rural éducation bois paille matériaux sains corps / ergonomie
Une crèche en Avesnois ou les bouts de bois des bouts de chou
Amélie Fontaine | 23 juillet 2021
Introduction
qui Atelier Amélie Fontaine (architecte mandataire)
quoi Crèche de 24 places (400m2 dont 354m2 SU chauffée)
où Allée des Tilleuls, 59530 Villereau-Herbignies
quand Début des études : 2012 | Chantier : 2015–2016 | Livraison : juillet 2019
pourquoi Proposer un service de crèche dans une petite commune du Nord de la France, et plus largement participer au redéploiement de services de proximité qualitatifs en milieu rural
comment Structure poteaux-poutres, fermes et bardage extérieur en chêne local | Enveloppe extérieure en caissons de peuplier local | Isolation fibre de bois, laine de bois et paille locale | Plafond en lame ajourée de frêne local | Mur rideau bois triple vitrage | Menuiseries bois triple vitrage | Bardage et couverture zinc à joints debout | Revêtements sols en caoutchouc naturel | Dalle béton avec isolation polyuréthane sous chape | Mobilier en frêne massif et tripli | Terrasse en chêne
pour qui SCI CX Lacaille + SARL crèche Cécile Lacaille
avec qui BE thermique-environnement-fluides : Géonomia | Economie : Cabinet Ghesquière Dierickx | Ingébois structure | Akoustik
par qui Gros œuvre : Tommasini construction | Structure enveloppe bois : Création bois construction | Couverture zinc : Ets Jose Dehanne | Menuiseries ext. alu : Fermetures J. Auquiert | Menuiseries ext. bois-alu: entreprise Buquet | Plâtrerie : Cannata sas | Menuiseries int. bois : Menuiserie Pirson + Menuiserie Fremy | Mobilier : Etabli Saint Anne + Thierry Leveque | Ventilation, chauffage, plomberie : Samit | Électricité: Devred | Carrelage : CRM | Peinture, sols souples : Sambre avesnois entretien
combien 944 000 € HT hors mobilier + 240 000 € HT de mobilier | 59 tonnes de CO2 stockés dans le bois et la paille mis en œuvre | Besoin en énergie : 20kW/h/m2/an
La pédagogie
Chloé Cattan | Cette crèche est d’abord le fruit d’une rencontre : un couple vous contacte en 2012 pour donner corps à leur projet de crèche, dont ils seront les futurs gestionnaires et utilisateurs. Cela a nécessité une véritable collaboration, déterminante dans la méthode de travail…
Amélie Fontaine | La maîtrise d’ouvrage était un couple, Cécile et Xavier Lacaille, parents de quatre enfants et avec l’envie de changer l’approche du mode de garde. Ils désiraient s’ancrer dans le territoire, avaient le souhait de « bien construire, créer des emplois, trouver des solutions adaptées aux contraintes de l’Avesnois ». Mais ils n’avaient jamais participé à un projet de construction : ils ne connaissaient ni les méthodes, ni les possibilités. De mon côté, j’étais installée dans l’Avesnois depuis un an et je remettais tout en question tant mes méthodes de travail que mon mode de vie.
Ce petit noyau porteur du projet, auquel s’est adjoint Valérie Kahle sur le projet éducatif, a commencé à réfléchir en 2012 et le chantier a débuté en 2015. L’équipe pédagogique de la crèche a été recrutée pendant le chantier, ce qui nous a permis d’avoir des échanges complémentaires avec la future directrice (puéricultrice) et la directrice adjointe (éducatrice jeunes enfants).
Pendant ce temps long de l’échange, nous avons visité des chantiers, analysé des références en Allemagne et en Autriche mais aussi lu des livres sur la pédagogie. Maria Montessori, Célestin Freinet et Janusz Korczak ont guidé les principes du projet éducatif sur les questions d’autonomie, de liberté et des droits de l’enfant et sur les principes de l’enfant acteur et auteur de son apprentissage. Je connaissais déjà Célestin Freinet, car mon grand-père enseignait selon cette pédagogie dans le village où j’exerce aujourd’hui. Maria Montessori est très connue mais un peu utilisée à tort et à travers, on a tendance à utiliser sa pédagogie de manière figée alors qu’elle dit clairement qu’il faut s’adapter, l’adapter et la laisser évoluer. Janusz Korczak fut une vraie découverte, avec notamment les livres Comment aimer un enfant (Robert Laffont, 2006) et Les règles de la vie (Fabert, 2013). L’influence de ces lectures n’a pas été directe, mais elle a permis de composer un argumentaire pour faire différemment et a influencé mon état d’esprit dans la conception, notamment sur la liberté de mouvement et la minimisation des cloisons. Nous avons ainsi co-construit un programme avec des valeurs portant sur l’usage, la construction, la pédagogie. Nous avons retourné les enjeux du projet, en positionnant la santé en premier et le confort en second.
