Du lisible au visible

« Architecture et volupté thermique » de Lisa Heschong

Emmanuelle Assier | 27 janvier 2022

Introduction

Écrit à la fin des années 1970 et issu de ses travaux de thèse en architecture au MIT, le livre de Lisa Heschong, Architecture et volupté thermique, est pourtant d’une actualité étonnante. L’auteure introduit la sensualité dans l’architecture, et convoque les sens, la symbolique et la culture pour appréhender la thermique du bâtiment, aspect jusqu’ici considéré uniquement dans ses dimensions physique et technique.

Le livre explore le potentiel des qualités thermiques comme élément expressif dans la conception architecturale. L’auteure y affirme que la thermique ne devrait pas être la chasse gardée des ingénieurs et des énergéticiens, ni un équipement parasite !

À l’image d’une pyramide de Maslow, l’auteure structure graduellement l’expérience architecturale : les besoins physiologiques (la nécessité), le plaisir sensuel (la volupté), les comportements sociaux (l’affection) et le sens symbolique et culturel (le sacré).

La nécessité

Les êtres vivants cherchent à maintenir leur température naturelle. Le bâtiment devient un « moyen de modifier un paysage en vue de créer des micro-climats plus favorables ». Lisa Heschong illustre l’importance de l’orientation et de la saisonnalité en puisant dans les traditions vernaculaires des sociétés primitives vivant en intelligence avec leur milieu. Elle montre également combien la sensation thermique du confort est éminemment culturelle, voire même une perception individuelle.

La volupté

Au-delà de ce besoin nécessaire, l’auteure explique à quel point dans nos activités de loisirs et de détente, nous recherchons des conditions thermiques extrêmes (sauna finlandais, bain brûlant japonais) « Les hommes, écrit-elle, raffolent de ces lieux de grande chaleur et de grand froid. » Ils recherchent même le passage d’un extrême à l’autre, (le bain d’eau glacé au sortir du sauna, nager dans l’océan après avoir bronzé au soleil) et ils accentuent le phénomène dans des dispositifs spatiaux particuliers, comme ces hauts murs d’enceinte dans les jardins islamiques où régnait la fraîcheur au milieu du désert.

« Nous associons fondamentalement la chaleur à un monde intérieur, peut-être que nous la relions à notre propre chaleur métabolique. La chaleur est cette vie dissimulée dans l’épaisseur des choses. »

La puissance des ressentis chaleur ou fraîcheur réside dans leur capacité mémorielle. La force du sens thermique provient également de sa capacité à réveiller tous les autres sens, il nous met en éveil par son « pouvoir de stimulation totale des sens ».

L’affection

Archétypes du plaisir, ces lieux à l’identité thermique affirmée deviennent des objets d’attachement. Ainsi la balançoire dans les maisons du sud des États-Unis (passe-temps qui permettait de ressentir un peu de fraîcheur lors des chaleurs étouffantes du soir) ou encore la loggia victorienne (espace de fraîcheur qui permettait de profiter de la vue du jardin), le lit à baldaquin (« enclave calfeutrée au sein des grandes maisons froides »), tous aujourd’hui procurent un sentiment de nostalgie. Lisa Heschong nomme ces petits espaces thermiques des « édicules thermiques », reprenant ainsi un terme employé par John Summerson dans son essai sur les édicules en architecture gothique, dans lequel il disait que les enfants ont besoin de se cacher sous une chaise ou sous une table, se construisant ainsi leur propre maison. En lisant ce passage, je me suis souvenue qu’enfant, effectivement je me cachais régulièrement dans un placard à linge pour pouvoir y lire en toute tranquillité. Il y faisait bon et doux.

Le sacré

Ces liens affectifs se fondent également au travers de rituels qui marquent notre expérience thermique. Lisa Heschong évoque notre relation au feu, qu’il soit cérémonie avec les fêtes païennes de la Saint-Jean, manifestation divine dans les vapeurs du sauna ou protection divine dans les âtres chez les Hindous.

« Le feu et la vapeur étaient des manifestations des forces de la nature. Ils offraient une expérience de la pureté associée au royaume des esprits et réalisaient ainsi un lien entre le monde physique des êtres humains et leur conception des principes de l’univers. »

Loin de l’approche mécaniste habituelle de la question thermique, l’auteure confère à la conception bioclimatique une dimension sensible, sensuelle, voire spirituelle, encore trop peu explorée. À l’heure où certains reprochent à l’écologie d’être « punitive et triste », l’auteure nous montre tout le potentiel sensible et sensuel de la matière thermique… et c’est heureux.

Lisa Heschong (1979), Architecture et volupté thermique, traduit de l’anglais (USA) par Hubert Guillaud (1981), « Eupalinos », Marseille, Parenthèses, 2021, 96 pages, 12 euros.