Introduction

qui TEPOP (Territoire à Énergie Populaire) | Béatrice Mariolle, Marie-Ange Jambu, Eudine Blancardi, Félix Blanchard.

quoi co-conception et co-construction du Youri-Kit, un équipement sportif à déployer et à transformer en fonction des besoins et des envies

La Courneuve (93), quartier des quatre routes, comme point de départ.

quand 2019 : projet Éco-construire les Olympiades à énergie populaire | 2020 : première rencontre avec la Maison Pour Tous (MPT) Youri Gagarine | 2021 : première série d’ateliers de co-conception | 2022 : installation de 2 jours par semaine à la MPT pour accompagner la réalisation du Youri-Kit | 2023 : lancement de la co-construction du premier module du Youri-Kit, dans les ateliers de la Villa-mais d’ici à Aubervilliers avec Atelier+1 | 2023 : deux modules supplémentaires co-construits et activation dans l’espace public avec les jeunes de Plaine-Commune.

comment processus participatif avec des jeunes de 12 à 17 ans | structure tubulaire métallique assemblée grâce à des nœuds multiples (système « kee-clamps ») | réemploi pour les éléments de second oeuvre (bois, panneaux dibons, élastiques et textiles)                 

pourquoi « Faire la métropole de demain avec les jeunes d’aujourd’hui » : slogan de TEPOP en 2015 | montrer comment les initiatives locales existantes, implantées dans les quartiers populaires, peuvent contribuer à la transformation de ces territoires | donner une voix à un public trop peu souvent entendu sur la scène des transformations territoriales

avec qui  implication et accompagnement des animateurs de la Maison Pour Tous Youri Gagarine à La Courneuve : Sassa et MJ | participants et, pour certains, ambassadeurs du projet : les jeunes (Amine B., Amine E., Selma E., Inès E., Dama K., Amine D., Lucas K., Luccas N., Jamal B., Siliman K., Mpaly B., Issa T., Sadjema I., Engy L., Beverly, Jahida M., Mariam S., Aymen K., Marwan B., Jazil E., Assane S., Ali Y., Mohamed Y., Saïd A.M., Seydou S., Bilal S., Narimane B.) | soutiens : les habitants du quartier, les mamans des jeunes, les couturières de la MPT, Gamra | l’équipe TEPOP, dont la plupart sont bénévoles : Constance B., Eudine B., Félix B. Arthur B., Fatiha L., Clara A., Mario G., Sophie B., Olivia J., Louise D., Céline M., Capucine D., Xuan-Lyse R., Léo L., Claire B., Ophélie S., Maud H., Juliette D., Lydie D., Laetitia O., Béatrice M., Marie-Ange J., René P.R. | les architectes qui ont ouvert leur atelier : Atelier+1(César B.) | soutien financier du Mécénat national et régional de la Caisse des Dépôts et de la Fondation de France depuis 2019, et de la ville de La Courneuve depuis 2023.

Olympiades à énergie populaire

Nolwenn Auneau | Initiée en 2015, l’association TEPOP (Territoires à Énergies POPulaires) accompagne des groupes de jeunes de quartiers populaires, entre 13 et 18 ans, dans la réalisation de micro-projets d’architecture de proximité, aux pieds de leur logement. Qu’est-ce qui a motivé l’idée d’initier ces jeunes à l’architecture ? Comment la démarche a-t-elle réussi à s’installer dans le territoire ?

Béatrice Mariolle | À l’époque, j’étais mandataire d’une équipe de l’atelier international du Grand Paris, et, en 2015, on nous a demandé des propositions pour la COP21. Notre travail, déjà largement orienté vers les démarches participatives dans les quartiers populaires, s’est naturellement tourné vers les jeunes, en raison de la trop faible écoute dont ils font l’objet. « Faire la métropole de demain avec les jeunes d’aujourd’hui » est devenu notre slogan.. Cette aventure a donc commencé par l’organisation d’ateliers avec des étudiants de l’école d’architecture de Paris-Belleville dans des communes de première couronne parisienne (La Courneuve, Aubervilliers, Stains, Pantin, Bondy, Bagnolet, Saint-Denis, Bobigny). Elle a ensuite été étendue (Etampes, Melun) avant de dépasser les limites du Grand Paris pour être présente dans les quartiers populaires de Nantes et Valenciennes et maintenant dans le Bassin minier du Nord et du Pas-de-Calais (Harnes et Sains-en-Gohelle). Pendant la COP21, nous avons organisé une grande exposition sur un plateau de 200 m² dans la grande halle de la Villette en parallèle d’un festival de Hip-hop. Cet évènement a connu un succès très important et nous a convaincus de l’intérêt de créer une association.

