée. Nous avons très tôt commencé par des essais exploratoires en interne pour répondre aux questions qui nous préoccupaient, notamment la résistance au feu des enduits et des sangles. À tâtons, nous avons découvert qu’un enduit terre-plâtre pouvait être très résistant à la chaleur mais qu’aucune sangle synthétique courante n’y résistait. Nous nous sommes donc orientés vers les fibres de chanvre, mais avons découvert de manière fortuite que le chanvre en contact de bois un peu humide pourrissait en quelques semaines ! À court de temps et à notre très grand regret, nous avons finalement adopté comme solution des sangles en aramide [5]…
Bien qu’il n’y eût aucune raison que le test REI ne fonctionne pas, un grand sens de soulagement a été ressenti lorsque notre mur d’essai avait passé la barre des 30 minutes de résistance.
Régulièrement, nous surveillons le bâtiment et à ce jour il n’y a aucune raison de penser que nous avons manqué quelque-chose lors des essais.
Comment les essais au flambement des murs en paille porteuse vous ont-ils permis d’appréhender et de contrôler ce phénomène structurel ?
Le tassement de la paille est un phénomène élasto-plastique [6] et un mur en paille est peu élancé. Par conséquent, la théorie de la « résistance des matériaux » (R.D.M.) enseignée dans toutes les écoles d’ingénieurs pour résoudre ce genre de question ne s’applique pas ici. Estimer rigoureusement la résistance au flambement d’un mur en paille porteuse par le calcul nécessiterait donc de maîtriser des calculs compliqués dignes d’une thèse de doctorat et de posséder des donnés mécaniques sur le matériau dont nous ne disposons pas vraiment et dans lesquelles nous aurions eu peu confiance. Nous avons donc fait des calculs grossiers basés sur la R.D.M. et affiné en faisant des essais. Ces essais ont montré que le flambement d’un mur en paille ne se passe pas de manière franche [7] et a posteriori que, bien que théoriquement faux, le calcul simplifié donne un ordre de grandeur correct !
Quels sont les dispositions mises en œuvre avec les entreprises Rialland (charpente) et APIJ Bat (paille) pour sécuriser ce procédé constructif ?
Nous étions dans un schéma classique en France où l’entreprise garde la responsabilité ultime de son ouvrage pendant 10 ans. La maîtrise d’œuvre et la maîtrise d’ouvrage se retrouvent donc dans une situation où elles doivent convaincre les entreprises du bien-fondé des choix techniques pour qu’elles acceptent d’en assumer la responsabilité. Cela a été effectué en expliquant au fur et à mesure le « pourquoi » et le « comment » et en rassurant sur les dispositifs techniques mis en place pour minimiser les risques. Les discussions ont parfois été animées et nous avons fait certaines concessions, mais je n’ai pas eu à porter une cravate pour avoir l’air crédible…!
Grâce à votre retour d’expérience, la technique des murs en paille porteuse peut-elle être généralisée à l’intégralité d’une structure R+1 voire plus ?
Physiquement, un mur en paille porteuse fonctionne comme une structure sandwich [8] composée d’une âme en paille et de peaux en enduit. Faute de données suffisantes sur l’interaction entre enduit et paille, nous avons décidé de considérer que seule la paille a un rôle structurel et de justifier notre structure en s’appuyant uniquement sur celle-ci.
Avec cette hypothèse, je pense que ce centre de loisir est déjà à la limite de ce qui peut être fait en termes de paille porteuse. Durant le chantier, il y a eu des moments où j’ai eu peur d’être allé un peu trop loin, mais le recul dont je dispose maintenant me permettrait de tenter à nouveau l’expérience. Concrètement, sont certainement réalisables : un établissement recevant du public en deux niveaux supportés d’un côté par une structure paille et de l’autre par une structure bois, une habitation entièrement en paille porteuse, de petits équipements, etc.
Néanmoins, je pense qu’il serait possible d’aller plus loin plus loin si l’on était en mesure de justifier l’interaction entre la paille et l’enduit, donc d’analyser le mur comme le sandwich structurel qu’il est en réalité. Cette finesse dans le calcul permettrait probablement de devoir moins pré-comprimer le mur que nous l’avons fait, sans avoir à craindre les effets de la relaxation dans la paille, et de supporter des descentes de charges plus importantes. Si j’avais 15 ans de moins, je considérerais sérieusement l’idée de réaliser un doctorat sur le sujet !
D’autres membres du microcosme de la paille porteuse m’ont effectivement reproché d’avoir trop pré-comprimé les murs. Je n’ai aucun regret à ce sujet, il faut accepter de faire avec les connaissances et les moyens qu’on a à un instant donné pour rester du côté de la sûreté. Tant que nous n’appréhenderons pas mieux l’interaction entre paille et enduit, je continuerai à procéder de la sorte.
Comment l’usage de ressources biosourcées a-t-il été accueilli par les enfants & leurs éducateurs ? Le centre a été livré en 2019, quels sont les premiers retours de leur part ?
Pendant le chantier les enfants ont suivi la construction du bâtiment et ils ont été vraiment enthousiastes à l’idée d’entrer dans un bâtiment pas comme les autres. Généralement, les retours ont été positifs. Ce qui est le plus ressenti par les utilisateurs est le confort d’été, bien supérieur par comparaison aux bâtiments dont ils ont l’habitude.
[1] Une « technique courante » est considérée par les assureurs et les industriels du B.T.P. comme respectant par défaut les polices des assurances obligatoires du B.T.P., une « technique non-courante » présente une « aggravation du risque » et entraîne potentiellement une prime d’assurance plus élevée.
[2] « Donnez-moi un point fixe et un levier et je vous soulèverai la terre », attribué à Archimède, fait référence à l’effet de levier.
[3] La hauteur statique d’une structure (poutre, ferme, etc.) est, dans le cas d’un membre horizontal, la distance entre la fibre la plus haute et la plus basse. Pour une poutre ce sera la hauteur de la poutre et pour une ferme latine la distance entre le haut de l’arbalétrier au faîtage et le dessous de l’entrait.
[4] R.E.I., pour résistance structurelle, étanchéité aux fumées et isolation à la chaleur : il s’agit d’un essai normalisé durant lequel un élément est exposé à un incendie d’intensité normalisée et lors duquel est évalué le temps durant lequel ces trois critères sont satisfaits.
[5] Plus communément appelé Kevlar, une marque déposée par DuPont de Nemours. Cette fibre résiste à des températures allant jusqu’à 400 °C.
[6] Se dit d’un matériau qui ne revient pas entièrement à son état initial après avoir été soumis à une contrainte.
[7] La lisse haute commence à « tourner » de manière très progressive et il est donc difficile de décider avec certitude quand le phénomène commence réellement.
[8] Une structure sandwich est une structure composée d’une âme peu résistante et souvent légère et de peaux résistantes et raides qui combinées confèrent à la structure une résistance supérieure à la somme des 3 éléments pris indépendamment.
Questions
Mathias Humbert & Hervé Probst
Réponses
Yannig Robert
Documents
Équipe d’Architecture régénérative, direction Recherche et Innovation, mairie de Rosny-Sous-Bois.
Photographies
Direction Recherche Innovation, Juan Sepulveda.