Introduction

qui Association Aurore (Simon Dreano, Mickael Mosset et Diwan Corre) | A+1 Architectes (César Bazin, Octave Giaume, Inès Winckler) | LM ingénieurs (Laurent Mouly, Daniel Racca et Marion Forman)

quoi le sixième toit, ateliers partagés dans un site d’occupation temporaire (120 m²)

Les Cinq Toits, 51 bd Exelmans, 75016 Paris

quand février 2020 – février 2021

pourquoi pour permettre un espace de travail généreux et relever des défis d’ordre social, environnemental et constructif.

comment fermes en bois de réemploi | parois en béton de chanvre intégrant une part de béton de chanvre recyclé

pour qui les résidents et les utilisateurs des Cinq toits, les habitants du quartier

avec qui charpentier :Jessie O’Scanlan | menuiserier : Gautier Jeannerod | chanvre : Gérard Lenain

par qui Abdalla, Abdul Karim, Aimen, Antoine, Araya, Arif, Aude, Bashir, Charly, Dawud, Delphine, Diwan, Shah Mohamad, Abdourahamane, Galad , Ibrahim S., Ibrahim, Ismael, Jacques, Jama, Jamshid, Jesse, Kedir, Kahn Zaman, Mahdi, Marina, Margaux, Michaël, Mohamed A., Mohamed O., Mohammad Asif, Mulgeta, Omar, Oumar, Qudrat, Rashid, Rafiullah, Sabir, Said, Shahab, Simon, Souliman, Tahir, Tasin, Tedros, Tekle M., Teklemaryam, Valentin, William, Yaya, Zabiullah, etc.

combien 60 000 euros (construction et encadrement)

Contexte

Qu’est-ce que « le Sixième Toit » ? Décrivez-nous le contexte (et les protagonistes) des « Cinq Toits » dans lequel le projet s’inscrit tant celui-ci semble avoir dirigé les choix conceptuels et constructifs du projet ?

Ancienne caserne de gendarmerie occupée de manière temporaire par l’association Aurore et Plateau urbain depuis septembre 2018 (pour une durée de trois ans), les Cinq toits est dorénavant un Centre d’Hébergement d’Urgence accueillant 350 personnes en exil ou en situation de précarité et proposant des locaux à des acteurs associatifs culturels issus de l’économie solidaire et sociale. Le Sixième toit combine la rénovation d’anciens garages et à la construction d’une halle au centre. Il abrite « La Bricole », les ateliers partagés d’Aurore, un lieu de fabrication et d’apprentissage des savoir-faire manuels autour des matériaux tels que le bois, le métal, le textile mais aussi de l’électronique, à destination des personnes hébergées et des habitants du quartier.

Si la commande initiale est relativement classique pour un projet de construction, c’est le caractère unique du site, son programme et les protagonistes du projet qui ont entièrement déterminés les orientations de conception et de constructions. La relation étroite développée entre Michael Mosset, Simon Dréano et Diwan Corre (Aurore), Laurent Mouly et Daniel Racca (LM ingénieurs), Jesse O’Scanlan (le Charpentier Volant), Gérard Lenain (formateur construire en chanvre), Xavier Héron (bcb tradiacal) et nous-même (Octave Giaume, Ines Winckler et César Bazin de l’Atelier +1) a permis de faire évoluer le projet pour superposer et développer les volets sociaux, architecturaux et techniques. Pour chacun d’entre nous, le Sixième toit se devait de relever le défi d’un chantier pédagogique à destination des personnes hébergées sur le site des Cinq toits, créant ainsi un espace de rencontre, de transmission et de sensibilisation à la construction durable, au réemploi et aux savoir-faire traditionnels.

Le Sixième Toit : charpente nomade
A+1 - La bricole - Dessin axonométrique [Diwan Corre]

Articulation

« Réemploi », « Participation », « Bricolage » sont les trois pieds inséparables de votre projet. Comment se manifestent-ils et comment s’articulent-ils ?

Nous dirions plutôt que c’est l’articulation « Réemploi – Artisanat – Transmission » qui caractérise ce projet.

En effet le bois des fermes provient de la dépose de la charpente et des planchers d’une réhabilitation francilienne sur lequel travaillait également notre bureau d’études, tandis qu’une partie du chanvre incorporé dans nos parois est issue de la démolition d’un petit pavillon des Grands Voisins. Ce fut d’ailleurs l’opportunité d’un projet de recherche en partenariat avec l’ADEME, BCB Tradical et LM ingénieurs sur l’analyse du cycle de vie du béton de chanvre. Bois récupéré et chanvre recyclé furent mis en œuvre lors de chantiers participatifs in situ sous la houlette d’artisans qualifiés.

Travailler avec des éléments de réemploi impose un traitement des matériaux récupérés et nécessite alors, par rapport à un matériau neuf, une main d’œuvre plus spécifique et plus qualifiée sur chantier. C’est dans le cadre du Dispositif Premières Heures, mis en place par Aurore aux Cinq Toits, que nous avons pu faire appel à des travailleurs en insertion qui ont pu analyser, inventorier et retravailler les différents bois. Ces gestes se doublent d’un regard du charpentier qui sélectionne et place les pièces à la meilleure position dans le bâtiment.