Au fur et à mesure, nos outils se sont affinés. Confrontés aux jeunes, il fallait que les ateliers soient vivants, amusants et intenses. En 2019, saisissant l’opportunité des jeux olympiques à Paris et en Seine-Saint-Denis, nous avons lancé l’idée d’un grand projet ­nommé « Olympiades à énergie populaire ». Le mécénat de la Caisse des Dépôts et la Fondation de France ont rapidement soutenu le projet. 

Marie-Ange Jambu | Pendant un an, nous avons parcourus le territoire de Plaine Commune à la rencontre des jeunes et des animateurs de centres jeunesse et des associations sportives. Avec le support d’une grande carte que nous déroulions sur le sol devant les antennes jeunesses ou sur les terrains multisports, les jeunes nous ont racontés leur quartier et leurs manières d’y développer des pratiques ludiques et sportives. Cela a été l’occasion de mener l’inventaire des dynamiques existantes de réappropriation d’espaces délaissés et des envies de porter des projets d’aménagements à l’échelle du quartier.

TEPOP organise tout d’abord des ateliers de co-conception avec les équipes et les jeunes des Maison pour tous (MPT) Joliot Curie à Saint-Denis et Youri-Gagarine à La Courneuve. On y explore des méthodes d’architecture participatives qui réunissent autour d’un même projet des jeunes des quartiers et des jeunes des écoles d’architecture amenés à collaborer pour faire projet et apprendre ensemble.

Le Youri-kit, ou les jeunes en jeu
TEPOP - Youri kit - Le grand projet intercommunal des Olympiades à énergie populaire // TEPOP / Topophile

Espace ouvert

La démarche de TEPOP interroge le rapport entretenu par les jeunes à l’espace public dans les quartiers populaires. Q’est-ce que l’espace public représente pour eux ? Quel regard portent-ils sur leur quartier ? Quelles influences le genre et l'âge peuvent-ils avoir sur leur expérience des lieux ?

Béatrice Mariolle | Dans les quartiers dans lesquels nous travaillons, il s’agit plutôt d’un espace ouvert, quel que soit son statut juridique, étant données les formes urbaines modernes de tours et de barres. C’est là que les jeunes se rencontrent. On peut dire qu’ils y habitent littéralement. Pour les garçons comme pour les filles, le sport est important et il s’exerce en grande partie de manière informelle dans ces lieux (57% des sportifs s’exercent de manière autonome). Les communes de Seine-Saint-Denis sont sous dotées en équipements sportifs avec 16 équipements pour 10 000 habitants et 8 seulement dans les quartiers politique de la ville (pour comparaison, 41 en France, 23 en Ile-de-France) et les équipements sportifs bénéficient deux fois plus aux garçons qu’aux filles (les filles sont 31 % à pratiquer une activité sportive au sein de fédération contre 69% d’hommes dans le département de la Seine-Saint-Denis). Il y a donc un véritable besoin d’ouvrir les lieux de pratique. 

Marie-Ange Jambu | On observe aussi que les équipements sportifs récemment créés, majoritairement des terrains multisports, sont suroccupés. Ils deviennent des lieux de réunions intergénérationnels entre les habitants du quartier, autour d’activités sportives mais aussi d’échanges de savoir-faire (couture et aide aux devoirs à Aubervilliers).

Béatrice Mariolle | Dans le projet Olympiades à énergie populaire, l’objectif est de considérer le sport et le jeu dans leur rôle d’intégrateur social. On entend par là qu’à travers ces pratiques quotidiennes, les jeunes acquièrent une forme de sensibilité aux transformations de leur quartier.

