Introduction
La traduction du Principe territoire d’Alberto Magnaghi par les éditions Eterotopia [lire le CR de lecture de l’édition italienne] met à la portée du public francophone une œuvre majeure du chantre italien de l’écoterritorialisme. Le Principe territoire poursuit et parachève son œuvre théorique et géographique qui se trouve ici condensée en plusieurs strates. L’ouvrage déploie des stratégies thérapeutiques pour soigner le milieu habité. Il éclaire les processus de contre-exode urbains et politise la notion de territoire comme lieu ultime de sauvegarde des conditions de la vie sur Terre. Marginalisé par les modèles socio-économiques dominants, le territoire sollicite une conscience spécifique, la conscience du lieu. Conscience du lieu et conscience de classe sont désormais liées dans la résistance à l’uniformisation capitaliste du monde. Émancipatrice, selon Alberto Magnaghi, la conscience du lieu n’est pas liée à un héritage statique dû au fait passif d’être né quelque part. Elle se construit à travers un parcours de transformation culturelle des habitants. Le local est vécu et agi comme un espace de production et de jouissance collective des biens communs.
A l’appui de cette vision régénératrice des établissements humains, Magnaghi propose une nouvelle géographie régionale qui redéfinit les limites des villes et inverse les pôles d’expansion métropolitains au profit de la réhabitation des aires marginales intérieures : en Italie, ce sont les cultures collinaires et les systèmes montagnards.
Cette transformation s’appuie sur des nouvelles énergies sociales. La priorité est de récupérer des formes d’autogouvernement territorial, de restituer le statut d’habitants aux personnes actuellement réduites au statut de consommateurs et de clients du marché. A l’appui, Magnaghi cite en exemple une multiplicité d’expériences communautaires et d’autonomies productives en Italie.
« La priorité est de récupérer des formes d’autogouvernement territorial, de restituer le statut d’habitants aux personnes actuellement réduites au statut de consommateurs et de clients du marché. »
Petite cité médiévale sur les bords de la Garonne en Gironde, Saint-Macaire teint lieu, pour Alberto Magnaghi, d’exemple de proposition vivante d’une qualité de vie urbaine alternative aux modèles métropolitains. L’ouvrage Une ville à habiter. Espace et politique à Saint-Macaire en Gironde décrit comment un choix d’organisation autonome a confié aux habitants les différentes phases de production de la nouvelle ville, sous la houlette d’un maire visionnaire, Jean-Marie Billa, qui a su mettre en valeur le patrimoine non pas en le muséifiant, mais en l’ouvrant à des usages sociaux multiples. Dans ce bourg, le patrimoine a été rendu vivant par une école dans le château, des logements sociaux dans un palais en centre-bourg, un donjon médiéval transformé en bibliothèque… En ruine dans les années 1960, l’ensemble de ce patrimoine a été rénové par des pratiques vernaculaires de transformation de l’urbain à l’initiative d’artisans du pays et d’habitants. Cette forme d’autonomie communautaire est un élément constitutif de la biorégion urbaine.
« Cette forme d’autonomie communautaire est un élément constitutif de la biorégion urbaine. »
La biorégion en tant que projet et émergence territoriale inspire d’autres futurs possibles. C’est le cas pour la communauté de communes du Val-de-Ligne en Ardèche, décrite dans La Biorégion en projet. Penser les futurs possibles d’une vallée ardéchoise. Pendant trois ans, de 2017 à 2019, des étudiants de l’école d’architecture de Lyon (ENSA) ont co-construit avec les acteurs locaux une « stratégie pour la biorégion » dans l’idée de faire émerger des processus de réhabitation. L’idée est de rompre avec l’espace abstrait en organisant un déplacement physique dans la vallée rurale de la Ligne pour des concepteurs habitués à envisager l’habiter à travers des approches distancées. Le contact direct avec les habitants dans leurs lieux de vie est la condition permettant de faire émerger des propositions en lien avec leurs attachements.
22 projets communaux ont émergé de ces explorations topographiques et de ces rencontres avec les habitants. Parmi ces projets, la maison prunettaine, dans le village de Prunet, propose de réintégrer la châtaigne dans l’économie locale. Dans ce village, les espaces publics et les places sont réinvestis et les circulations automobiles revues. De nouveaux habitats en bois de châtaignier sont imaginés pour pérenniser la culture de cet arbre. La remise en culture des terrasses, des logements rénovés, des espaces de coworking et une piscine naturelle partagée par la communauté permettent de réinvestir un hameau. Dans la commune de Rocher, l’idée est d’édifier une halle multi-usages en centre-bourg afin de renforcer les sociabilités entre « anciens » et « néo-ruraux ». A Largentière, la remise en état d’une partie de l’ancienne voie ferrée abandonnée dessine une nouvelle voie douce entre le centre-bourg et un hameau voisin. Dans l’entrée de ville, encaissée dans la vallée de la Ligne, l’intervention transforme le parking du supermarché en prairie à usages variables. Les bords de la rivière (La Ligne) sont revalorisés pour permettre un cheminement jalonné d’espaces publics en bien commun. A Montréal, village proche, les anciennes terrasses sont réemployées en théâtre de verdure et en agora, une boucle de trois kilomètres est dédiée aux déplacements piétons et cyclables afin d’inciter à l’appropriation du territoire par les habitant-es.
Alberto Magnaghi (2020), Le principe territoire, préface de Thierry Paquot, traduction Hélène Guérin et Daniel Bartement, « Rhizome », Eterotopia France, 2022, 236 pages, 25 euros.
Ilaria Agostini, Daniele Vannetiello (2022), Une ville à habiter. Espace et politique à Saint-Macaire en Gironde, préface d’Alberto Magnaghi,« Recherches »,Eterotopia France, 200 pages, 19 euros.
Françoise Nowakowski et l’Atelier Commun (dir.)(2022), La Biorégion en projets. Penser les futurs possibles d’une vallée ardéchoise, « Recherches », Eterotopia France, 215 pages, 24 euros.