ville habitat autoconstruction participatif
En Loire-Atlantique, des maisonnées participatives
Hervé Potin | 14 octobre 2023
Introduction
qui Architectes : Anne-Laure Guinée, Hervé Potin (Guinée*Potin).
quoi Le Pré commun, construction de 12 logements du T1 au T5 en habitat participatif | 1 156 m2 habitables dont 265 m2 de locaux communs.
où La Montagne, Loire-Atlantique.
quand Début des études : janvier 2017 | Permis de construire : septembre 2017 | Construction : 2019-2020 | Livraison : mars 2020.
comment Structure : ossature douglas (murs, planchers, toitures) | Revêtements extérieurs : enduit chaux hydraulique ou bardage douglas | Isolants : panneaux en fibres de bois, ouate de cellulose, panneaux souples chanvre-lin-coton (en cloisons) | Revêtements intérieurs : plaques de plâtre peintes ou enduites de terre crue | Sols : linoleum ou parquet chêne sur chape sèche de panneaux de fibres-gypse.
pour qui La coopérative d’habitant·e·s le Pré commun : 12 foyers à géométrie variable, famille monoparentale, couple séparé avec enfants, retraités, célibataires…
avec qui Bureau d’études tous corps d’états : Cairn ingénierie | Ordonnancement et pilotage du chantier : Quatuor.
par qui Voirie et réseaux divers, espaces verts (VRD-EV) : Atlantic environnement | Gros œuvre : Bouchereau | Ossature, charpente, bardage, isolation, cloisons doublage, menuiserie intérieure et extérieure, parquets : Atelier ISAC | Couverture, étanchéité : Menanteau | Sols souples, tomettes : Guesneau | Électricité, plomberie sanitaire : SCOP Durand.
combien Coût travaux : 1 535 000€ HT marché entreprises soit 1 700€ / m2 habitable sur la partie neuve compris VRD. Hors peinture et enduits terre intérieurs en auto-finition, plantation des espaces verts et le second œuvre de la maison commune par les habitant·e·s.
La conception participative
Lena Guillo | Le collectif d’habitant·e·s du Pré commun s’est constitué en coopérative afin de favoriser l’accès au logement avec des apports financiers différents. C’est-à-dire qu’ils et elles ne sont pas individuellement propriétaires de leurs logements, et pourtant toutes et tous ont un logement singulier qui a été dessiné sur mesure pour et avec eux. En quoi cette forme d’auto-promotion collective change-t-elle à la fois votre pratique d’architecte mais aussi l’architecture produite ? Par ailleurs, la coopérative promeut une gouvernance horizontale avec une prise de décision par consentement. Quelles méthodes avez-vous mises en place pour co-concevoir individuellement et collectivement cet habitat ? Comment cela-a-t-il modifié vos relations avec les clients, voire avec les entreprises ?
Hervé Potin | Nous n’avions pas d’expérience en habitat participatif et c’était pour nous une première, ayant effectivement plus l’habitude de travailler avec des bailleurs, des promoteurs ou des collectivités locales. Donc, nous n’avions pas de méthodologie préconçue ni d’a priori. Le groupe d’habitants était très structuré et avait déjà mis en place des commissions afin de faire avancer le projet : commission finances, commission juridique, commission communication, etc. Il a donc fallu que l’on se « glisse » dans le groupe qui avait également un planning très serré, qui pouvait d’ailleurs ressembler au planning « classique » que l’on trouve dans la promotion classique ! Lauréats de la consultation début 2017, il fallait déposer et faire valider le permis de construire avant la fin de la même année pour éviter que des membres ne quittent le groupe, se retrouvent coincés par les règles de leurs emprunts… Ce sont des contraintes finalement assez habituelles, classiques lorsque l’on travaille avec des promoteurs.
La méthode de travail s’est mise en place assez naturellement. Le rétro-planning visait l’objectif du permis de construire à obtenir à la fin d’année 2017. Des réunions de travail toutes les 2-3 semaines se sont imposées assez rapidement, dès le début 2017, avec des thématiques précises, qui s’incrémentaient au fur et à mesure : implantation/plan masse, répartition des habitants, forme/volumétrie, matérialité, énergie. Les habitants avaient eux-mêmes mis en place une méthode efficace de discussion avec des objectifs de validation de chaque décision entre chaque réunion, ce qui permettait d’avancer sans (trop) de remise en cause. La différence majeure avec un projet « habituel » de logements (je ne fais pas de différences entre logements sociaux ou logements en accession) est le fait de travailler pour 12 futurs usagers de leur propre logement, un peu comme si l’on avait 12 clients de maison individuelle d’un seul coup !