TEPOP - Youri kit - La battle d’archi: les propositions du groupe des garçons // TEPOP / Topophile
TEPOP - Youri kit - La battle d’archi: les propositions du groupe des filles // TEPOP / Topophile

Félix Blanchard | À travers le diagnostic et l'arpentage, on comprend que l'espace public est un lieu de rencontre et de sociabilisation pour les jeunes, où la pratique sportive tient une place importante. Les sports de glisse (vélo, skate...) par exemple occupent souvent les espaces de pieds d'immeubles et les places où se déploient aussi la vie de quartier (fêtes, jeux…). Les terrains multisports sont de véritables espaces de sociabilité ; les jeunes s'y retrouvent et y sont très attachés. Bien que l'aspect normé de ces équipements induise des usages plutôt masculins, l'importance de ces espaces dans la vie sociale des jeunes est indéniable. Les projets développés avec les jeunes proposent d'activer de nouvelles pratiques autour et sur ces équipements. Par exemple, le Youri-kit offre la possibilité de détourner l'usage prévu d'un terrain multisport. Un autre projet dessiné à Saint-Denis propose d'activer un terrain de tennis en tant qu'espace de représentation (danse, spectacles, théâtre...). Ces orientations de projet, construites avec les jeunes témoignent du souci de faire de l'espace public un lieu inclusif.

Eudine Blancardi | En atelier, les battles d'archi et les projets qui en ressortent révèlent en creux comment les jeunes ressentent cet espace public quotidien et ce qu'ils en attendent. Certains ateliers réalisés en non-mixité montrent que l'espace n'est pas appréhendé de la même manière en fonction du genre. Alors que les garçons formulent des propositions plutôt liées à des pratiques sportives collectives, souvent situées, et s’appuient sur une approche empirique et pragmatique (des « assises avec dossier sinon ce n'est pas confortable ») ; les filles parlent souvent d’activités périphériques au sport comme la détente, la convivialité ou le jeu (manger, discuter, se reposer, se balancer) en développant des usages et des réflexions plus personnelles sur la base de l'existant (greffes sur du mobilier, interventions ponctuelles, embellissement...). Dans les deux cas, les espaces projetés combinent généralement plusieurs usages et pratiques sportives et l'attention est portée au fait de proposer des espaces accueillants pour toutes et tous en termes de genre et d'âge.

Béatrice Mariolle | On a essayé de saisir les différences entre les garçons et les filles en organisant des ateliers en non-mixité, mais les résultats sont difficiles à interpréter. À La Courneuve, on s’est vu reprocher, lors d’un jury de fin d’atelier, de ne pas proposer de foot. En effet, les groupes essentiellement féminins n’avaient pas demandé ce sport, mais ceci ne veut pas dire que les filles ne jouent pas au foot. Certaines demandes apparaissent néanmoins dans les groupes de filles, et beaucoup moins dans les groupes mixtes, comme la danse ou tout simplement des endroits pour se poser. Souvent les filles ont du mal à affirmer leurs idées face aux garçons.

TEPOP - Youri kit - Discussion sur les manières d’installer les activités sur le terrain entre le groupe des filles et celui des garçons pendant la battle d’archi // TEPOP / Topophile

Youri-kit

La démarche de TEPOP s’opère sur un temps long d’investigations et d’ateliers successifs avec diverses antennes jeunesses de Seine-Saint-Denis. Le Youri-kit constitue la première matérialisation construite de TEPOP et de ses jeunes participant.e.s. Il est à la fois, un accomplissement — fruit de neuf ans de travail dont deux dédiées au Youri-kit avec le même groupe de jeunes —, mais surtout l’ébauche d’une démarche appelée à poursuivre son infiltration dans le territoire. Que représente le Youri-kit dans la longue démarche itérative de TEPOP ? Pourquoi avoir choisi un dispositif modulaire ?

Marie-Ange Jambu | Le Youri-kit c’est d’abord un rebondissement qui témoigne de l’appropriation par les jeunes de la démarche TEPOP et de la prise de conscience collective de la possibilité de participer à la transformation de la ville.

Au départ, nous avons travaillé avec les jeunes sur un projet d’aménagement fixe sur le terrain qui fait face à la MPT Youri Gagarine à La Courneuve. L’espace ludo-sportif co-conçu avec les jeunes a fait l’objet de présentations-débats auprès des habitants du quartier et des élus de la ville. La démarche a convaincu mais le projet a été bloqué par des circonstances liées à l’urbanisme des grands projets sur lesquelles nous n’avons pas prise. Les jeunes et les animateurs qui se sont investis dans ce projet ont refusé de baisser les bras : « Il faut aller au bout de la démarche ! Il faut construire ». C’est comme ça que l’idée de kit mobile est née, et les élus via les subventions de la politique de la ville ont soutenu cette initiative. Un nouveau cahier des charges a été défini avec les jeunes pour aboutir au Youri-kit. Les jeunes pourront le déployer dans tous les espaces ouverts repérés autour de la MPT et l’adapter en fonction des activités qu’ils ont envie de pratiquer. La structure modulaire s’impose alors comme évidence : ludique, réversible, protéiforme, économique, incrémentale et indépendante des propriétés foncières.

