rural éducation équipement public métal terre crue métamorphose participatif pédagogie
À Bouvron, la participation, terreau de tous les savoirs
Loïc Daubas | 1 juin 2023
Introduction
qui Architecte : Atelier Belenfant Daubas | Paysagiste : La Terre Ferme | Facilitateur : Wigwam
Quoi Restructuration-extension du pôle enfance Félix Leclerc | Réaffectation de l’école maternelle en accueil de loisir sans hébergement, salle polyvalente et pôle administratif & restructuration de l’école élémentaire (1200 m²) | Extension de l’école élémentaire de 3 classes et d’un préau (292 m2 S.D.P., 510 m2 d’espace couvert) | Construction d’une école maternelle de 7 classes et d’un préau (1380 m2 S.D.P., 1890 m2 d’espace couvert)
où 22 rue Jean-Louis Maillard, 44130 Bouvron
quand Processus de conception intégré : juin 2010 | Démarrage du chantier : janvier 2014 | Livraison : novembre 2015
Comment Processus de conception intégré (P.C.I.) | Charpente métallique grande portée | Ossature bois douglas non traité et isolation laine de bois, ouate de cellulose | Cloisons en bauge coffrée et adobes | « Igloos » en adobes réalisées lors d’un chantier de formation | Chaudière bois, réseau de chaleur et copeaux issus des bois d’élagage à proximité | Paysage comestible et sensible
pour qui La ville et les habitants de Bouvron
avec qui Habitants | Élèves | Élus : Marcel Verger (maire) | Enseignants : Thierry Paitel (directeur de l’école) | Agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM) | Cuisinier | Conducteur de car | Architecte de la ville : Patrick Kermarrec | Maçon terre crue : Samuel Dugelay | Facilitatrice : Marika Frenette (Wigwam) | Psychosociologue : Véronique Girard | Paysagiste : Sébastien Argant (La Terre Ferme) | Acousticien : Laurent Dagouret (Itac) | Thermicien : Damien Réhault (Airéo-Energies) | Contrôleur technique : Nicolas Brossard (Qualiconsult)
par qui : VRD : Charier TP | Gros-œuvre : ABTP | Charpente métallique et couverture : Téopolitub | Charpente bois, isolation, bardage : Hervy | Menuiseries extérieures : Atlantiques ouverture | Menuiserie intérieure : Dupré | Carrelage : Daudin-Poissel | Peinture : Renaissance | Chauffage, plomberie, ventilation : SPIE | Electricité : Gergaud | Jardin : Atlantic Sud Paysage | Maçonnerie terre crue : Samuel Dugelay, Pierre Blandin et le centre de formation Noria
combien 3,5 M€ HT, dont bâtiment principal neuf à 1100 €/m², aménagements extérieurs 25€/m² (prix 2015)
La démarche participative
Alexis Desplats | La cheminée de la chaudière fichée dans un silo, l’asphalte du parking et le regard d’un auroch à poils longs composent de manière bucolique la séquence d’accueil du groupe scolaire Félix Leclerc. Pour toi, ces éléments sont-ils l’expression de ce qui mène une mairie à envisager un projet d’école dans une démarche collective ? Le caractère rural et l’esprit de village où tout le monde se connaît sont-ils le terreau nécessaire pour imaginer et construire une école sur un modèle participatif ?
Loïc Daubas | Effectivement, l'élément banal, ici, c’est le silo agricole, détourné en silo de stockage pour une chaudière bois visible depuis l'entrée de l'école, mais positionnée à l’entrée de la ville comme symbole de la conscience de notre dépendance à l'énergie pour habiter. C'est aussi assumer de montrer que l’on doit s'interroger sur la provenance de l’énergie dont on a besoin pour chauffer une école — et donner à comprendre que l'on peut agir localement grâce à ce réseau de chaleur installé pour l'école. Le maire nous avait demandé de relever un défi : doubler la surface de l’école et diminuer par deux le coût du chauffage. Rapporté au coût de l’énergie en 2022, nous l’avons pour finir divisé par 10 !