Le site
Dans quel contexte géographique se situe le projet ? Aviez-vous des contraintes particulières à prendre en compte ?
Au départ, il n’y avait ni terrain ni programme — juste une envie de travailler ensemble. Nous avons défendu le projet ensemble auprès des mairies pour trouver un terrain bien exposé (au moins une façade plein sud sans masque solaire), bien situé (près d’un axe majeur entre le cœur de l’Avesnois et Valenciennes) et pour convaincre les institutions locales (la Protection Maternelle Infantile ou P.M.I., notamment) de faire différemment.
Le projet s’est implanté dans le hameau d’Herbignies, né d’une urbanisation ancienne le long de la route qui mène la forêt de Mormal au village de Villereau. Le hameau est lié à l’exploitation du bois de la forêt pour un ancien artisanat de sabotiers. Il s’est récemment développé au détriment du bourg historique, 2 km plus à l’ouest — le village de Villereau-Herbignies est ainsi très étendu. Néanmoins, un point central s’est constitué et le hameau d’Herbignies s’est épaissi le long d’une rue perpendiculaire pour accueillir un lotissement, une maison de retraite, une salle de sport, une salle des fêtes ; l’école est également à proximité.
Le terrain de la crèche est une ancienne pâture entre ce lotissement et l’axe principal. La mairie a profité de l’installation de la crèche pour aménager l’espace bordant la voie principale, en organisant un parvis, des stationnements, des boulodromes, un pavillon pour l’association de colombophilie.
Le bois
Répondant à un appel à projet du Conseil Régional, vous développez une démarche expérimentale autour de la (re)constitution d’une filière bois locale.
L’appel à projet a été une opportunité pour tester des modes constructifs et mieux construire. Nous avons développé tous les critères du cahier des charges de la Région : utilisation de bois d’essences régionales, recours aux énergies renouvelables, utilisation de matériaux biosourcés, gestion domotique du bâtiment…
Nous avons choisi de mélanger plusieurs systèmes constructifs.
Le poteau-poutre permet d’éviter les murs porteurs intérieurs et de pouvoir adapter le cloisonnement « à volonté ». Il est idéal pour la mise en œuvre d’une façade-rideau vitrée, mais est peu adapté aux contraintes des parois extérieures isolées en paille.
L’ossature périphérique héberge donc l’isolation en paille. Il s’agit d’échelles en peuplier (doubles montants connectés entre eux ponctuellement), permettant de constituer l’ossature de 36 cm d’épaisseur tout en minimisant l’utilisation de bois. La laine de bois insérée dans les interstices de l’échelle permet d’éviter les ponts thermiques et d’atteindre un niveau de performance « passif ».
La charpente constituée de fermes traditionnelles a permis d’éviter le recours au lamellé-collé pour franchir l’espace.
Ces choix ont aussi été orientés par les essences de bois, les sections et les longueurs disponibles. Les sections les plus grosses, en chêne, servent à la structure principale tandis que les plus minces, en peuplier, forment les structures secondaires.
S’approvisionner dans la région a été difficile alors même que nous construisions à côté de la forêt de Mormal, une des plus grandes ressources sylvicoles de la région. La filière bois régionale n’était alors pas assez développée (la région gère dorénavant une plateforme de stockage). Si la ressource existait, les grumes de chênes, hêtres et frênes étaient directement exportées vers l’Asie via le port d’Anvers. Par ailleurs, seules deux scieries étaient encore en activité à proximité : l’une produisait des palettes et caisses, l’autre sciait du bardage. Après avoir élargi nos recherches au Pas-de-Calais, nous avons dû mettre le chantier en attente (environ six mois) pour faire venir du chêne de Bourgogne.
Nous avons dû composer avec ce manque de bois. Par exemple, la trame du bâtiment a été revue plusieurs fois pour trouver des logiques économiques et éviter de solliciter des collages en atelier ou en usine. On est passé d’une trame de 6 m d’entraxe à une trame de 5,40 m. La différence est faible mais ça a remis en cause l’organisation générale.
La présence de poteaux a également posé problème. Au lieu d’avoir deux salles d’activités, nous avons conçu un seul lieu, subtilement composé en deux sous-espaces, qu’un rideau peut diviser. Il a fallu convaincre tout le monde pour intégrer un rideau séparatif dans une crèche… Dans un premier temps, les poteaux sont passés inaperçus sur les plans meublés, mais lors de la visite de la P.M.I. sur le chantier, les arrêtes créaient des inquiétudes… Il aurait fallu les transformer en poteaux ronds, alors que nous étions en train de poser le sol souple. Après discussions, les compagnons ont dû raboter les angles et poncer le poteau complet !
