Du lisible au visible

« Habiter la Terre » de Jean Dethier

Martin Paquot | 18 septembre 2020

Introduction

Quarante ans après Des architectures de terre ou l’avenir d’une tradition millénaire (Centre George Pompidou/CCI, 1981), Jean Dethier publie Habiter la terre. L’art de bâtir en terre crue : traditions, modernité et avenir (Flammarion, 2019), un volume richement illustré de plus 500 pages coûtant la somme rondelette — et prohibitive pour les nombreux jeunes gens architectes ou étudiants qui s’intéressent, comme nous, à la terre… par chance nous l’avons trouvé d’occasion chez un libraire — de 95 euros, et ce, malgré le soutien affiché d’un promoteur immobilier.

L’auteur reprend, complète, actualise, amplifie son livre de 1981 grâce notamment aux travaux et aux recherches du CRATerre (Centre international de la construction terre fondé en 1979 à Grenoble) et à la collaboration de ses fondateurs Patrice Doat, Hubert Guillaud et Hugo Houben dont les noms méritaient d’être imprimé sur la couverture tant leurs écrits et leurs pensées sur la physique de la matière,  les techniques de construction, l’architecture vernaculaire, les pratiques de réhabilitation, etc. irriguent cet ouvrage.

Il troque le chapitrage thématique du premier livre pour un découpage chronologique aux titres parfois sibyllins mais conserve son aspect de « cabinet de curiosités » où se juxtaposent des photographies (en couleurs dorénavant, mais aux légendes irrégulières) d’architectures du monde entier exaltant certes la beauté de la terre crue mais aussi, et surtout, son incroyable diversité et universalité, autrement dit sa pluriversalité ! Si les lecteurs et lectrices averties seront un peu désappointées par les textes souvent courts (la curiosité est excitée et pas toujours assouvie) et parfois redondants, toutes et tous seront émerveillées par le charme et l’expressivité des milliers de constructions ordinaires et pompeuses qui garnissent ce volume dans lequel on picore avec plaisir. Qui en refermant ce livre ne souhaiterait pas habiter ou construire en terre crue !

Et pourtant « défendre le droit pour tous de construire en terre crue constitue un immense défi pour les années à venir » écrit avec raison Patrice Doat qui appelle à « une indispensable révolution culturelle et pédagogique ». Il dénonce l’ignorance des qualités tant physiques, économiques, écologiques et sociales de cette matière-terre qui, mélangée à un peu d’eau, est devenue le matériau avec lequel l’humain « a édifié depuis les premières civilisations jusqu’à nos jours, sous tous les climats et sur tous les continents, ses habitations, ses agglomérations rurales et urbaines ». Pourquoi la construction en terre a-t-elle été reléguée ? Et pourquoi connaît-elle un renouveau tant dans les mains de milliers d’anonymes que de quelques architectes et bâtisseurs fameux (Anna Heringer, Martin Rauch, Wang Shu, Francis Kéré, etc.) ? Hubert Guillaud en une phrase répond à ces deux questions : « La construction en terre subvertit le modèle économique dominant en redonnant à la société civile et surtout aux populations les plus démunies la capacité de prendre en charge elles-mêmes leur habitat. » Espérons que la terre ne sera pas usurpée et vidée de son essence par les trop puissantes multinationales du BTP et demeurera un matériau convivial (au sens illichéen du terme), c’est-à-dire exaltant la liberté et l’autonomie de chacun.

Jean Dethier (dir.) , Habiter la terre. L’art de bâtir en terre crue : traditions, modernité et avenir, Flammarion, 2019, 512 pages, 95 euros.