L’accueil des enfants d’une commune rurale nécessite une logistique importante pour permettre la rotation des voitures et des cars scolaires allant chercher les enfants dans chaque village (en attendant que les cars soient remplacés par des carrioles à cheval !). Le premier espace d’accueil est donc le parking, qui permet de déposer ses enfants dans de bonnes conditions, lieu qui avait été identifié comme source de conflits et de malaise par les usagers lors des ateliers de co-construction. Finalement, ce parking est aussi utilisé pour les activités sportives de l’école grâce à l’approche de nos paysagistes qui ont dessiné les tracés d’athlétisme et positionné le parc sportif « bosquet’ball » sur ses côtés.
Le caractère rural n’induit pas une connaissance évidente des parents d’élèves entre eux. En effet, les déplacements automobiles — majoritaires — ne permettent pas aux personnes de se rencontrer. Par contre, le parvis et la salle polyvalente du projet sont des dispositifs spatiaux propres à permettre aux habitants de se connaître et de sentir invités à s’impliquer au sein de la commune. Les conditions fertiles à une implication sont sociétales plutôt que géographiques. La démarche participative propose donc de briser un isolement des habitants et usagers — pathologie généralisée dans notre pays.
L’apprentissage du dialogue
Le processus de conception intégré permet d’engager et de mettre à contribution tous les protagonistes de l’école (du directeur d’école au chauffeur de bus scolaire) dès les prémices du projet en étant encadré et accompagné par plusieurs facilitateurs ou facilitatrices. À quel point ce processus a-t-il bouleversé le projet, son programme et ses participants ?
Le projet résulte intégralement du processus de conception partagé : les besoins ont pu être exprimé autrement que via un processus non-binaire (questions/réponses d’un programmiste) et a ainsi réussi à faire émerger des envies, des souhaits au-delà des simples exigences quantitatives, en pensant à la vie dans l’école comme un temps riche, multiple, où les enfants jouent, apprennent, découvrent. Nous avons tous participé à un processus amplificateur qui a nourri la conception à toutes les échelles. Les ateliers ont permis d’approfondir des thématiques précises sur des journées dédiées en présence de 20 à 30 personnes (habitants, élus, enseignants, entreprises, cuisinier, architecte de la ville, économiste, facilitateur, psychosociologue, paysagistes, élèves, acousticien, thermicien, contrôleur technique, agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM) et conducteur de car) sur 4 sessions de 2 jours chacune, durant près de 6 mois, en s’appuyant sur le savoir-faire spécifique de Marika Frenette, du bureau d’études Wigwam. Ainsi, le projet est totalement issu de la réflexion commune et n’aurait jamais été compris comme tel sans ce travail préalable. D’ailleurs, à l’issue des ateliers de P.C.I., nous avons pu bénéficier d’un très grand acquis d’informations, nous permettant d’avancer sereinement lors de l’élaboration du projet et le dialogue avec la maîtrise d’ouvrage.
C’est comme si nous étions partis avec un bagage considérable de tous les éléments subtils — indéfinissables dans un programme classique — dans lequel puiser sans limite lors de la conception, tellement les ateliers nous ont permis d’aller au fond des nombreux sujets qui touchent les enfants, les enseignants, les parents d’élèves et les services de la commune de Bouvron. Les participant·e·s se sont appropriés le projet avant même que sa construction soit achevée.
Cette démarche est totalement incompatible avec la procédure actuelle des concours où il nous est interdit de rentrer en contact avec l’usager pour préserver l’anonymat des candidats. Quand on y pense, c’est délirant cette histoire ! Comment est-on arrivé à décharner à ce point le processus de conception ? Il existe pourtant une procédure de marché public via le dialogue compétitif (article L. 2124-4 du code de la Commande publique) qui le permet.
Dans le cas de l’école Félix Leclerc, ce n’était pas pour autant simple à gérer en termes de marché public : les besoins exprimés demandaient des budgets supérieurs aux prévisions initiales ! Cela a nécessité une autorisation dérogatoire par le préfet pour poursuivre la mission en maintenant la procédure adaptée utilisée initialement.
Comment le rôle ou la place de l’architecte s’ajuste-t-il à ce processus participatif ? Faut-il se mettre en retrait, s’effacer, redevenir l’enfant que nous étions ou devenir parent ? Y-a-t-il des limites à cette démarche ? Peut-elle devenir courante dans la création des établissements pédagogiques ?