TEPOP - Youri kit - réalisé par TEPOP pour les jeunes dans le Journal du projet (diffusé à l’ensemble des participants) pour illustrer le processus de fabrication des éléments du Youri-kit et la manière dont ils s’assemblent pour générer des usages // TEPOP / Topophile

Eudine Blancardi | Lorsque s'est posée la question de la matérialité du Youri-kit, les enjeux de légèreté et de modularité se sont imposés en premier lieu. Les jeunes souhaitaient pouvoir déplacer le kit sur différents sites, de manière autonome, à pied ou à vélo. Il se sont également très vite souciés de la question du montage, avec pour objectifs qu'il soit rapide et accessible à tous. C'est comme ça que l'idée d'une structure tubulaire métallique assemblée grâce à des nœuds multiples (système « kee-clamps ») a émergé. Avec seulement deux dimensions de barres métalliques et 3 types de nœuds d'assemblage, la structure offre une importante liberté d'assemblage. La grande flexibilité du système a ainsi permis aux jeunes d'explorer et de travailler la modularité et l'association des différents dispositifs ludo-sportifs exprimés en maquette. La structure métallique sert de support aux pratiques du corps en mouvement (parkour, muscu, grimpe, etc.) d'une part et de l'autre elle accueille divers usages sous la forme de greffes (sac de boxe, transat, etc.). Enfin, le poids et la triangulation du dispositif assurent la stabilité intrinsèque de l'installation, permettant de s'affranchir de lestage. Le Youri-kit intègre des éléments de réemploi (bois, panneaux dibons, élastiques et textiles) trouvés à la Réserves des arts, à proximité du lieu de chantier. Cette étape de glanage a également été réalisée avec les jeunes. Des éléments légers du kit ont été fabriqués en textile (tissu, élastiques, bâche) avec l'aide d'une association de mamans couturières de la MPT. Finalement, le kit offre une très grande flexibilité de formes et d’usages. Malgré sa structure standard, chaque déploiement est différent et les jeunes ont bien compris l’immense créativité qu’il permet.

Le chantier de co-construction du kit a été un temps très fort du projet car il a permis aux jeunes de concrétiser leurs idées, de découvrir le travail de la matière et de prendre conscience du processus de transformation des matériaux choisis. Il a été l'occasion de décloisonner les disciplines et de faire tomber des barrières ; de permettre à toutes et tous de faire de la couture comme de couper du métal.

Ce qui est intéressant c'est que le travail ne soit jamais terminé. Aujourd'hui la recherche se poursuit sur la question du transport et de l'assemblage de différents kits entre eux ce qui offre de nouvelles potentialités de projet avec les jeunes et les générations à venir.

TEPOP - Youri kit - Ateliers de co-construction réalisés pendant une semaine en partenariat avec les architectes d'Atelier+1 à la Villa-mais d'ici à Aubervilliers // TEPOP / Topophile

Félix Blanchard | Le Youri-kit est aussi un défi pour l’association TEPOP qui doit penser et définir les nouvelles conditions de ce passage à l’acte. L’équipe développe de nouveaux outils permettant d’articuler co-conception et co-construction, de passer progressivement de la maquette à l’assemblage grandeur nature. Le Youri-kit a alors vocation à son tour à devenir un objet de conception et de pré-figuration pour d'autres projets ludo-sportifs. Il est possible de la sorte de faire projet à l'échelle 1 avec les jeunes, de tester des formes in situ.

Enfin, la réalisation de ce petit équipement sportif est une preuve tangible du travail de qualité et de longue haleine réalisé par les jeunes de la MPT pour la transformation de leur environnement. Ce projet démonstrateur a aussi pour rôle de convaincre les décideurs qu'il est possible d’avoir confiance en la démarche, dans l'éventualité de faire émerger des habitants d'autres projets.

Béatrice Mariolle | On peut rajouter que le kit se nourrit en permanence de nouvelles idées sportives et créatives. Les jeunes ont envie de le décorer, de détourner les usages pour inventer des nouveaux jeux. Les possibilités semblent infinies. Nous avons récemment travaillé avec une artiste, Emma Cogné, qui nous a appris à tisser des gaines plastiques ce qui a donné l’idée aux jeunes de fabriquer des filets, un drapeau, un panier de basket non standard.

