Introduction
Thierry Paquot publie un livre, tout à la fois bienvenu et important, sur les bidonvilles, dans la collection « Repères » des éditions La Découverte. Il s’intéresse à la question majeure de l’urbanisation contemporaine dont n’oublions pas que les bidonvilles sont la principale forme ! Un milliard de bidonvillois en 2005, deux milliards en 2030 et probablement trois milliards en 2050, soit près de 30% de la population mondiale.
Le bidonville, le slum, le township, la favela, le barrio est un ensemble d’habitations disparates, bricolées, illégalement installées sur un terrain squatté ne disposant d’aucun confort, d’aucun équipement de base (toilettes, eau, électricité, etc.), un espace sans voirie, sans adresse, sans ramassage des ordures, sans éclairage public, sans transport en commun. Le bidonville naît de l’occupation illégale d’une terre par une population démunie.
Le premier chapitre montre l’importance de l’urbanisation et de ses corollaires la taudification et la bidonvillisation au cours des XXe et XXIe siècles. Le bidonville du XXe siècle est une formation spontanée, non planifiée, à l’occasion de l’arrivée d’une population « étrangère » (exode rural, immigration, réfugiés) devant se contenter d’abris de fortune. Notons qu’il s’agit d’une rupture fondamentale dans la démographie mondiale, la population agricole ou rurale jusqu’ici ultra-majoritaire dégringole en quelques décennies pour ne plus représenter qu’une minorité. Dans les bidonvilles, l’espoir d’une situation meilleure et d’une ascension sociale s’entremêle au désespoir d’une situation irrémédiable, apparemment sans issue.
Le deuxième chapitre propose un tour du monde des bidonvilles en Amérique du Sud, en Afrique, en Asie et en Europe. Il illustre la croissance continue des bidonvilles et souligne les rares tentatives de relier ces « quartiers informels » à la « vraie » ville en leur apportant l’eau courante, l’électricité, les transports en commun, les services publics élémentaires tout en assurant à chaque habitant la sécurité foncière et le droit de bâtir sa maison. Quelques heureuses réussites tiennent à la solidité du réseau associatif, au soutien des autorités publiques locales et la mise à l’écart des réseaux criminels.
Le troisième chapitre s’intéresse au quotidien des bidonvilloises et des bidonvillois. Il montre l’importance des propositions des habitants et de leurs représentants, mais aussi les difficultés liées à l’incertitude et à la fragilité des situations. Les témoignages et les enquêtes ne manquent pas. Les situations sont différentes mais les bidonvilles persistent. Ils reflètent la nature profonde du système dominant, le caractère systémique des inégalités économiques et sociales qui affectent chaque société et la société mondiale.
Les quatrième et cinquième chapitres s’intéressent aux imaginaires des bidonvilles dans la littérature et dans le cinéma. Thierry Paquot nous convie, avec son immense culture, à une enquête détaillée. ll montre que les arts se sont saisis de la question des bidonvilles et y ont trouvé un révélateur profond de la société. La littérature apporte une compréhension des réalités des bidonvilles qui échappe souvent aux experts et nombreux conseillers en développement, tandis que le cinéma révèle le contraste entre les centres-villes rutilants et les quartiers sous-équipés. Le bidonville reflète l’urbanisation et en dévoile la dure réalité.
Thierry Paquot insiste : « Rien de véritablement satisfaisant dans l’évolution d’un bidonville ne peut venir uniquement de l’extérieur et en n’impliquant pas les bidonvilloises et les bidonvillois. Il s’agit de bien saisir les mécanismes de la bidonvillisation et de penser des solutions avec les bidonvilloises et les bidonvillois. […] Le bidonville est à la fois un lieu d’enfermement et un appel à l’émancipation. Il peut déboucher sur une explosion sociale tout comme sur une auto-organisation locale et efficace. […] Pour le moment, les bidonvilles sont la marque profonde des inégalités économiques et sociales que la globalisation du capitalisme financier accroît d’année en année. La part d’ombre de notre humanité. »
Le livre fourmille de références que cet infatigable lecteur présente et met en évidence. Il s’appuie et cite les principaux auteurs qui ont travaillé sur la question des bidonvilles parmi lesquels : Jacques Berque, Julien Damon, Rana Dasgupta, Mike Davis, Michel Ecochard, Franz Fanon, Yona Friedman, Bernard Granotier, Ivan Illich, François Lefort, Oscar Lewis, Lewis Mumford, Françoise Navez-Bouchanine , Annick Osmont, Lisa Peattie , Jean-François Pérouse, Colette Pétonnet, Abdelmalek Sayad, Jean-François Tribillon, John Turner. Une abondante revue littéraire et cinématographique complète généreusement l’ouvrage.
Thierry Paquot (2022), Les bidonvilles, « Repères », La Découverte, 124 pages, 10 euros.