Introduction

Anne-Sophie Clémençon, chercheure-photographe et historienne de l’architecture et de l’urbanisme, et Michel Bernard, journaliste et cofondateur de la revue Silence, présentent avec ce beau-livre un tour de France de l’habitat partagé dans ses différentes modalités avec quelques escapades dans des pays limitrophes. Le meilleur de vingt années de recherche sur le terrain avec quelques 300 reportages publiés dans la revue Silence entre 1998 et 2017 ; soit une sélection de 48 initiatives réparties en dix chapitres proposant un voyage dans le temps et une découverte de pratiques-types (habitat groupé, habitat collectif, habitat coopératif, ou écovillage) : Les cités ouvrières et le paternalisme patronal, les cités-jardins du début du XX^e siècle, la reconstruction d’après-guerre, le mouvement de l’habitat group autogéré des années 1970, l’habitat groupé écologique en Europe, les écoquartiers en France, les écovillage et écohameaux en milieu rural, l’habitat écologique en vile, le logement social et écologique, et l’habitat léger, l’autoconstruction et les squats.

La sélection proposée est particulièrement intelligente : les projets retenus ont une certaine histoire permettant d’avoir du recul, le choix présente certes des modèles (Kraftwerk en Suisse, le quartier Vauban en Allemagne), mais aussi des projets plus modestes (l’ÉcoZac, place de Rungis), d’autres devenus touristiques (Christiania au Danemark), certains dont on peut mettre en doute la réussite (Västra Hamnen en Suède), sans oublier des fraudeurs (Confluence). À la lecture du livre on est aussi frappé par la diversité des acteurs impliqués : militants pacifistes (les communautés de l’Arche), personnes handicapées (le Béal), artistes en résidence (Hameau de la Brousse), personnes âgées (Chemins de vie), jeunes activistes (Zone à défendre), sans oublier les personnes à revenus modestes (Lescar Pau). Enfin, n’oublions pas une annexe intelligemment construite offrant de multiples pistes pour qui veut en savoir plus : une liste des adresses et de ressources pour chaque lieu présenté, une bibliographie sur l’habitat partagé, le tout complété d’une liste d’une centaine d’habitats collectifs en France.

L’objectif des auteurs explique l’architecture du livre : « dynamiser un imaginaire écologique et social : montrer que c’est possible, que certains projets, initiés il y a longtemps, perdurent à travers le temps, et qu’ils ne concernent pas seulement une petite portion de la population, même si c’est dans les marges que naissent les initiatives qui font ensuite progresser l’ensemble de la société. L’objectif de cet ouvrage est de donner des exemples, des contacts, des pistes pour aller plus loin, afin de dépasser la seule lecture et de passer du rêve à la réalité. » La magie de ce recueil réside dans le dialogue entre la photographie, souvent en pleine page, et le texte pour produire des instantanés réinventant le genre de la miniature urbaine telle que pratiqué par Walter Benjamin et Siegfried Kracauer.  

La reprise d’articles précédemment publiés a non seulement l’avantage de permettre la présentation de photographies en couleurs, l’assemblage consistant proposé permet surtout de se faire une idée du potentiel de l’habitat partagé dans la variété de ses expressions. L’initiative est d’autant plus heureuse s’inscrit dans un moment où l’architecture du care est en plein essor. L’habitat partagé que nous font découvrir Anne-Sophie Clémençon et Michel Bernard témoigne de pratiques prenant soin tant du vivre ensemble que du territoire aussi bien urbain que rural. Nous pouvons y voir aussi un modèle d’appropriation et de construction du territoire (building perspective) qui ne se limite pas seulement à l’habitation (dwelling perspective). Gaston Bachelard rappelait en 1937 que même en physique l’espace n’est jamais donné de façon immédiate : « on ne trouve pas l’espace : il faut toujours le construire. »