TEPOP - Youri kit - les pièces sont prêtes à être assemblées // TEPOP / Topophile

Recherche-action

La démarche fait largement évoluer le rôle habituellement attribué aux architectes. Au sein de l’association, les adhérents, pour majorité issus de cette profession, élargissent leur rôle vers celui de médiateur auprès des associations ou institutions locaux et surtout des jeunes. Ils ne s’attachent plus seulement à produire un objet fini, mais à accompagner une démarche incrémentale que l’on peut qualifier de « recherche action ». Quelle(s) action(s) mène à la recherche ? Quelle(s) recherche(s) mène à l’action ? Quelle(s) évolution(s) cette démarche reflète-t-elle dans les métiers de l’architecte et de l’urbaniste ? Sur quelles bases théoriques la démarche se nourrit-elle ? Comment parvenez-vous à la transmettre aux jeunes ?

Eudine Blancardi | En effet, la recherche et l'action sont deux dynamiques largement entremêlées dans la démarche de l'association. Ce n'est ni le projet qui fait émerger la recherche, ni la recherche qui fait émerger le projet mais bien le processus imbriquant les deux sur le temps long. Le qualificatif « recherche-action » rend compte de l'aspect protéiforme de la démarche et de l'idée que l'aboutissement du projet n'est pas une fin en soi et que les objectifs projectuels se définissent en cours de route au fil des ateliers. La matière issue des ateliers (échanges, productions graphiques, maquettes, arpentages...), quant à elle, contribue à nourrir en permanence la réflexion sur les enjeux d'appropriation de l'espace public par les jeunes. Le Youri-kit témoigne de la nécessaire adaptabilité de la méthode puisqu'il découle d'un premier projet pérenne pensé sur un terrain précis. Bien entendu une telle démarche se doit d'accepter la non-linéarité mais ce qui est intéressant c'est de faire ce chemin avec les jeunes qui participent au projet.

D'une certaine manière, le Youri-kit incarne également physiquement le résultat des constats faits sur les territoires marginalisés : par sa modularité, il interroge la capacité des villes à produire des formes adaptables aux besoins des habitants ; par sa singularité, il remet en cause la fabrication de l'espace public des quartiers populaires (prédominance d’objets figés comme les terrains multisports ou les espaces de musculation, présence d'espaces délaissés non appropriés) ; et par sa multi-fonctionnalité, il rend compte d'une volonté d'inclusion. Ainsi, ce qui caractérise la démarche, c'est qu'elle soulève des enjeux autant qu'elle produit des réponses à des besoins spécifiques.

TEPOP - Youri kit // Matthieu Samadet /Topophile

Félix Blanchard | À Tepop, il y a un grand travail de capitalisation sur les actions réalisées et l'évolution des méthodes de co-conception afin qu'elles puissent nourrir les futurs projets. Nous avons par exemple travaillé avec des maquettes modulables pour éprouver les potentialités de la structure. Nous avons aussi réalisé des ateliers de simulation permettant de confronter le Youri-kit à différents aléas (climat, transport, nombre de personnes...) et questionner les usages permis par la structure. Enfin, avant le chantier, la production à l'échelle 1/20e d'une maquette en bois a permis de s'assurer de la compréhension du projet par tous les participants et a servi d'introduction à la prise en main de certains outils avant le chantier (scies, perceuses...). La recherche se trouve donc également dans la remise en cause des manières de faire projet et appelle à un rééquilibrage constant : comment adapter les outils de co-conception à l'évolution du projet ? aux différents interlocuteurs ? Comment rendre compte et incarner le résultat des recherches ?