Le bioclimatisme
Les choix de matériaux ont aussi été guidés par la volonté première de concevoir un lieu de vie sain et confortable. Plusieurs dispositifs bioclimatiques participent également au confort général. Pensez-vous avoir trouvé une forme d’équilibre entre sobriété architecturale et précision technique ? Près de deux ans après l’ouverture, quels retours avez-vous des puériculteurs, parents et enfants ?
À l’origine de la conception se trouve la recherche d’un plan en coupe permettant, à la fois : de capter un maximum d’apports solaires au sud ; de gérer ces apports solaires avec un débord de toit ; d’apporter de la lumière au cœur de la construction ; de limiter les déperditions en façade nord ; de ventiler naturellement avec des châssis en hauteur pour évacuer le surplus de chaleur ; de trouver des logiques de ventilation traversante entre espaces « compatibles », par exemple ceux dédiés aux enfants ; de construire le volume utile le plus compact possible mais sans étage ; d’utiliser les composantes de l’environnement pour dialoguer avec la construction (arbres à feuilles caduques pour protéger l’été, pente du terrain).
Les principes de la coupe ont été appliqués au plan, qui répond aux questions de trame et d’organisation. Le plan est tellement le reflet de la coupe nord-sud puisqu’il n’y a pas de fenêtres à l’est et l’ouest. Nous voulions atteindre la performance « passive » dans un coût maitrisé. Cet enjeu a amené un questionnement sur le confort des locaux, et a déterminé des locaux non chauffés, des locaux tampons, mais il a également apporté des contraintes d’usage et d’architecture. La forme du bâtiment est directement issue de la conception bioclimatique. Pour nous, c’était un premier pas dans une autre démarche de construction.
On n’est jamais seul au moment de l’esquisse, c’est toujours un moment d’échange intense avec les bureaux d’études et on s’écoute pour aboutir à un niveau d’exigence élevé sur tous les plans. On parle dès le départ de la ventilation, de la surchauffe d’été, de la qualité de l’air, des matériaux pour chercher conjointement des solutions. Le défi, c’est d’arriver à faire de l’architecture avec toute cette technique.
Les réseaux ont été dimensionnés très tôt et les chemins discutés avec le bureau d’études. Si on prend l’exemple de la ventilation, le local technique se situe au rez-de-chaussée pour être facilement accessible par les utilisateurs. Il était hors de question de le mettre sur le toit, par exemple. Mais nous l’avons dessiné le plus petit possible, ce qui nous a imposé de choisir les modèles de machines dès l’esquisse et de s’interroger sur comment l’on interviendrait sur la centrale dans le futur.
Nous avons repris les points de soufflage pour obtenir la ventilation la plus qualitative. Ils ne sont pas systématiquement au plafond. Par exemple, nous voulions absolument une extraction d’air dans le meuble de change pour gérer les odeurs et que celui-ci soit ouvert sur la salle d’activité. Il n’y a aucune paroi verticale dans cette zone, le réseau passe donc dans la dalle. Ce n’est pas grand-chose à faire, mais si on ne l’anticipe pas, c’est impossible à ajouter a posteriori.
La crèche dispose aussi d’un système de domotique complexe, qui répond au souhait d’avoir des retours précis sur le comportement du bâtiment mais aussi de le rendre « autonome ». En réalité c’est beaucoup plus compliqué, on veut que les utilisateurs gardent la main sur les stores, la lumière, etc. mais on s’expose à des surchauffes, des réglages peu opportuns. Ces systèmes nécessitent des entretiens et des informaticiens. Cette contrainte n’a pas été vraiment bien gérée au démarrage de l’utilisation. Si une entreprise peu formée intervient, on prend le risque de tout dérégler. Depuis cette expérience, l’équipe recherche la simplicité de gestion et d’entretien, pour garantir la pérennité des systèmes.
La liberté
Au-delà de la technique, l’objectif était de concevoir un bâtiment qui serve la pédagogie. Vous évoquez les termes « adaptabilité », « flexibilité » et « évolutivité » : comment cela se traduit-il ?
Les livres sur la pédagogie nous ont guidé dans la conception de l’espace. Au lieu de concevoir des espaces de vie selon l’âge des enfants, il n’y en a qu’un seul, qui mélange tous les enfants. Ils évoluent les uns avec les autres et les uns grâce aux autres. Il fallait donc une certaine souplesse pour avoir plus ou moins de tapis selon le nombre de bébés accueillis, avoir des lieux de rangement de bonne dimension.
