Évisa, où l’on vante les arbres

François Tramoni | 30 novembre 2021

Introduction

qui Orma Architettura : François Tramoni, Alicia Orsini, Michel de Rocca Serra & Jean-Mathieu de Lipowski.

quoi Préau de l’école d’Évisa | 110 m².

D 84, 20126 Évisa, Corse | Altitude : 1085 m.

quand 2017–2019.

comment Exploitation, sciage et transformation du bois de la forêt communale.

pour qui Maîtrise d’ouvrage : ville d’Évisa |  Utilisateurs principaux : écoliers du village.

avec qui BET : TECKICEA | Entreprises : charpentiers de Corse.

combien 162 000 € H.T.

Sandrine Butron | Quel est le point de départ de la réalisation de l’auvent d’Évisa ?

François Tramoni | L’auvent d’Évisa est avant tout destiné à l’école du village. Nous pensons que l’architecture possède un rôle pédagogique et qu’elle doit être capable de renseigner ses usagers — ici les enfants — sur la manière dont le bâtiment est construit et d’où les matières proviennent. C’est une façon d’initier les enfants aux grandes questions écologiques que suscite notre discipline. De fait, nous avons proposé une architecture à la structure lisible, facile à appréhender, et constituée de matériaux provenant de la forêt voisine.

Évisa, où l’on vante les arbres
Bûcheronnage [Philippe Pierangeli / Topophile]

On ressent immédiatement un rapport fort entre le paysage montagneux et l’auvent. Comment le lieu a-t-il influencé le choix des matériaux ? Quelles sont les qualités/défauts des deux essences de bois choisies : pin laricio et châtaigner ?

Le choix des matériaux fut immédiat. Travailler avec les essences locales est pour nous un acte de résistance et de reconnaissance à la fois. Nous voulons mettre en valeur les matériaux locaux, montrer que l’on peut construire en filière courte et sans passer par des matériaux industriels et standardisés. Lorsque nous avons cherché à réduire les distances d’approvisionnement des matériaux, l’omniprésence du châtaigner et du pin laricio ont été l’évidence.

Le pin laricio est un résineux particulièrement intéressant. Autrefois, il servait à la confection des mats de bateaux car ses fûts sont très droits. Sa résistance en compression est presque équivalente à celle du chêne, malgré une masse volumique inférieure. Il est également bien plus résistant en flexion axiale. Le choix du pin laricio est donc parfaitement justifié.

En ce qui concerne le châtaignier, c’est un bois de « classe 4 », c’est-à-dire imputrescible. Il résiste donc bien en extérieur, peu d’insectes s’y attaquent et il est résistant aux impacts. Il est donc pertinent de s'en servir pour protéger la structure en pin laricio. Le châtaigner est souvent employé sur notre territoire. Sa teinte chaleureuse est donc familière.

Lors de l’inauguration [Orma Architettura / Topophile]

Cet auvent nous interpelle également par sa volumétrie particulière. Comment s’intègre-t-il à la montagne, au village, au bâti existant ? Comment l’échelle enfantine a-t-elle été prise en compte ?

La morphologie de l’auvent fait référence à celles des toitures du village et au dialogue que nous voulions instaurer avec les sommets et lignes de crêtes. L’implantation même de l’auvent s’oriente vers le ciel au point sud-ouest. Son positionnement est également respectueux du bâtiment auquel il est accolé, car il ne fallait pas altérer sa luminosité. L’auvent n’est pas uniquement destiné aux enfants, néanmoins, nous avons considéré les enfants comme utilisateurs principaux. Le muret sur lequel est posé le garde-corps invite à l’appui pour pousser le regard au loin et sert aussi d’assise. De manière plus importante peut-être, nous voyons ce projet comme un arbre en lui-même. La figure de l’arbre est rassurante. Le projet a une vocation transgénérationnelle. Il doit être un lieu d’abri, de mémoire, et de souvenirs. Il doit être aussi un objet pédagogique racontant un environnement, une histoire et un savoir-faire.

L'intégration de l'éclairage et l'évacuation de l'eau de pluie semblent avoir été subtilement dessinées. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ? 

En effet les eaux de pluie sont rejetées vers des chéneaux dissimulés. Nous voulions conserver la plus grande pureté possible dans les lignes pour clarifier la lecture. Nous avons considéré l’éclairage comme un outil révélateur. Il s’agissait de créer une dichotomie entre le jour et la nuit. En journée, on montre plus volontiers cette toiture et l’ombre, la fraîcheur qu’elle génère. La nuit, nous voulions mettre l’accent sur la sous-structure, des branches pour ainsi dire.

Vue à vol d’oiseau [Orma Architettura / Topophile]

Quelles relations avez-vous noué avec les artisans locaux ?

La première étape a été de mettre en relation les artisans locaux de la filière bois, soit le maître d’ouvrage avec un exploitant forestier, le gestionnaire de la forêt, un scieur et un charpentier capable de mettre en œuvre le bois. Cela s’est traduit par un montage adapté des marchés des travaux, permettant de favoriser l’utilisation de bois local, prélevé dans un rayon des 30 km, tout en respectant le code des marchés publics. Certains ouvrages très précis nécessitaient des savoir-faire non présents sur l’île. Nous avons eu recours à des fournisseurs externes de manière ponctuelle, par exemple pour la poutre maîtresse en lamellé-collé de 13 m de long. Cette dernière est tout de même fabriquée à partir du bois prélevé à proximité du projet.

Malgré le bel écho qu'a reçu ce projet, dont un Prix national bois construction, il semble que ce type de démarche reste isolée. Comment l'expliquez-vous ? 

Nous pensons que ce type de démarche ne peut, en l’état actuel des choses, devenir la norme. Cependant, nous constatons également que le nombre de projets favorisant le circuit court est en augmentation. Le problème réside encore dans la trop grande rigidité systémique de notre activité. Du fait de la normalisation de la construction par les Documents techniques unifiés (D.T.U.), nombreux sont ceux qui sont poussés à utiliser des matériaux industrialisés. Il y a donc une aberration : d’un côté, on cherche à favoriser l’écologie et valoriser les circuits courts, de l’autre on constate la lourdeur technique actuelle. Néanmoins, une certification bois de Corse (Lignum Corsica) est en cours de développement, ce qui va encourager le développement de la filière insulaire. La commande et les maîtres d’ouvrage montrent de plus en plus de volonté à travailler avec des bois locaux, même si cela signifie faire face à certaines embûches. Nous pensons donc que le rôle du maître d’œuvre est d’accompagner ce mouvement.

Questions
Sandrine Butron

Réponses
François Tramoni (ORMA Architettura)

Iconographie
ORMA Architettura