Ceci dit, l’architecture produite a été très induite par les contraintes réglementaires urbaines (la parcelle était très serrée pour 12 logements) et compte tenu de l’environnement pavillonnaire, il nous était difficile de nous y opposer complètement. Ce qui explique les négociations avec la collectivité, notamment sur la question des pans de tuiles qui permettent d’intégrer le projet sans recours de la part des riverains. La principale négociation avec les habitants a porté sur les revêtements extérieurs : j’aurais préféré un bardage vertical sur l’ensemble des volumes ; or certains habitants craignaient l’effet chalet du « tout bois » et ont opté pour un socle minéral et un bardage en étage. Avec un promoteur, nous nous serions plus battus ! Mais ici, il s’agissait de leur maison, il nous était difficile de lutter, et ce n’était de toute façon pas le propos. Eux-mêmes en interne faisaient des concessions sur le plan, les formes, les matériaux… auquel cas pourquoi pas nous ?
Un membre du collectif, Bruno Suner, par ailleurs architecte et enseignant à l’ENSA Nantes, était également assistant à la maîtrise d’ouvrage (AMO). Comment a-t-il articulé ses rôles et contribué au projet ?
Bruno était effectivement le « facilitateur » et AMO pour le projet. En tant qu’architecte et futur habitant, il a fluidifié les échanges avec l’équipe de conception et permis des validations relativement rapides des phases. En effet, compte tenu du rythme soutenu des ateliers entre habitants et concepteurs, comme évoqué, les habitants se réunissaient entre eux entre chaque atelier afin d’en faire la synthèse et de questionner les décisions à prendre. Bruno faisait donc le décodage de nos échanges, explicitait les attendus, réexpliquait le cas échéant ce que nous proposions à chaque atelier, afin de pouvoir avancer dans la conception et d’entériner des validations entre chaque atelier.
Lotissement ou hameau ?
Le Pré commun s’implante dans un lotissement pavillonnaire des années 1970 à 15 km de Nantes, à proximité d’une zone d’activité et de prairies humides. En contrepoint des maisons individuelles alignées sur la rue, vous adoptez la figure communautaire du « hameau ». Comment cela se traduit-il ici ? Comment la ferme et le verger existants ont-ils structuré le projet ?
Le projet comporte 12 logements en trois bâtiments collectifs neufs dénommés « maisonnées », de taille et de forme variable, répartis autour d’un bâtiment, ancienne ferme, conservé et réhabilité en « maison commune ». Les habitants avaient la volonté de ne pas faire 12 maisons individuelles. C’était impossible dans la parcelle et surtout, de leur part, une volonté « politique » de montrer qu’il était possible de densifier autrement, de démontrer une alternative au pavillonnaire… Une forme de densification douce exemplaire, une inclusion dense dans un parcellaire existant « lâche ». Les volumes des maisonnées résultent donc de l’imbrication des volontés d’usages des habitants et de l’implantation dictée par les règles urbaines très strictes. Les matériaux et les formes employées sont au service d’une inclusion contemporaine dans un tissu périurbain.
Les maisons s’articulent autour de la maison commune, point central du projet, puisqu’elle abrite les espaces partagés : buanderie-laverie, atelier de bricolage, salle commune (avec cuisine) et à venir, deux studios pour recevoir. Les trois maisonnées sont positionnées en « tournesol », en « rayon » autour de la ferme existante. Leurs accès individuels sont côté cour, à l’est et au nord, regardant la maison commune. Les jardins et terrasses privatives sont au sud et à l’ouest. Les maisonnées apparaissent comme des éléments « ciselés », tant en plan qu’en volume, « jouant » avec les prescriptions réglementaires (gabarit, limite parcellaire) et avec les matérialités environnantes (tuiles, enduit) pour mieux intégrer le projet dans son contexte. Ce découpage volumétrique permet des vues et des connexions depuis les chemins et promenades qui contournent et traversent le projet de part en part, et aussi depuis les maisonnées vers le verger et la prairie au sud et à l’ouest.
Public – commun – privé
Vous utilisez le terme de « maisonnée » pour qualifier les bâtiments regroupant entre 2 et 5 logements. Entre entrées individuelles, terrasses partagées, logements communicants et jardin commun, comment avez-vous traduit les différents degrés d’intimité demandés ?
En effet, le travail de l’habiter s’est fait « à la carte », comme pour 12 maisons individuelles. Les plans sont donc non typés et tous différents : des logements traversants, des vues et accès vers des parties extérieures privatives au sud ou à l’ouest. Ces parties extérieures sont variables : jardin au rez-de-chaussée, terrasse en étage, jardin d’hiver en prolongement du salon.
Les entrées sont toutes individuelles. Pour les appartements en rez-de-chaussée, elles se font par une passerelle traversant les noues au pied de chaque maisonnée, tandis que les appartements situés à l’étage sont desservis par des escaliers extérieurs. Toutes les entrées et espaces de circulation sont orientés vers la cour centrale. Cette organisation permet de faire une dissociation douce entre le commun et le privé. Sans se regarder, chaque maisonnée s’ouvre vers un espace de mise en relation et d’échange. Cet espace de mise en commun est double : un espace libre extérieur qui permettra les rencontres lors des saisons chaudes et la maison commune qui fait l’objet d’une rénovation complète et de l’adjonction d’une terrasse extérieure.