Par exemple, avec l’enfant acteur de son parcours et de son apprentissage, il était important que les enfants puissent se rendre aux sanitaires seuls (donc pas de portes), qu’ils puissent aller dormir ou se lever en décidant eux-mêmes (donc des continuités spatiales entre salle d’activité et dortoirs). La notion de liberté de mouvement est aussi très importante.
Il était aussi primordial que le bâtiment soit transformable, qu’il puisse avoir plusieurs vies. On n’invente rien, on s’inspire de ce qui est autour de nous : les fermes de l’Avesnois, qui ont deux cent ans et ne servent souvent plus comme fermes. Ce sont des maisons très confortables, bien exposées… En concevant une structure simple et en privilégiant des cloisonnements non porteurs, on garantit l’évolutivité.
Une fois de plus, ce sont la trame structurelle et le positionnement des poteaux qui conditionnent l’évolutivité. Nous avons fait des compromis pour optimiser la structure, qui offre d’autres opportunités dans l’usage. Les deux poteaux rapprochés au centre de la salle d’activité sont associés à un meuble que l’on peut déplacer pour imaginer des activités différentes. À un moment, les enfants et les puériculteurs avaient construit un petit théâtre en carton entre les deux. C’est extraordinaire de voir ces appropriations.
Il est important que cela soit possible. Par exemple, il y avait un banc au fond de la crèche, que l’équipe a souhaité démonter. C’est moins harmonieux ainsi et on perd le rangement des bacs mobiles en-dessous. Mais si cela correspond aux besoins, il faut laisser faire, laisser vivre.
Le mobilier
La conception-réalisation du mobilier vous a également été confiée. Qu’avez-vous imaginé ? Comment dessine-t-on à l’échelle des enfants ?
Nous avions tellement échangé sur la conception du bâtiment que la maitrise d’ouvrage ne se voyait plus acheter des meubles sur catalogue, fabriqués ailleurs et loin. Une part importante du mobilier correspond aussi à des usages spécifiques, comme les postes de change.
Il faut arriver à se mettre dans la peau d’un enfant, de ses besoins, de ses envies. Pour moi, il s’agissait de ne pas « bloquer » des envies, mais plutôt d’offrir des possibilités tout en assurant la sécurité (prévention des chutes, des doigts coincés…). Et ainsi, on dessine à l’échelle des enfants, tout en offrant la possibilité aux éducateurs de s’approprier également le mobilier.
Fabriquer sur mesure est plus coûteux, alors nous avons choisi de faire moins, mais mieux. Avant de le concevoir, nous avons analysé le mobilier de crèches en Allemagne et en Autriche, mais aussi celui que proposent des catalogues d’équipement de la petite enfance. Nous avons établi notre propre cahier des charges.
Ainsi, la chaise d’un enfant d’un an doit pouvoir être utilisée par un enfant de trois ans, mais avec une hauteur d’assise différente. Un accompagnant doit pouvoir utiliser la même chaise d’une autre manière pour s’installer à côté des enfants sans nécessiter une chaise pour adulte. Si avec deux chaises, on peut transformer une chaise en table, c’est encore mieux ! Ça permet d’adapter les activités et les supports d’activités en permanence.
Au lieu d’avoir un lit spécifique par âge, nous avons dessiné un lit sur lequel on peut changer la hauteur du matelas, baisser les barrières ou les enlever. Le banc de la salle principale accueille des casiers sur roulettes, que les enfants peuvent déplacer pour mener leur activité où ils le souhaitent.
Nous avons même conçu un petit placard pour le rideau de la salle d’activité. Pour l’ouvrir, une planche qui bascule donne accès au mécanisme : un simple crochet. Ce sont des détails qui améliorent le quotidien et le confort et qui sont compliqués à assurer avec du « mobilier de catalogue ».
Pour l’ensemble du mobilier, nous avons fait produire des prototypes avec un menuisier local. Sur les tables à trois pieds, il fallait vérifier le basculement. Pour les chaises, nous avons fait tester un prototype en contreplaqué de récupération par un enfant.
Nous n’étions pas dans un processus de marchés publics et avons donc pu travailler directement avec des entreprises pendant la conception. Par la suite, les différents menuisiers sélectionnés dans les villages alentour se sont répartis le travail pour tenir les délais assez serrés de la fin de chantier. Autant dire que c’était nouveau pour eux, ils ont plutôt l’habitude de restaurer des meubles anciens.
