Introduction

Marcher, randonner, se promener, flâner, dériver, cheminer, sont des pratiques qui ne datent pas d’hier. Pourtant, la marche, selon les cultures, révèle des pratiques et des philosophies différentes que nous redécouvrons depuis quelques années avec la valorisation récente de la marche en ville, qui nous permet de considérer autrement nos corps et nos sens, nos territoires et nos mobilités. Le livre de Jérémy Gaubert se place dans ce mouvement : il fait l’éloge du marcheur·euse ouvert à l’environnement, à l’écoute du monde qui l’entoure, en relation avec les autres personnes croisées ou rencontrées, bref, la marche exprime une manière « d’être-présent-au-monde-et-à-autrui », c’est-à-dire à habiter pleinement un lieu et un moment.

Ainsi, plus qu’une marche pour le plaisir, la promenade devient une attitude envers les choses, une disposition à la fois du corps et de l’esprit. (p21)

Jérémy Gaubert, Philosophie du marcheur, p21

À partir de la mise en mouvement de notre corps, de nos perceptions sensorielles, de nos relations aux autres et aux paysages, l’auteur s’attache à la figure du piéton ordinaire, suggère des ménagements spécifiques qui amélioreront sa déambulation, privilégie une approche phénoménologique que chacun·e fait sien·ne. Les chapitres s’enchaînent parfaitement, une idée en épousant une autre, l’ensemble ne cessant de s’enrichir et de donner de la marche une vision associant le mental au corporel. Comme quoi « marcher », ne consiste pas seulement à mettre un pied devant l’autre ! « Marcher » revient à « sentir », non seulement notre corps en déplacement, mais les transports successifs et entremêlés que celui-ci provoque. Grâce à nos sens sollicités par notre mouvement physique, tout un éventail de relations se déploie, mêlant l’externe et l’interne, en équivalence, comme si, en marchant, nous sortions de nous pour mieux y rentrer. Jérémy Gaubert parle du « rapport aux choses » que la marche encourage et qui nous dépayse : de nos habitudes, de nos paysages, de nos orientations, y compris en arpentant des territoires connus. Toute marche laisse advenir bien des surprises... Ainsi de nouveaux espaces peuvent émerger, notamment les espaces « marchables » qu’ils soient praticables et accessibles à tous. Là, se précise l’importance du ménagement des espaces publics qui offre aux lieux, une incontestable hospitalité, que tout promeneur apprécie.

Ce livre apporte également une riche bibliographie, comme un appel à parcourir d’autres ouvrages comme on découvre des rues inconnues. J’ai personnellement apprécié ce livre parce que j’y retrouvais mes propres expériences lors de parcours dans le périurbain, effectués dans le cadre d’un studio de projet. La lecture a alors fait échos aux différentes perceptions que j’ai pu ressentir lors de ces marches au bord des routes et des champs, à travers des lotissements, bien éloignées des marches urbaines que décrit Jérémy Gaubert, mais que l’on peut transposer sans difficulté à la ville diffuse et aux paysages ruraux.

Cet essai, agréable à lire, nous donne à penser nos espaces de vie de manière sensible pour le piéton que nous sommes. Le lisant nous marchons et en marchant nous nous le rémémorons.