L'utopie ou la mort

Classe dehors, maintenant !

Collectif | 14 mai 2023

Introduction

Alors que les premières rencontres internationales de la Classe dehors se tiendront du 31 mai au 4 juin à Poitiers à l’initiative de la Fabrique des communs pédagogiques, une tribune initialement parue dans Le Monde, le 8 mai 2023, et une pétition signée par des pédagogues, des intellectuels et autres personnalités publiques, dont Patrick Bouchain, Christine Leconte et Thierry Paquot, promeuvent le développement de la pratique de la classe en plein air pour les enfants, ces « chercheurs d’hors ».

Les enfants passent de plus en plus temps enfermés entre quatre murs et sur leurs écrans. Consignés dans leur chambre ou assis dans une classe, ils seraient en sécurité. Pourtant, ils s’isolent du monde et leur sédentarisation provoque l’obésité, des troubles anxieux et dépressifs. Que des familles emmènent leurs enfants dehors et que trente minutes de sport par jour commencent à être encouragées à l’école ne suffit pas.

Il est grand temps d’aller voir dehors si l’on s’y trouve ! C’est par le jeu et la découverte que tout enfant apprend, sur lui-même, sur les autres et sur le milieu dans lequel il vit. Tout enfant grandit en éprouvant. Il n’éprouve qu’en expérimentant. Il n’expérimente qu’en jouant. Il ne joue qu’en rêvant. C’est un chercheur d’hors. La sécurité d’un enfant ne peut pas reposer sur une réduction de ses libertés. Il doit ex-sister, sortir de son corps, de sa famille, de son école, précisément pour mieux y revenir, avec ses sens stimulés, son corps entraîné, ses désirs révélés, ses apprentissages confortés, ses amitiés cultivées…

« Tout enfant grandit en éprouvant. Il n’éprouve qu’en expérimentant. Il n’expérimente qu’en jouant. Il ne joue qu’en rêvant. C’est un chercheur d’hors. »

Face aux dégâts provoqués par les confinements sur les enfants, des enseignantes, d’Allonnes (Sarthe) à Poitiers, de Marseille à Pompaire (Deux-Sèvres), de Saint-Denis de la Réunion à Beauvais, se sont mises à sortir avec leurs élèves, renouant ainsi avec les classes-promenades et les jardins scolaires. Elles rejoignent des enseignants, des animateurs de l’éducation populaire et à l’environnement qui emmenaient déjà des enfants dehors, notamment ceux qui avaient commencé une réflexion, dès 2008, à travers la Dynamique Sortir !, conduisant ainsi à renouveler des approches pédagogiques centenaires pour faire « Classe dehors ».

Réinventer une pédagogie plurielle

Ils se sont vite aperçus que le « climat scolaire » s’améliorait, que tous les enfants participaient aux activités extérieures. Ainsi la coopération entre les écoliers allait de soi, leur santé mentale s’améliorait au contact de la nature, les activités physiques rendaient les enfants joyeux, bref, la classe dehors concrétisait l’esprit de la Convention internationale des droits de l’enfant, signée en 1989.

Ce qu’observent ces enseignants est confirmé par la recherche : les expériences régulières de nature sont bénéfiques pour les apprentissages, l’inclusion, la lutte contre le décrochage scolaire, elles participent de la promotion de la santé à l’école. La classe dehors est un moyen de réinventer une pédagogie plurielle, dans laquelle tout espace peut devenir lieu d’instruction, d’éducation et de socialisation.

Qui listera les bienfaits d’une classe dehors ? La faune et la flore du voisinage, les quatre éléments (la terre, l’eau, l’air et le feu), la rivière ou l’étang proches, toute cette nature observée n’est-elle pas un « livre ouvert » ? Les enfants herborisent, collectent des pierres, ramassent des bouts d’écorce, prennent soin du lieu qu’ils explorent et de ceux qui l’habitent, partagent leurs découvertes, jardinent aussi, car le jardinage devient une « discipline » dans l’emploi du temps. En cultivant le jardin, l’enfant se cultive : il constate les temporalités de la nature, dont la saisonnalité, il prend soin de la terre, arrose, désherbe, cueille, met en conserve les fruits récoltés, cuisine les légumes du potager.

Classe dehors, maintenant !
Illustration officielle des rencontres de la Classe Dehors, conçue et réalisée à six mains par trois talentueuses dessinatrices : Nolwenn Auneau, Moe Muramatsu et Margot Stuckelberger - qui prêtent aussi leurs crayons à Topophile.