Effectivement, cela demande de connaître la place de l’architecte. Loin de s’effacer, notre rôle d’expert se trouve renforcé grâce à la qualité des informations recueillies. Nous restons des enfants, des parents, cela inspire toujours nos projets. Le fait de concevoir des écoles nous permet d’aller rechercher régulièrement l’enfant qui sommeille en nous ! Nous nous mobilisons afin que cette démarche se déploie, elle a vocation à dépasser largement le cadre scolaire. Depuis cette expérience fondatrice, nous explorons le potentiel de l’intelligence collective dans de nombreux cadres (tertiaire, habitat) et sommes toujours autant impressionnés de ce que cela permet de développer sur chaque opération. Nous constatons actuellement des coups d’arrêts important dans les projets dits conventionnels, à cause d’un contexte insuffisamment interrogé. Aussi, l’épouvantail du « temps », qui souvent est utilisé pour ne pas s’appuyer sur une démarche collective, est remis en question. La démarche collective devient une assurance à maintenir le projet à flots, contre vents et marées, grâce à la puissance des savoirs et la mobilisation des acteurs.
La classe
Quelles libertés spatiales et techniques le choix d’une structure économique de type hangar agricole a-t-il permis ?
Le fait de supprimer des points porteurs intermédiaires a permis une logique de plan libre, permettant de faire évoluer le plan jusqu’au dernier moment sans être tributaires d’une trame porteuse contraignante. C’est le seul héritage du mouvement moderne que nous assumons.
La liberté spatiale générée est aujourd’hui manifeste. Lors de nombre de visites (plusieurs par mois sans interruption depuis son ouverture en 2016, soit plus de 1000 personnes d’autres collectivités), c’est bien cette qualité-là qui est d’abord constatée, très loin devant la compréhension d’un système constructif qui n’a d’agricole que sa logique d’optimisation.
L’organisation et la dimension des classes ont pu bénéficier d’une attention poussée (grâce à l’apport de Véronique Girard, psychosociologue). L’accueil au sein des classes des parents, le temps de classe qui correspond à des espaces dédiés différents, y compris le temps du repos dans les igloos en terre dans les classes maternelle, les prolongements à l’extérieur par l’espace couvert… ont été conçus par la projection de tous les usages lors du déroulement d’une journée entière dans une classe. En mutualisant différentes fonctions (vestiaire, activité, repos) en un même espace, les classes deviennent plus grandes et confortables. La classe normative de 60 m² préconisé par l’éducation nationale semble tellement éloignée de la réalité des besoins… Les classes intégrant vestiaires et sanitaires mesurent autour de 75 m².
La terre crue
L’usage de la terre crue est-elle la suite logique de la démarche participative ? Comment êtes-vous parvenu à mettre en œuvre la terre du site ?
La terre est une proposition de mon associé, Bruno Belenfant, et moi-même, évoquée lors la phase participative. Le temps pris pour l’expliquer a permis la compréhension en supprimant quelques a priori sur sa compatibilité avec une école.
L’utilisation de la terre du site été plus complexe que dans nos précédents projets (école de la Chevallerais en 2009, école de Fégréac en 2013), car les premiers essais réalisés avec la terre prélevée par la tractopelle de la commune ne nous permettaient pas de préfigurer une technique précise quant à son emploi. Nous avons donc décidé, lors de l’appel d’offre, de localiser les murs qui recevraient de la terre, remettant la définition de la technique de mise en œuvre à la phase chantier. Celui-ci étant un chantier de formation, rechercher la technique en cours de chantier convenait parfaitement. La période de formation au démarrage du chantier terre a permis la réalisation de prototypes qui ont été l’objet d’échanges nombreux avec la maîtrise d’ouvrage, les enseignants et le bureau de contrôle. Les exigences ont pu être respectées grâce à ce protocole en amont de la mise en œuvre.
L’école du chantier
Comment avez-vous fait du chantier une école : à la fois pour les artisans qui y ont été formés mais aussi pour les écoliers qui ont mis la main à la pâte et été sensibilisés à la construction en terre crue ?
En accord avec les élus, il a été choisi que le chantier de l’école soit une école de chantier via un chantier de formation réalisé par Noria (centre de formation) et Samuel Dugelay (artisan terre crue). Un cadre de formation laisse une marge de manœuvre non négligeable quant à l’adaptation du projet face aux contraintes de chantier. Au-delà de ça, tout le projet y gagne par la qualité des échanges entre maçon et architecte qui ont permis d’aboutir à la réalisation des igloos en terre, indubitablement plus intéressants que ce que nous avions prévus initialement ! Ces igloos ont prolongé, via la thématique voûte et coupole, la formation initiale sur les murs en bauge, soit près de 126 tonnes de terre manipulées !
