Introduction
qui Talpa : Arnauld Delacroix | Ville de Saumur | Agence Nationale de Rénovation Urbaine
quoi jardin public du Clos Coutard (7500m2)
où rue du Clos-Coutard, Saumur (49)
quand début des études : juin 2018 | livraison : mai 2021
comment établir un écosystème autonome | 1500 arbres dont 50 fruitiers | sol vivant et perméable | prairies | terrain d’aventure | incorporation de 1800m3 de gravats de démolition | zéro phyto | gestion des eaux pluviales à la parcelle
pour qui les habitants du quartier toutes générations confondues
avec qui Ligue pour la protection des oiseaux | les habitants du quartier
par qui jardin : Edelweis
combien 180 000€ ht | 24€/m2
Sandrine Butron | Le jardin public du Clos Coutard à Saumur surprend. Notamment parce qu’il n’est pas clos. On retrouve bien quelques haies ici et là, mais ni barrière ni grillage, ni rien symbolisant une quelconque limite, comme des lampadaires par exemple. Quelle était votre intention en refusant de matérialiser la clôture du lieu ?
Arnauld Delacroix | Ce sont des sujets qui ont été abordés en phase amont du projet. Nous avons seulement conservé la clôture appartenant à l’ancienne école en partie Nord pour protéger le jardin de la circulation de la rue assez fréquentée. Pour le reste, la clôture est inutile et non-obligatoire d’ailleurs : une prairie et des bosquets viennent mourir sur les anciens trottoirs et cela est suffisant… Il est important aussi que les zones refuges pour la biodiversité puissent comporter les trames verte (la végétation), bleue (l’eau), brune (les sols vivants), blanche (le calme) et noire (nuit naturelle). Le terrain d’aventures du Clos Coutard étant situé en lisière du secteur sensible des Hauts Quartiers, certains élus étaient persuadés que sans sécurisation classique (clôture / éclairage public) des dégradations apparaitraient rapidement dans le jardin. Or, le terrain d’aventure étant d’un aspect très « ébouriffé » et très planté, les dégradations n’ont pas vraiment de prise : par quoi commencer ? tagguer une prairie ? entailler un tronc ? En réalité, ce sont plus des actions d’entretien classiques prodiguées par certains jardiniers communaux qui peuvent déstabiliser l’écologie de ce jardin. Moins l’on intervient sur ce type d’écosystème, mieux cela sera : une fauche en hiver de l’ensemble du site en laissant quelques espaces tranquilles est suffisante pour maintenir les équilibres écologiques. Observer, ménager et préserver devraient être les actions des jardiniers désormais.
Vous avez eu plus ou moins carte blanche. Préalablement à toute réalisation, vous avez convié les habitants, petits et grands, à une réunion publique. À quel point cette rencontre a-t-elle fait évoluer votre proposition ?
La concertation est importante pour ce type de projet. Effectivement, une réunion d’échange et de présentation des intentions a été organisée par la mairie avec le comité de quartier en amont de la transformation. Certaines classes de la nouvelle école construite au bord du site ont pu découvrir le projet pendant la phase travaux. Le conseil municipal des enfants avait aussi fait des propositions, comme la mise en place d’éco-pâturage avec des moutons. Toutes ces rencontres ont permis d’enrichir et de pousser le projet vers le haut. Ceci dit, la surface du site étant peu propice à la mise en place d’un véritable éco-pâturage, nous avons proposé de réaliser des troupeaux en bois faisant mine de circuler entre les cabanes et les jeux : un peu de poésie issue des paysages d’Arcadie n’aurait pas fait de mal… Mais quelques élus peuvent suffire à dénaturer une volonté commune et concertée : « Un troupeau de moutons en bois ? Aucun intérêt. Pas assez ludique ! »
Voisin d’une nouvelle école, ce jardin public – parfois qualifié de terrain d’aventures – s’adresse aux enfants. Ses aires de jeux sont très appréciées. Quelle distinction faîtes-vous d’ailleurs entre ces termes ? N’est-ce pas tout le jardin qui est propice au jeu ? Quels imaginaires et expériences sensorielles proposez-vous aux enfants ?
Effectivement une aire de jeux pour enfants déconnectée de son environnement, ceinturée par une clôture, ne fera pas un projet d’une grande originalité. C’est malheureusement comme cela qu’une mairie, en général, va traiter ce genre d’aménagement sans avoir recours à un paysagiste. Ici ce vaste terrain d’aventures agencé sur le recyclage de la ville sur la ville (1800 m3 de remblais issus du plan de rénovation urbaine), mêle prairies, fruitiers, boisements, mare, mobiliers et jeux pour former une cohérence paysagère et écologique où les enfants et leurs accompagnateurs (parents, grands-parents, nounous…) sont enfin reconnectés, en milieu urbain, à un environnement plus naturel. La mixité des jeux et la volonté de faire appel à la capacité des enfants à créer leurs propres scénarios sont des éléments importants de la conception. La notion de terrain d’aventures prend tout son sens… Et si, en plus, les enfants peuvent observer les insectes et les oiseaux réfugiés dans ce jardin, d’eux-mêmes ou bien accompagnés de leurs instituteurs ou de membres de la LPO (Ligue pour la protection des oiseaux) locale, alors la satisfaction de tous sera au rendez-vous.