Philosophique, sans le dire

Toujours avec ses copains et en jouant, l’enfant sent les fleurs, les nomme et les représente en les dessinant et les coloriant. Ce rocher, cette forêt, cette clairière, cette poule, ce canard, ce pigeon, cette rue, ce quartier deviennent… manuels scolaires ! Il calcule le temps de vol d’un oiseau et le suit dans ses migrations en devenant géographe. Dans la ville, il devient « ménageur des lieux », dessine les parcours et mesure les temps, les hauteurs et les perspectives, il dénonce les laideurs et calcule les harmonies. Il découvre les multiples cultures du monde dans les marchés. Il étudie toutes les activités, l’artisanat, le commerce, les bureaux si mystérieux, etc. Une journée dans un garage, une menuiserie ou avec le jardinier municipal est aussi un véritable support vers les apprentissages scolaires.

Confrontés à leur milieu, les enfants prennent conscience des défis à relever. Ce qu’ils entendent chez eux, dans la rue, sur Internet prend sens : extinction d’espèces végétales ou animales, dérèglement climatique, pollutions des sols, de l’eau, etc. Toute une culture écologique et citoyenne, avec son vocabulaire, les données sur lesquelles elle s’appuie, ses dénonciations et préconisations, devient familière.

Ne l’oublions pas, la classe dehors en revenant dedans examine les trésors glanés et les traces collectées dans des carnets ou sur des tablettes. Chacun s’informe dans un livre ou sur Wikipédia, en discutant avec son enseignant ou ses camarades. La classe dehors saisit la complexité du réel, engrange les informations et les émotions, elle confère à la pensée sa turbulence. Le jeu incessant de l’intérieur et de l’extérieur conduit chaque enfant à apprécier l’un comme l’autre comme une partie de lui.

La classe dehors est philosophique, sans le dire, sans la lourdeur des références savantes. Les enfants n’opposent plus le dehors et le dedans − le portable est un dedans dehors tout comme Internet est un dehors dedans −, spontanément ils les entremêlent et confectionnent avec leurs différences un monde. Celui-ci ouvre à la rêverie et à la créativité. Les ronchons diront que toute promenade est du temps perdu… Ont-ils oublié que la connaissance est un chemin, avec ses tours et ses détours, ses fatigues et ses joies ? Que la destination importe peu, que l’essentiel est précisément ailleurs. L’ailleurs avec lequel chacune et chacun se sentent d’ici.

« La classe dehors est philosophique, [...] la destination importe peu, l’essentiel est précisément ailleurs. L’ailleurs avec lequel chacune et chacun se sentent d’ici. »

Aujourd’hui, l’éducation nationale soutient et accompagne ces initiatives, elle les encourage même, mais faire Classe dehors réclame l’effort combiné de tous les ministères, des collectivités territoriales, des associations partenaires de l’école, des universités et des parents. Pour les enfants privés de jardin, de vacances, de loisirs dans la nature, faire Classe dehors n’est plus une option, mais une nécessité. Il est de la responsabilité des pouvoirs publics d’agir pour favoriser cette pratique à toutes les échelles.