Un cadre de transmission s’installe naturellement sur le chantier, l’artisan délivre ses connaissances aux participants du chantier, expliquant outils, postures, assemblages, principes structurels. Et parfois les rôles s’inversent, les résidents partagent alors les connaissances, les méthodes et les savoirs de leurs pays d’origine et les partagent. Chacun est à l’écoute de l’autre.

Le chantier de charpente se déroule de manière traditionnelle, les outils manuels sont privilégiés aux outils électroportatifs électriques. Le chantier est donc à faible nuisance pour le voisinage, mais surtout il favorise les échanges verbaux entre tous les participants. Les outils sont légers et précis, le bois récupéré est dur et de bonne qualité. Et si certains font des erreurs, cela fait partie de l’apprentissage, il suffit de réessayer pour réussir.

A+1 - Le Sixième Toit - Taille des pièces de charpente [A+1]

Temporaire vs. nomade

Si des matériaux et des structures trouvent de nouveaux usages (vous le prouvez ici), une architecture conçue pour un public, un temps et un lieu précis peut-elle se réinventer ? Comment avez-vous préparé la deuxième vie de votre bâtiment, une fois l’aventure des Cinq Toits achevée (août 2021) ?

L’espace central du Sixième toit, a été conçu comme une halle ouverte, permettant d’abriter divers programmes et usages intrinsèques au lieu où elle prendra place. Lorsqu’elle sera démontée pour être remontée, par exemple dans un nouveau centre d’hébergement d’urgence, il sera nécessaire de questionner sa vocation au regard des paramètres et des besoins du site. Sa forme, sa taille et sa conception lui confèrent la possibilité d’évoluer, autant dans l’implantation que dans l’usage.

Nous avons ainsi, dès la commande initiale, intégré ces paramètres de démontabilité et de réassemblage du bâtiment. L’architecture n’est plus temporaire mais nomade à l’image des peuples amérindiens ou berbères repliant leurs villages au gré des saisons et des ressources. Si ce caractère nomade révèle la précarité des centres et de leurs hébergés devant revoir leur stratégies et aménagements en permanence, il n’impose pas en revanche de faire une architecture éphémère à usage unique.

La charpente a donc été conçue comme un élément structurellement indépendant des garages existants, elle pourra être transportée par fragments. Les murs en béton de chanvre fonctionnent quant à eux sur le principe de panneaux aux dimensions standards démontables et manuportables. Dans une autre configuration, ces panneaux pourront clore la halle sur ses quatre côtés.

L’Association Aurore a désormais la possibilité de réutiliser cette halle, et ainsi de la considérer lors de la prospection et aménagement de ses futurs sites.

A+1 - le Sixième Toit - Formation béton de chanvre [A+1]

Toit

Est-ce cet imaginaire nomadique (le tipi des amérindiens, la tente des berbères) qui vous a conduit à concevoir un toit ? Que symbolise le toit (en général) pour ces personnes d’horizons variés qui ont participé au « 6e toit » ?

C’est la contrainte d’occupation temporaire qui nous a conduit au nomadisme, ne souhaitant pas se résigner à faire une architecture à usage unique. C’est de la nécessité, du contexte et surtout de la ressource qu’est né la forme du projet. Ce toit a pris peu à peu une importance toute particulière car nous voulions, au-delà du clin d'œil aux cinq autres « toits » du site, donner une qualité particulière et inattendue à ce délaissé du site, en faire un espace à la fois spectaculaire et chaleureux.

Il est délicat de répondre à la question de la symbolique du toit pour les résidents, il faudrait pour cela leur demander directement… Même si on peut bien sûr imaginer quelle charge symbolique elle peut avoir pour des gens qui en ont été dépourvus, à un moment donné de leur vie.

A+1 - le Sixième toit - Montage charpente [A+1]

Temporalités

Architecture temporaire à partir d’éléments de réemploi, le Sixième toit entremêle les temporalités (courtes et longues), quelle place accordez-vous au temps dans la conception de l’espace ?

Le facteur temps, dans des typologies de projets comme celle du Sixième toit est un point primordial lors des phases de conception. L’occupation temporaire et transitoire par un centre d’hébergement d’urgence n’offre généralement que de très courtes temporalités de l’ordre de deux à trois années rarement reconduites. À chaque emménagement dans un nouveau lieu, tout est à refaire, à repenser.

C’est pourquoi l’énergie dépensée pour la valorisation d’un espace extérieur en y créant un nouveau bâtiment ne pouvait pas dans notre conception se limiter au « temps » de l’occupation de l’ancienne caserne Exelmans. La temporalité du Sixième toit se positionne au-delà et intègre potentiellement plusieurs occupations temporaires de différents centres.  

