Maison Feuillette, 100 ans et pas un brin blanc

Gustave Lamache | 11 octobre 2020

Introduction

Inaugurée le 11 octobre 1920, il y a 100 ans, jour pour jour, la maison Feuillette à Montargis met en œuvre pour la première fois une ossature en bois et des bottes de paille. À l’occasion de cet anniversaire et de son inscription au titre des monuments historiques, nous republions un article écrit par le journaliste Gustave Lamache et publié dans le magazine la Science et la vie en mai 1921, augmenté de plusieurs photographies prises par nos soins. Aux nombreuses qualités de la construction en paille déjà identifiées et indiquées en 1921 (disponibilité de la ressource, économie de la construction, confort de l’habitat, etc.), celle de sa pérennité n’est plus à mettre en doute. Hissés dans les combles de la maison Feuillette, nous avons humé et tâté des bottes d’un siècle, figées dans le temps !

qui Émile Feuillette, ingénieur constructeur
quoi Maison individuelle, devenue en 2013 le Centre national de la construction paille (C.N.C.P.) | 100 m2
69 bis rue des Déportés et des internés de la Résistance, 45200 Montargis
quand 1920
comment Ossature de poteaux armés en bois | hourdis en bottes de paille de blé | enduit extérieur à la chaux | enduit intérieur au plâtre | couverture en tuiles de terre cuite

La maison de paille ! L’association de ces deux mots est bien de nature à provoquer de l’étonnement, même chez les personnes les mieux préparées aux hardiesses de la conception dans l’art de construire. Et cependant, il n’en est pas moins acquis, à l’heure actuelle, que la maison de paille est une réalité visible et palpable, déjà reproduite en France à plusieurs exemplaires et dont la ville de Montargis a eu la primeur au cours du dernier automne.

Maison Feuillette, 100 ans et pas un brin blanc
Maison Feuillette à Montargis, octobre 2020 // Raphael Pauschitz / Topophile

Je note tout de suite qu’il ne s’agit ni d’une « paillotte » comme ceux qui sont allés aux Indes en ont pu voir, ni d’une de ces maisonnettes entourées et recouvertes de glui [paille de seigle, N.D.E.] et baptisées chalet normand ou suisse, sans doute parce que nulle part, en Suisse, on ne voit de maisons aux toitures de chaume. Les visiteurs qui viennent se rendre compte eux-mêmes, à pied d’œuvre, remportent l’impression qu’un chapitre nouveau s’est ouvert au livre de la construction et qu’une activité féconde ne tardera pas à sortir de l’idée originale que vient de réaliser M. Feuillette, inventeur de la grenade à fusil et créateur de la maison de paille.

La reconstruction des fermes et des habitations paysannes dans les régions dévastées par l’ennemi peut se trouver accélérée par l’utilisation de matériaux abondants et peu coûteux, et le problème des maisons ouvrières peut être résolu par la même méthode.

Disons que ce dernier point de vue n’a pas été l’un des moindres qui aient poussé M. Feuillette dans la voie des recherches pour réaliser une maison agréable à habiter, confortable, hygiénique et de longue durée, et qui fût en même temps d’un prix de revient compatible avec les possibilités pécuniaires des petits employés, des retraités aux modestes pensions et des travailleurs manuels. Ce problème de l’habitation ouvrière, les constructions en pierre ou en briques sont actuellement incapables de le solutionner en raison de leur prix prohibitif ; pas davantage les maisons en bois et toutes les constructions légères à parois minces qui, si elles sont d’un coût sensiblement moins élevé, ne répondent pas aux conditions de durée, d’isothermie, de confort et d’hygiène remplies au contraire, au premier chef, par les maisons de paille.

Ossature de la maison de paille dite isothermique. La toiture est complètement achevée, alors que les murs, les portes et les fenêtres n’existent pas encore. // La Science et la Vie, 1921 / photographie restaurée par Topophile

Mais qu’est-ce que la maison de paille ? Et comment tous les avantages poursuivis par l’ingénieux promoteur de ce nouveau type de construction ont-ils été réalisés ? Sa caractéristique essentielle réside dans la composition de ses murs dont l’épaisseur est constituée par des potelets en lames de bois, très simplement agencés et entre lesquels sont disposés des blocs de matière végétale prise sur place, de paille dans la généralité des cas, mais dont la nature peut varier selon la production de la région.