Par rapport aux enseignants, la terre est devenue un outil pédagogique facilement appropriable, grâce à la présence des enseignantes et enseignants lors des ateliers P.C.I. La participation des enfants pendant le chantier et l’année suivant la construction des igloos en terre par tous les enfants de l’école nous a incroyablement marqué ! Lors du chantier, quelques messages ont été caché par les enfants dans les murs en terre, comme des capsules temporelles.
L’entretien
Lors de notre visite, nous avons pu constater de légers chocs à hauteur d’enfant sur des enduits de finition. S’il reste de la terre sur site pour réparer, qu’en est-il du savoir-faire ? Que t’inspire un bâtiment, a fortiori une école, qui peut être entretenu par ses habitants ?
Nous regrettons d’avoir mis des enduits en partie basse des murs en terre crue. Cette idée est venue pour rassurer le maître d’ouvrage en ajoutant de la matière face à la crainte d’un risque d’usure de la terre. Les chocs finalement sont plus visibles lorsqu’il y a des enduits que lorsque la terre structurelle est laissée brute. Cette dernière est en plus extrêmement facile à entretenir y compris par les usagers voire même les enfants. Compte tenu que la terre crue est réparable indéfiniment par tout un chacun, avec des moyens rudimentaires… une éponge humide et éventuellement un seau de terre, ou à partir d’une brique d’adobe remouillée, l’entretien devient un jeu d’enfant ! (Les élèves de l’école se sont, d’ailleurs, portés volontaires pour entretenir la cour de l’école !)
Dans ce projet, outre les extensions neuves, vous êtes aussi intervenus sur des bâtiments du XIXe siècle et des années 1980 : leur entretien ou leur réparation fut-elle aussi aisée ?
Tu touches du doigt une problématique large à laquelle nous nous sommes confrontés à de multiples reprises. Le cas de Bouvron est bien un cas d’école, car nous avons pu comparer sur un même site des modalités d’interventions totalement différentes en fonction de l’époque de construction. Clairement, celle relative aux constructions des années 1980-1990 a été la plus difficile à engager, périodes où l’on a perdu en lisibilité et en qualité dans la mise en œuvre. Les bâtiments existants ont bénéficié d’un changement d’usage complet, l’école maternelle a été transformée en périscolaire-centre de loisir et l’école élémentaire a été restructurée. Le bâti du XIXe s. a été transformé en pôle administratif. Au-delà de la remise aux normes d'accessibilité et d'incendie, les classes ont été améliorées tant sur l’ergonomie que l’acoustique. Enfin, l’enjeu énergétique a pointé la nécessaire amélioration de l’étanchéité à l’air. Une évaluation de l’impact carbone et une analyse du cycle de vie (A.C.V.) ont été effectuées pour dimensionner l’intervention sur les bâtiments faiblement isolés.
À la fin de notre visite, nous avons remarqué des maquettes réalisées par les écoliers avec une doctorante en architecture. As-tu le sentiment que la dynamique initiale de conception participative et de chantier-école ont inscrit durablement les valeurs de l’expérimentation, du partage et de la transmission dans l’architecture ?
C’est la raison principale pour laquelle nous avons plaisir à concevoir des écoles. Les volontés initiales, voulues par les commanditaires et les architectes, perceptibles dans l'architecture, se prolongent ainsi auprès des usagers, bien au-delà de la présence de l'architecte. Ainsi, toutes ces « concrétisations » sont comme des messages envoyés aux générations successives d’élèves.
L’architecture se fait alors le relai auprès des enfants et des enseignants, sans que l’architecte ait besoin d’être présent pour expliquer les raisons de la conception de cette école. Aussi, par l’espace engendré, par la matérialité proposée, nous espérons que les valeurs de démocratie, de partage, d’expérimentation, d’écologie, d’économie transpirent des murs et infusent encore longtemps chaque enfant fréquentant cette école lors de sa scolarité.
Questions
Réponses
Loïc Daubas, architecte
Documents
Photographies
Éric Alibert, Atelier Belenfant Daubas, JF Mollière