Eudine Blancardi | Cette méthodologie est le témoignage que l'architecte ne s'attache plus à l'objet mais bien au processus, et qu'il « fait projet » à partir de sa compréhension des enjeux et des dynamiques à l'œuvre sur un territoire, de la rencontre d'acteurs situés et de ressources locales. L'architecte de cette manière agit comme un révélateur, un facilitateur entre les habitant.es, et les politiques publiques. Dans le cas de Tepop, il aide les jeunes à formuler, mettre en valeur et porter des envies et des besoins dans l'espace public. Une telle pratique implique de fait d'abolir la notion de sachant.e et d'aborder le projet dans une optique de partage et d'échange. Enfin, c'est une manière de faire qui demande du temps (le temps de la rencontre, de l'apprivoisement, du faire-ensemble) que les pratiques plus classiques gouvernées par des objectifs de rentabilité ne peuvent se permettre…

Béatrice Mariolle | Ceci n’enlève rien à la nécessité d’agir en tant que concepteur car le travail mené par TEPOP entre les ateliers est fondamental. Il faut redessiner, chiffrer, valider la structure et revenir à l’atelier suivant avec des propositions et les argumenter. Il s’agit d’échanges de savoirs experts. D’un côté, on a les savoirs acquis à l’université et de l’autre les connaissances du programme sportif et l’intelligence des lieux par l’habitant qui les pratique quotidiennement.

TEPOP - Youri kit - Exploration par le jeu des potentiels du premier module du Youri-kit // TEPOP / Topophile

Ambassadeur.rice.s

Comment le Youri-kit parvient-il à se déployer aujourd’hui dans le territoire ? D’autres communes se montrent-elles intéressées par la démarche ? Dans un contexte ou de grandes infrastructures olympiques se construisent en Seine Saint Denis, sans égard pour les habitants, les jeunes ont pu présenter le Youri-kit aux élu.e.s de la Ville et de Plaine Commune lors de l’évènement « La Courneuve Plage 2023 ». Dans ce contexte, la démarche de TEPOP ne risque-t-elle pas d’être instrumentalisée par les pouvoirs publics, désireux de prouver les bienfaits de l’arrivée des JO dans un territoire populaire ? Comment éviter que ce prototype ne soit réduit à un simple « produit » réplicable, alors qu’il est le fruit d’une longue démarche de co-conception avec les jeunes ? Les jeunes de la MPT prennent-ils un rôle dans le déploiement de la démarche ?

Marie-Ange Jambu | Chaque atelier TEPOP fait l'objet d'une présentation aux habitants du quartier et d’un récit sous forme de journal illustré. C'est très important que les jeunes ne restent pas entre eux mais montrent leur engagement.

Cet été́, TEPOP s'est installée à La Courneuve Plage pendant un mois et a ainsi pu toucher un public très large. La présence du Youri-kit a eu un impact fort dans l'allée principale de l’événement et les jeunes de la MPT, devenus les « ambassadeurs » du projet, se sont montrés très responsable de leur œuvre, en surveillant les plus jeunes qui voulaient le tester.

Le grand débat organisé sur place par TEPOP a permis une grande visibilité́ et des échanges très riches avec à la fois des chercheurs et journalistes, des élus de la ville et les familles. Les trois générations de jeunes impliqués dans le projet depuis 3 ans (âgés de 12 à 17 ans) se sont relayés pour présenter les étapes de la conception et de la réalisation du projet à travers l’exposition des maquettes et des photos d’ateliers. Même si prendre la parole en public ne va pas de soi, ils sont prêts à défendre leurs idées et à convaincre de l’intérêt de la démarche. Ceux sont eux qui mènent le débat, et tout en répondant aux questions des invités, ils les interpellent pour qu’ils soutiennent financièrement la démarche.

Évidemment, avec la perspective des Jeux Olympiques et la difficulté des pouvoirs publics à faire le lien entre ce méga-événement et les quartiers populaires au milieu desquels il va se déployer, le Youri-kit devient un projet intéressant à porter sur le territoire de Plaine Commune.

TEPOP - Youri kit - Le grand débat organisé par TEPOP à La Courneuve Plage en juillet 2023 a réuni Marie-Hélène Bacqué. sociologue, Sarah Ichou du Bondy Blog, Hugo Martin de la Preuve par 7, Pascal Lebris, Patrick Cark et Nadia Chaboune de la Ville de la Courneuve dans une discussion menée par les jeunes de la MPT Youri Gagarine à propos de leur projet // TEPOP / Topophile

Béatrice Mariolle | Nous sommes bien conscients des risques de récupération dont on peut faire l’objet. Nous avons longtemps refusé d’avoir des financements locaux, afin de ne pas avoir de comptes à rendre aux décideurs du territoire. C’est ce qui nous a permis de mettre les compétences de TEPOP au service des jeunes qui devenaient nos seuls commanditaires. Lorsqu’on allait rencontrer les structures jeunesse (Maisons pour tous, centres sociaux, espaces jeunes…), la seule chose qui nous importait était de trouver des animateurs et animatrices ayant envie de travailler avec nous. Nous ne demandions pas d’argent. C’est ainsi que nous avons constitué les groupes de jeunes. Maintenant, les choses sont un peu plus compliquées. Lorsque nous sommes allés présenter le projet à Plaine Commune, à la cellule JOP, il y a eu un grand enthousiasme et il nous a été tout de suite fait la proposition de nous acheter plusieurs kits. Notre réponse a consisté à dire que ce n’était pas du mobilier et que ces équipements appartenaient aux jeunes.