La construction est recouverte d’une toiture appropriée, tuile, ardoise, fibro-ciment. etc., ou encore, dans un but d’économie, de nattes ou tapis de paille ignifugée cloués sur des lattes en bois chevauchant les unes sur les autres comme des tuiles. L’ossature principale de la construction est constituée par une charpente en bois composée de fermes et de poteaux. Ces fermes et ces poteaux sont faits d’assemblages peu compliqués de pièces de bois minces qui réalisent des ensembles rigides et légers préparés à l’avance et montés sur place.

La confection des « moellons » de paille pour le remplissage des murs. Les blocs sont débités à pied-d’œuvre par une machine spéciale qui comprime fortement la paille. // La Science et la Vie, 1921 / photographie restaurée par Topophile

L’ensemble de l’ossature repose sur une fondation établie suivant la nature du terrain, mais, dans tous les cas, peu importante en raison de la légèreté de la construction. Une feuille de carton bitumé ou enduite d’un produit hydrofuge est interposée entre la fondation et les murs pour empêcher l’humidité de remonter par capillarité. Afin d’augmenter la rigidité du bâtiment, les poteaux d’angle sont renforcés par des pièces de bois formant en même temps des motifs décoratifs et reliés par des tirants aux autres poteaux pour constituer un chaînage, le nombre des chaînages variant suivant la hauteur de la construction. Les blocs de paille pressés qui assurent le remplissage des murs sont de forme parallélépipédique. Leur largeur correspond à l’épaisseur des murs et leur longueur à l’écartement des poteaux. Ces balles sont empilées les unes sur les autres, la hauteur du bâtiment correspond à la hauteur totale du nombre des balles superposées.

Après montage, le mur est recouvert sur ses deux faces d’un grillage à mailles assez fines, sur lequel est plaqué un enduit. La surface extérieure peut recevoir un crépi moucheté ou tout autre revêtement varié avec décorations et la surface intérieure est recouverte d’un enduit de plâtre composé sur lequel peuvent être fixés des papiers ou des tentures, comme sur des murs ordinaires. Les cloisons intérieures sont constituées par des panneaux formés de montants et de lattes à plafond fabriqués en usine et reliés ensemble au montage puis recouverts d’un enduit au plâtre. Les planchers sont composés de solives sur lesquelles reposent du parquet ordinaire ou des bardeaux. Les plafonds sont faits de plaques de plâtre armé suspendues aux solives. Les ouvertures, portes et croisées, sont montées sur des châssis fixés sur l’ossature principale. Leurs dimensions sont déterminées d’une part par l’écartement des poteaux et, d’autre part, par la hauteur et le nombre de balles de paille qu’elles remplacent. C’est toujours la simplicité et l’économie.

Les murs de la maison isothermique commencent à prendre tournure. Les blocs de paille comprimée sont superposés entre les montants de bois dont ils occupent toute l’épaisseur. // La Science et la Vie, 1921 / photographie restaurée par Topophile

Dans le cas où la maison ne comporte qu’un rez-de-chaussée, l’aménagement intérieur comprend un fourneau de type spécial servant à la fois de cuisinière et de calorifère, une installation de chauffage central par des bouches de chaleur alimentées par l’air chaud provenant du calorifère-cuisinière. Une cheminée extérieure constituée par un tuyau en ciment muni d’un capuchon orientable sert à l’évacuation des fumées. Il est évident que la disposition générale des pièces peut varier par la seule disposition des poteaux et des fermes constituant l’ossature principale et dont les dimensions dépendent de la portée des fermes, de l’écartement des poteaux et de la dimension des balles de paille employées au remplissage. On peut édifier de la même façon des maisons à étage et en général tous les types d’habitation, la souplesse du système se prêtant facilement à toutes les conceptions constructives et architecturales.

Un dispositif permanent permet la désinfection de la maison isothermique Feuillette par l’établissement, dans la masse végétale constituant le remplissage des murs, d’un réseau de conduits comportant des ouvertures. Ces ouvertures permettent l’injection d’agents désinfectants (aldéhyde formique, sulfure de carbone, gaz sulfureux, etc.) destinés à se répandre dans l’épaisseur de ces murs et à traverser les enduits perméables pour détruire toute la faune animale ou microbienne : rats, souris, insectes de diverses familles, ou germes pathogènes qui hantent à l’ordinaire nos habitations. [Selon le propriétaire actuel du bâtiment, le Centre national de la construction paille, ce dispositif n'aurait jamais été utilisé, le recul montrant que la paille ne nécessitait pas de traitement pour sa préservation, N.D.E.]