Les éléments de construction, le choix des matériaux et la conception de leur mise en œuvre doivent donc intégrer à la fois leur montage mais aussi leur démontage, participant ainsi à l’histoire inscrite dans les matériaux eux-mêmes. Certains en sont déjà à leur deuxième, voire troisième vie. Le Sixième toit n’est finalement qu’une étape dans leur vie tumultueuse de matériaux de construction.

Bien que nous aurions pu imaginer la nécessité d’un chantier rapide pour une mise en service des ateliers sur la durée la plus longue possible, le temps du chantier s’avère en réalité aussi important que son activation. Le chantier est le théâtre quotidien d’interactions, de mouvements, de générosités et de questionnements qui participent grandement à la vie du site des Cinq Toits.

A+1 - le Sixième Toit - Charpente et isolation chanvre [A+1]

Chantier participatif

La mise en œuvre d’un projet par un chantier participatif nécessite-t-elle une conception particulière ou du moins une posture singulière ? Chaque bâtisseur ne n’enrichit-il pas d’une manière ou d’une autre le projet ? Je pense, ici par exemple, aux simples échanges linguistiques et culturels autour du geste de bâtir.

Décider de faire un chantier intégrant les résidents a été déterminant dans le processus de conception du projet. Il a fait partie intégrante de nos questionnements dans la phase étude, mais aussi in situ : sur le chantier, ces questionnements ont évolué au fil de la participation des résidents.

Le projet initial avait été dessiné en fonction d’un principe de formation simple qui était l’apprentissage par répétition des gestes et des assemblages. La charpente prenait alors la forme d’une nappe de fermettes serrées et identiques, pour que chaque personne formée puisse gagner en autonomie après plusieurs répétitions de la même tâche, un principe qui semble, avec le recul, moins intéressant.

Avec des poutres en bois de réemploi, la charpente a pris une toute autre direction et la question de la formation se posait alors autrement, et révélait d’autres questionnements. Les échanges avec le charpentier et les équipes d’Aurore ont donc été très importants. Nous avons évalué collectivement la faisabilité d’une charpente traditionnelle, de l’épure au levage, par un public non sachant sur chantier. Certes la technicité de la mise en œuvre était importante, mais le désir d’expérimenter et de transmettre un tel savoir-faire a eu raison de nos appréhensions.  

Sur le site, la constitution de l’équipe de résidents participant au chantier s’est principalement basée sur la motivation et la disponibilité, pas nécessairement sur des compétences techniques et linguistiques. Au total plus d’une vingtaine de résidents aux profils différents et aux origines variées (Afghans, Érythréens, Maliens…) ont participé au chantier.

Pour faciliter les échanges, et faire découvrir le vocabulaire très spécifique des outils et des gestes du chantier, nous avons décidé de mettre en place un accompagnement linguistique avec une compagnie de théâtre qui dispensait déjà des cours de français sur le site. Ces cours ont eu lieu jusqu'à deux fois par semaine, alimentés de supports graphiques et textuels traduits en français et anglais et mis à dispositions des participants.

À la suite de cela les résidents ont été invités à compléter ce lexique en traduisant dans leur langue maternelle les éléments de chantier qu’ils ont pu manipuler. Ce lexique polyglotte fera d’ailleurs l’objet d’une petite publication.

A+1 - le Sixième Toit - Assemblages charpente et menuiserie [A+1]

Bricolage

Si le projet architectural se nomme le « Sixième toit », l’activité qu’elle accueille relève du bricolage et s’appelle justement « la Bricole ». Architecture et bricolage sont-ils compatibles ?

« La Bricole » est la contraction de « Bricoler » et d'« École ». C’est la transmission qui est au cœur de ce projet, sous la forme d’ateliers thématiques, de formations dispensées par des artisans et compagnons, motivé par le cadre particulier des Cinq toits. 

Gageons que des bricoleurs y entreront et que des « artisans » en sortiront…

Le bricolage peut-il donner naissance à une architecture ?

C’est une question intéressante, qui peut en effet résonner dans notre pratique dans la mesure où nous sommes tous passés par le bricolage pour « faire », nous invitant de manière instinctive à travailler avec nos mains, expérimenter, tester librement et sortir de l’enseignement théorique des écoles d’architecture.

De manière courante le bricolage se définit comme une action instinctive, non préparée ou planifiée. Il relève d’actions de réparation ou d’installation à de petites échelles liées à l’ameublement, aux objets, à la décoration ou bien encore des interventions sur un réseau d’eau ou d’électricité. Le bricolage est souvent effectué par une personne amatrice, et ne cherche pas à suivre les règles de l’art, mais plutôt à résoudre un problème, par les moyens disponibles.

On peut néanmoins imaginer qu’il puisse donner naissance à des formes d’architectures, hors cadre, hors norme. Peut-être à des formes d’habitats organiques nées de la nécessité première de construire un abri, de répondre à un besoin. Celui-ci est alors construit avec les « moyens du bord », empiriquement, guidé par l’instinct du bricoleur.

Propos recueillis par Martin Paquot