La position de TEPOP est assez radicale car nous considérons que nous aidons les jeunes à réaliser leurs projets et qu’en conséquence, les projets leur appartiennent, à eux, et non à l’asso. Pour le moment, à La Courneuve, une grande confiance s’est installée, et les jeunes savent défendre le projet sans nous. D’autres communes se montrent intéressées, comme Villetaneuse ou Paris, mais nous sommes clairs dès le début sur notre démarche et le sens que nous lui donnons.

TEPOP - Youri kit - Montage et test du Youri-kit selon la nouvelle configuration imaginée en maquette à La Courneuve Plage 2023 // TEPOP / Topophile

Habitant.e-citoyen.ne

Si parler et faire de l’architecture avec les jeunes peut faire naître des vocations, cela outille également ces jeunes citoyens pour défendre leur droit à la ville. Neuf ans plus tard, quelles évolutions observez-vous chez les jeunes rencontrés ? Avez-vous eu des surprises quant aux retombées positives générées par la démarche ?

Félix Blanchard | Souvent, au fil du projet, en ateliers, des personnalités ou des intérêts se révèlent que ce soit dans la capacité de vision dans l'espace, dans l'aisance à présenter le projet aux élus, la recherche de solutions à des questions techniques… Nous avons pu remarquer que les jeunes ont une grande affinité avec les métiers de la construction et une curiosité pour l’architecture dont ils s’approprient très vite les concepts. Les ateliers sont organisés sur leur temps libre (soirées et vacances) ce qui ne les empêchent pas de revenir. Par ailleurs, nous avons accueilli plusieurs stagiaires de 3e ayant découvert l'association en tant que participants aux ateliers. Une des jeunes de la MPT a récemment effectué un stage en agence d’architecture. Pour les plus anciens participants, le service civique a aussi été envisagé. Cependant l'objectif de l'association n'est pas de former de futurs architectes. L'enjeu est de réfléchir ensemble à ces espaces de vie quotidiens et de prendre la mesure de leur pouvoir d'habitant-citoyen.

Nous avons pu observer que globalement, la question du partage et de l’inclusion est toujours très présente dans les préoccupations des jeunes. Les projets dessinés sont toujours soucieux d'être ouverts à tous : intergénérationnels, pour tous les genres, accessibles aux handicapés. Au contraire, les jeunes participants sont initialement peu sensibles aux enjeux écologiques. Au fil du temps, ces questions, devenues plus tangibles par la concrétisation progressive du projet, prennent de l'ampleur dans leurs réflexions.

En effet, la méthode proposée par l'association, qui s'appuie sur le projet d'architecture, a pour avantage d'articuler des éléments concrets (des espaces, des structures, des lieux connus, des usages...) à des enjeux plus globaux. Ensemble, on se pose des questions très simples et pratiques : pour qui on construit ? Qui peut grimper sur cet élément de structure ? Quel est l'impact de la construction sur le terrain existant ? Quelle quantité de matière faut-il pour réaliser un élément ? Comment pouvons-nous récupérer de l'eau de pluie ?

Eudine Blancardi | Ce qu'il semble important de souligner, c'est l'impressionnante implication des jeunes dans le projet une fois qu'ils y ont adhéré. Un animateur nous faisait remarquer que les jeunes participant.es s'attachent à la démarche et à la dynamique du projet collectif, qu'ils ne sont pas consommateurs d'une activité. Dans la phase de sourcing du Youri-kit, lorsque les premiers nœuds pour la structure sont arrivés, les jeunes ont réalisé que l'on allait véritablement construire quelque chose ensemble, cela a renforcé leur engagement.

TEPOP - Youri kit - Les jeunes et les animateurs de la MPT Youri Gagarine avec l'équipe TEPOP testent les multiples configurations du Youri-kit à La Courneuve, avril 2023 // Matthieu Samadet / Topophile