En outre des nombreux avantages que nous venons de signaler et dont le désir de les réaliser a guidé M. Feuillette dans ses recherches, il est évident que l’emploi pour la construction des murs de matières végétales produites à pied d’œuvre par la région où l’on veut bâtir — paille de blé, de seigle ou d’avoine, roseaux, ajoncs, genêts, ronces, branchages ou autres matières susceptibles d’être comprimées à l’aide de la presse à fourrage — permet une grande économie sur les frais de transport habituels. La possibilité de produire en grande série, en usine, tous les potelets, fermes et autres éléments de la charpente rigoureusement « standardisés » assure d’abord un prix de revient extrêmement avantageux et ensuite la possibilité de construire dans des délais très courts sans être obligé de recourir à une main-d’œuvre particulièrement experte.

La maison isothermique est complètement close et couverte. Les murs attendent leur enduit ; mais telle qu’elle est, la construction est déjà suffisamment engageante. // La Science et la Vie, 1921 / photographie restaurée par Topophile

Les murs, constitués comme nous venons de les décrire, forment, malgré leur épaisseur, un ensemble élastique et léger permettant de monter la construction sur des fondations peu profondes ou même sur une base qui peut être en bois, en béton, en briques ou en tout autre matière appropriée. Le matelas d’air diffusé entre les brins de paille qui sont peu comprimés assure un isolement qui est d’autant plus rigoureux que les murs ont en moyenne 0,4 m d’épaisseur. Dans ces conditions, les variations de la température extérieure restent à peu près sans influence sur le thermomètre dans les pièces de l’habitation, et c’est à bon droit que la maison de paille de M. Feuillette a pu être qualifiée de maison isothermique.

Les étables, les magasins pour denrées périssables, les chais, les caves, tous les endroits où la constance de la température est la qualité qui prime toutes les autres peuvent être édifiés dans des conditions d’autant plus avantageuses que le type du bâtiment industriel ou agricole, c’est-à-dire celui qui comporte seulement des murs, des portes et une toiture, sans complication d’escaliers, de cloisons, de plafonds, de quincaillerie, de papiers peints et d’aménagements divers, est celui où le système Feuillette met le mieux en évidence sa supériorité dans l’économie de construction.

Les murs de ce vaste hangar seront également faits de « moellons » de paille. [Ce ne sera vraisemblablement jamais le cas et le hangar existe toujours tel quel, N.D.E.] // La Science et la Vie, 1921 / photographie restaurée par Topophile

La simplification systématiquement recherchée dans tous les moyens de réalisation, les innovations originales obtenues dans les méthodes de travail, innovations toujours basées sur une observation psychologique justement et longuement poursuivie, viennent ajouter aux avantages déjà énumérés une série d’améliorations extrêmement intéressantes dont le détail serait trop long à donner, mais dont tous les autres modes de construction actuels sont appelés, sans nul doute, à faire bientôt leur profit. D’ailleurs, le succès obtenu par les premiers types de maisons de paille déjà édifiés prouvent bien que leur créateur n’est pas seul à croire, dans son imagination d’inventeur, à l’avenir de son idée, mais que le clair bon sens, si largement répandu en France, a fait siens les plans de la nouvelle architecture et qu’il est prêt à lui demander beaucoup pour la satisfaction économique et rapide des besoins immenses de notre pays. On peut encore envisager un autre avantage que la maison de paille est susceptible de procurer à son propriétaire ; nous voulons parler de son déplacement possible, puisque toutes les parties en sont facilement démontables. Ce ne sont pas les légers enduits revêtant ses murailles végétales qui peuvent s’opposer à cette opération.

Édition originale 
Gustave Lamache, « Fraîches en été, chaudes en hiver, les maisons de paille sont avant tout économiques », la Science et la vie, avril–mai 1921, 56, 481-486.

Photographies & illustrations
Raphael Pauschitz, la Science et la Vie (restaurées par Topophile), Centre national de la construction paille, Luc Floissac