Vous avez planté 50 arbres fruitiers et 1500 jeunes plants d’arbres qui constitueront des bosquets dans quelques années. Comment avez-vous pensé les temporalités et les saisonnalités du jardin ? par rapport au calendrier de la commande publique ? de l’école voisine ?
En effet, ce sont une mini forêt urbaine et une clairière naturelle, au centre, qui formeront dans quelques années un îlot de fraicheur pour la population du quartier lors des fortes canicules. Il est grand temps de parsemer les villes de ce type d’équipements afin de commencer une transition écologique frugale et efficace. Les cycles naturels soumis aux saisons sont vraiment très lisibles dans ce jardin. Tout au long de l’année, l’observation des milieux naturels permet de se rendre compte à quel point ces équilibres écologiques sont riches : l’évolution des prairies, même en période de sécheresse, est formidable ! Aux pieds des grandes herbes montées en graines et d’aspect sèches, une multitude de petites plantes bien vertes, elles, se développent, favorisant la vie de milliers d’insectes, d’oiseaux et de petits mammifères. Incorporer des fruitiers dans les plans de plantation est de plus en plus souhaitable ne serait-ce que pour faire découvrir aux enfants comment poussent les fruits qu’ils ont l’habitude de voir dans les grandes surfaces. Mais il y a encore de véritables réticences vis-à-vis de ces fruitiers sur l’espace public : « ça demande de la taille un fruitier ! Ça attire les guêpes ! Les fruits vont pourrir au sol ! Les gens vont casser les branches pour attraper les fruits ! » Ce ne sont que des peurs qui ne se vérifient pas sur le terrain… Et j’ajouterais qu’il y a certainement une sorte de jalousie encore inscrite dans nos têtes qui nous fait redouter que les voisins puissent profiter des fruits de l’arbre, plus que nous !
Une certaine frugalité a guidé le dessin du jardin : un minimum d’intrants et d’entretien pour un maximum de biodiversité. Avec un attention particulière portée sur la gestion de l’eau et la perméabilité du sol. Expliquez-nous les dispositifs que vous avez mis en place.
L’ensemble de l’aménagement du site est basé sur la vie du sol. Une potion magique, véritable concentré de cette vie de sol, a été répandue sur les remblais stériles issus de la déconstruction de certaines parties du quartier. Ces bactéries et ces mycorhizes sont les premières briques de la biodiversité. Vivant en symbiose avec les racines des arbres et des plantes qui composent les prairies, cette vie du sol permet d’infiltrer de grandes quantités d’eau (on parle de ville éponge), de restituer cette eau par évapotranspiration en période de canicule et créer ainsi des îlots de fraicheur tant recherchés, de stocker le carbone dans la biomasse et dans les sols, de purifier l’air et d’obtenir une meilleure santé pour les habitants des villes comme le démontre certaines études. La vie des sols nous sauvera !
Il n’y a aucun réseau d’eau pluvial enterré dans ce projet. Enterrer l’eau, c’est la faire disparaitre visuellement mais la voir réapparaitre de manière violente en cas d’évènements pluvieux extraordinaires ! Nous avons juste interrompu la canalisation récente qui reprenait l’eau pluviale de la nouvelle école et des rues en amont, pour alimenter la mare écologique et pédagogique. Le niveau d’eau de cette mare varie tout au long de l’année et les pluies qui y sont stockées, sont soit évapotranspirées par la végétation, soit diffusées horizontalement à la manière des nappes phréatiques aux abords des cours d’eau, soit infiltrées en profondeur malgré la présence d’argile en fond de mare. Encore une fois, tous les sols réputés imperméables, s’ils sont vivants et végétalisés deviennent de véritables éponges très efficaces. Les coûts pharamineux liés aux systèmes d’assainissement enterrés peuvent être évités en misant sur les notions de nature en ville.
Trois ans après son ouverture, le jardin remplit un rôle social dépassant l’échelle de son quartier. Comment l’expliquez-vous ?
La ville de Saumur n’a pas la culture des jardins. La Loire et des paysages apaisants et nourriciers ont longtemps suffi à satisfaire les populations locales. Aujourd’hui, une urbanisation relativement galopante et une campagne martyrisée par une agriculture industrielle ont détricoté cette relation aux paysages naturels. Le fait que, au cœur d’un quartier sensible, la population puisse se détendre dans cet espace est un vrai bénéfice pour les liens sociaux. C’est un jardin où l’on peut se défouler, jouer, se détendre, discuter, observer… Quel que soit l’âge du visiteur ! Pour ceux qui n’ont pas de jardin, cet espace offre une réelle alternative aux jardins publics classiques.
Pour conclure, le terrain d’aventures du Clos Coutard sert de refuge à une infime partie de la biodiversité autrefois ordinaire, permet aux enfants de s’épanouir au milieu des herbes folles et de retrouver un contact avec la nature tout en mettant en avant la notion de ville éponge et de recyclage de la ville sur la ville… La frugalité permet donc de répondre à nos problématiques d’adaptation des villes aux changements climatiques.
Questions
Sandrine Butron
Réponses & Iconographie
Arnauld Delacroix (Talpa) | écouter une conférence sur les projets de Talpa