La santé
Vous évoquiez plus tôt avoir « positionné la santé en premier et le confort en second ». Qu’est-ce qu’un bâtiment « sain » ? Quels points du projet avez-vous particulièrement travaillé dans ce sens ?
En fait, les deux sont liés à mon sens. Chacun connaît un bâtiment où l’on éprouve un mal-être, un picotement aux yeux, un sentiment d’étouffement. Mettre la santé en premier, c’était l’enjeu de privilégier la qualité de l’air avant un choix esthétique par exemple. Évidemment cette notion se confronte aux questions économiques, mais il s’agissait de provoquer les débats pour faire les bons choix.
Comme pour le sol souple par exemple. Le linoleum est souvent considéré comme un choix écologique et sain. Mais lors d’une formation sur la qualité de l’air, un médecin chercheur nous a alerté sur des possibilités que le matériau relargue des substances nocives après 15 ou 20 ans d’utilisation. Dans le cas présent, nous avons préféré choisir du caoutchouc, matériau naturel qui a l’avantage de ne pas se nettoyer avec tous les produits. Oui ! C’est bien un avantage, car l’une des pollutions majeures de l’air intérieur est liée au ménage. Dans le cas du caoutchouc, il faut un nettoyage « doux » à la vapeur.
Une autre méthode que j’utilise est d’accentuer le cahier des charges sur les composés organiques volatiles (C.O.V.). Par exemple, pour la peinture nous demandons souvent un maximum de 10 g/L de teneur en C.O.V. J’y ajoute le recours obligatoire à l’écolabel, la phase aqueuse sans solvants et je diminue de 10 g/L à 1 g/L. Évidemment, en chantier l’entreprise m’indique que c’est introuvable et de fait on discute et on choisit ensemble la meilleure gamme.
Finalement, c’est une démarche globale : imaginer précisément les mises en œuvre avant et pendant le chantier permet d’éviter le recourt à des matériaux comme la mousse polyuréthane (un grand classique pour reboucher rapidement les trous), qui est à proscrire complètement.
C’est une démarche d’investigation systématique : comment sont fabriqués les produits ? à partir de quelles substances ? Les fiches FDS (Fiches de données de sécurité) et FDES (Fiches de déclaration environnementales et sanitaires) peuvent être utiles. De manière générale, j’adopte une logique de méfiance. S’il y a un logo toxique pour l’environnement (le petit logo avec les poissons), on peut honnêtement estimer que c’est toxique pour l’homme.
Un bon révélateur est le chantier : quand la ventilation n’est pas en fonctionnement, si on sent des odeurs gênantes, colles, peintures… c’est un mauvais présage.
Un milieu rural
Ce projet fait acte de votre posture : travailler et vivre dans un milieu rural, faire avec les ressources locales. Comment cela façonne-t-il votre travail quotidien ? Pensez-vous qu’un ou une architecte travaille différemment en milieu rural ?
En milieu rural, les cahiers des charges sont très simples, très légers. En général, il n’y a pas d’ingénierie expérimentée dans le processus. Les maîtres d’ouvrage sont très peu sachants. On peut répondre assez librement aux demandes. Pour moi, c’est un avantage. Mais c’est aussi un inconvénient pour l’architecture de manière générale. Personnellement, je m’y engouffre pour proposer des alternatives, faire de la pédagogie, dialoguer. Par exemple, je parle un peu de l’isolation en paille et j’explique les bénéfices pour la construction et le territoire. Après des périodes de doute, de questionnements (« ça va moisir », « les rongeurs vont nicher »), les maîtres d’ouvrages s’approprient ces hypothèses et deviennent eux-mêmes les diffuseurs de ces idées.
Récemment, un élu d’un village a dit à ses entreprises qu’il allait faire son école en paille. Nous organisons avec le CD2E une formation PRO-paille au cœur du territoire… La moitié des entreprises inscrites viennent de ce village ! C’est génial, c’est ça la ruralité. L’architecture en ville, c’est bien plus cadré, avec des cahiers des charges très stimulants certes ; mais on passe notre temps à tout justifier. Dans la ruralité, on aide les idées à se concrétiser. J’ai bien l’intention d’amener la terre crue dans les constructions du secteur ! Alors je guette les tas d’argile autour des fermes, pour démontrer que l’on peut déployer cette ressource. C’est la pédagogie, l’observation, le plaisir de concevoir et la recherche, qui façonne le quotidien.
Questions
Réponses
Amélie Fontaine, architecte de la crèche (Atelier Amélie Fontaine)
Iconographie
Amélie Fontaine, Pauline Vachon (photographies), Création Bois construction et Ingébois (documents d’exécution)