Premiers signataires

Jean-Marc Adolphe (Journaliste, rédacteur en chef des humanités) ­| Marion Albouy (Maître de conférences des universités et praticienne hospitalière en santé publique, chercheur en promotion de la santé, université de Poitiers et CHU de Poitiers) | Lucie Alem Desforges (Médecin de Santé publique, CHU de Poitiers) | Frédérique Alexandre Bailly (Directrice générale de l’ONISEP) | Nourdina Bara (Auteur) | Stéphanie Barrau (Enseignante-formatrice en maternelle, AGEEM) |Hervé Baronnet (Enseignant en maternelle) | Jonathan Bocquet (Président de l’ANACEJ) | Patrick Bouchain (Architecte, Grand Prix de l’Urabnisme 2019) | Allain Bougrain Dubourg (Président de la Ligue de Protection des Oiseaux) |Marie-Hélène  Bronner (Cheffe d’établissement retraitée) | Étienne Butzbach (Vice-président Education et numérique de la Ligue de l’Enseignement) | Anne Carayon (Directrice générale de Jeunesse au Plein Air) | Stéphane Colsenet (Secrétaire Général Graine Poitou-Charentes) |Marie-Danièle Campion (Ancienne rectrice) | Colin Champion (Président de La Voix Lycéenne) | Pascal Clerc (Géographe) | Connie Chow-Petit (Fabrique des Communs Pédagogiques) | Benjamin Chow-Petit (Fabrique des Communs Pédagogiques) | Samir Chtaïni (Référent École, CEMÉA Nouvelle-Aquitaine) | Stéphanie Clément-Grancourt (directrice générale Fondation pour la Nature et l’Homme) | Sylvain Connac (Professeur des Universités en Sciences de l’Education) | Alain Cornec (Avocat) | Bernard Defrance (Professeur de Philosophie retraité) ­| Christian Dominé (Président de Jeunesse au Plein Air) | Martine Duclos (Professeure des universités et praticienne hospitalière, CHU Clermont-Ferrand et université Clermont-Auvergne, Onaps) |Moïna Fauchier Delavigne (Fabrique des Communs Pédagogiques) | Eva-Maria Dautry, Co-présidente (GRAINE Poitou-Charentes) | Déborah Furet (EHESS) | Benjamin Gentils (Fabrique des Communs Pédagogiques) | Crystèle Ferjou (Conseillère Pédagogique) | Muriel Fifils (Fondatrice de l’école Caminando, Tous Dehors France) | Éric Fleurat (Inspecteur de l’Education Nationale) | Sylvia Fredriksson (Designer et enseignante chercheur, École Supérieure d’Art et de Design Orléans) | Constance Garnier (Chargée de développement du RFFLabs) | Roland Gérard (auteur-conférencier) | Matei Gheorghiu (Chercheur associé au Cerrev Université de Caen Normandie) | Luc Gwiazdzinski (Géographe) | Claire Heber-Suffrin (Initiatrice des Réseaux d’échanges Réciproques de Savoirs) | Jean-Christophe Hortolan (Conseiller Pédagogique) | Frédérick Heissat (Enseignant, Réseau des Profs en transition) | Émilie Kuchel (Presidente du réseau français des villes éducatrices et conseillère régionale de Bretagne) | Didier Jourdan (Professeur des Universités, titulaire de la chaire UNESCO EducationS & Santé) | Patricia Jung-Singh (Directrice de la Fondation Terra Symbiosis) | Pascale Laborier (Professeure en Sciences politiques, Université Paris Nanterre) | Sylvie Lardon (Géographe) | Pascal Lebrun-Cordier (Professeur associé à l’École des arts de La Sorbonne) | Christine Leconte (Présidente du Conseil National de l’Ordre des Architectes) | Gwenael Le Guevel (Président Des CRAP Cahiers Pédagogiques) | Yann Lheureux (Chorégraphe) | François Lenormand (Collectif Éduquer à la Nature en Normandie) | Martine Maissin (Enseignante retraitée) | Elisabeth Maricourt (Enseignante retraitée) | Pierre Mathiot (Professeur de Science Politique) | Mohammed Melyani (Maître de Conférence en sciences de l’éducation) | Léonore Moncond’huy (Maire de Poitiers) | Anne-Louise Nesme (Formatrice, sociologue et céramiste) | Christophe Noullez (Professeur de technologie) | Laurent Ott (Directeur du centre social Intermèdes Robinson) | Thierry Paquot (Philosophe de l’urbain) | Hélène Paumier (Adjointe éducation et écoles publiques, Poitiers) | Anne Philipson (Inspectrice de l’Education Nationale) | Anne-Caroline Prévot (Écologue, directrice de recherche au CNRS et au Muséum national d’histoire naturelle) | Barbara Puaud (Éducatrice à l’environnement, Graine Poitou-Charentes) | Gilles Rabin (Économiste) | Olivier Remaud (Philosophe, directeur d’études à l’EHESS) | Frédérique Resche Rigon (Coprésidente du Conseil Français à l’Éducation à l’Environnement et au Développement Durable) | Alexandre Ribeaud (Enseignant en maternelle) | Antoine Ruiz-Scorletti (Maker RoseLab/MD, administrateur RFFLabs) | Jean-Pierre Rosenczveig (Magistrat Honoraire) | Jacques Tapin (Président de l’Ifrée) | Francis Thubé (Retraité de l’Éducation populaire et à l’environnement) | Nicolas Tocquer (Directeur de l’Inspé Bretagne) | David Sève (Directeur de la Fondation Nature et Découvertes) | Arnaud Schwartz (Président de France Nature Environnement) | Alexiane Spanu (Animatrice de réseau classe dehors, GRAINE Poitou-Charentes) | Céline Urso Baiardo (Enseignante, Fédération Connaître et Protéger la Nature) | Didier Vaubaillon (Président de Terre des hommes France) | Catherine Villeret (Fabmanager, Tiers-lieux Edu) | Aurélie Zwang (Maître de conférences en sciences de l’éducation et de la formation)