Si les 12 logements sont différents, quels sont leurs singularités ?
Chaque plan de logement s’est fait en considération du souhait de chaque habitant, d’où le travail à la carte. Certains souhaitaient un duplex avec jardin, d’autres un seul niveau, au rez-de-chaussée, ou à l’étage avec une vue dégagée. Plusieurs habitaient souhaitaient un jardin d’hiver. Un couple séparé voulait chacun un duplex mitoyen avec un étage communicant pour alterner la garde commune des enfants ! Certains habitants plus âgés se devaient d’être en rez-de-chaussée avec salle de bain accessible, etc. Il y avait 12 programmes différents ! La singularité des logements vient donc du souhait spécifique de chaque habitant. Heureusement, certains d’entre eux avaient moins de contraintes étaient nos variables d’ajustement dans le « Tetris » du projet.
La coopérative n’étant pas immuable, avez-vous anticipé l’évolution du groupe, tant au sein d’une famille qu’à l’échelle de la coopérative ?
Bien que le groupe soit très soudé, la question de leur évolution a été abordée assez librement, entre eux et avec nous. Le statut de coopérative d’habitants permet cette souplesse, dans la mesure où l’habitant n’est pas propriétaire de son logement, mais est bien coopérateur et propriétaire de part sociale. Un nouvel habitant n’achète donc pas un logement mais des parts sociales, ce qui n’a pas le même sens en termes de propriété. Les logements sont donc à la fois singuliers et spécifiques à chaque habitant (puisque nous avons ensuite fait des ateliers individuels avec chaque habitant, pour définir le positionnement précis des cloisons, des prises, du mobilier de cuisine, etc.) mais évolutifs, car ils se composent tous de façon traversante, avec une « bande » nuit et une « bande » jour, ce qui facilite l’adaptation du plan pour de futurs habitants.
Biosourcé et auto-construction
Si vous avez dû renoncer à l’isolation en paille et aux volets suite à la consultation des entreprises, les matériaux biosourcés demeurent prépondérants. Comment avez-vous adapté le projet aux contraintes économiques sans perdre en confort ?
Le choix initial se portait sur une structure bois-paille sur l’ensemble des ossatures. L’appel d’offres en 2018 n’a pas permis de conforter ce choix, une seule entreprise ayant répondu avec cette technique, qui plus est avec un surcoût important pour le maître d’ouvrage privé en autopromotion (+ 10% non-absorbables). Nous sommes donc repartis sur une solution plus « classique » en murs à ossature bois (MOB) et isolation biosourcée. L’entreprise ISAC a proposé une variante plus économique en ossature bois avec remplissage en ouate de cellulose et isolation extérieure en panneaux de fibres de bois supports d’enduit ou de bardage. Cette solution était équivalente du point de vue de la résistance thermique du complexe de paroi et ne remettait pas en cause le confort de l’habitat. D’ailleurs, l’entreprise travaille avec du douglas non traité, y compris pour tout ce qui ne se voit pas !
La part d’autoconstruction résulte-t-elle d’une pression financière ou d’un désir d’appropriation ?
Un peu des deux, mais c’était surtout une volonté de la part du groupe de s’investir « physiquement » dans le projet, notamment sur la maison existante, et dans la finition des intérieurs, avec les enduits terre ou la peinture écologique à base de jaune d’œufs.
Comment avez-vous intégré la part d’auto-construction au chantier « salarié » ? Des artisan·e·s ont-ils·elles encadré les habitant·e·s pour les enduits terre et la peinture ?
S’agissant des enduits et de la peinture, ce sont des lots qui se font toujours en fin de chantier, comme en chantier « classique ». Les enduits terre ont été fait par les habitants eux-mêmes, plusieurs d’entre eux ayant l’expérience et l’expertise de cette pratique. Ils ont eux-mêmes fait les essais sur la terre de site, les mélanges, etc. Concernant la peinture, les habitants ont fait appel à la société Color Rare à Nantes, qui est un fournisseur de peintures naturelles ; une formatrice est venue sur le chantier expliquer aux habitants comme se faisaient les mélanges, et ils ont ensuite appliqué eux-mêmes la peinture. Il n’y a pas eu de difficultés particulières à intégrer ces prestations d’auto-construction au chantier salarié ; les supports étaient bons !
Questions
Lena Guillo
Réponses
Hervé Potin, architecte (Guinée*Potin)
Documents
Guinée*Potin
Photographies
Stéphane Chalmeau, Michel Ogier, Guinée*Potin, Lena Guillo