Du lisible au visible

« Comment s’orienter ? » de David Holmgren

Nathan Paulot | 8 mai 2023

Introduction

Pour David Holmgren, la rencontre des permaculteurs ou permies et des crises (économiques, virales, etc.) à répétition sonne l’heure de nécessaires prises de recul et mises en perspective. A défaut d’être soutenu pour la traduction de l’intégralité de Future Scenarios : How communities Can Adapt to Peak Oil an Climate Change (2009), Sébastien Marotpropose ici une traduction du quatrième chapitre suivi de quatre textes issus du site officiel de David Holmgren. L’ordre chronologique des textes mis bout à bout donne à voir le cheminement de l’auteur depuis la présentation de ses scénarios jusqu’à ses doutes quant à la capacité des permaculteur·ice·s à leur survivre.

La notoriété du travail foisonnant et fondateur de Holmgren l’amène à vouloir offrir un cadre prospectif aux tenants de la permaculture. Il met en place une méthodologie à deux axes où l’on retrouve les outils de pensée de la permaculture dans la manière de découper, catégoriser et entremêler différentes notions. Les quatre scénarios qui en émergent sont tous « de descente », seulement le rythme et l’intensité des descentes varient selon les axes du changement climatique et du pic de ressources.

Le Green Tech, c’est l’eau tiède. La lente dégradation de nos environnements permet aux industries de s’adapter grâce à des technologies qui nécessiteraient à leur lancement une certaine dépense d’énergie, la société n’implose pas tout de suite et a le temps de se reconfigurer et de s’acclimater. Les permies sont prêts pour l’Intendance de la Terre, la permaculture fournit un fonctionnement alternatif à l’industrie capitaliste, autonome en énergie mais dont la production est redevable d’un sursis climatique à l’adaptation des écosystèmes. Les Canots de sauvetage, comme on peut s’en douter, c’est la configuration survivaliste par excellence. L’effondrement brutal détruit vies et sociétés qui se réorganisent en factions tribales et violentes. Les ressources du Brown Tech permettent à des structures relativement centralisées de subsister en imposant par le haut, et nécessairement de manière autoritaire, la réaction au changement climatique.

Lors d’une présentation en librairie, Sébastien Marot précise que selon les situations politiques et géographiques, un scénario peut prendre le pas sur l’autre, comme des tendances peuvent se mêler en un même lieu ou individu. Quelqu’un peut se satisfaire des décisions étatiques autoritaires tout en faisant vivre une communauté permacole grâce à un salaire de l’industrie du développement durable.

« Même si la caractérisation des quatre scénarios est difficile et forcément conjecturale, ces derniers fournissent un cadre pour apprécier la façon dont les interactions possibles entre entre pic pétrolier et changement climatique pourraient redéfinir les ressources énergétiques locales et mondiales, les formes de peuplement, l’économie et la gouvernance. »

David Holmgren, page 37

Dans sa Lettre d’excuses des baby-boomers aux générations qu’ils ont privées de leurs moyens, Holmgren tente un drôle d’exercice de contrition. On peut être surpris d’un tel mea culpa de la part d’un fondateur de la permaculture ayant, malgré son appartenance à la génération des baby-boomers, plutôt fait amende honorable. Il y finit même par prêter le flanc à de sévères critiques, certains points au sujet de la lutte pour l’accession au droit de minorités auraient nécessité des développements.

Dans Le problème est la solution, mais les solutions peuvent aussi dégénérer en (bons vieux) problèmes, il montre la récupération capitaliste de certains aspects de la permaculture.Pour Holmgren ce sont la mise en œuvre trop rapide et à trop grande échelle ainsi qu’un manque de créativité qui auraient raison des « solutions ».

Les deux derniers textes sont des constats, d’abord à chaud, puis décantés, de la réaction des cercles permaculturels plus ou moins larges d’Holmgren à la pandémie de covid-19. La posture d’autorité et la production continuelle de textes d’Holmgren, nous offrent un point de vue progressif et panoptique sur la manière dont un champ tel que la permaculture est mis à l’épreuve de l’actualité. Dans Le Clivages des classes sociales par temps de pandémie : une perspective permaculturelle, il observe comme nous l’avons tous fait la manière dont la pandémie et ses remèdes officiels ont accentué les injustices sociales. Mais aussi, et sans cynisme, comment elle a dans un premier temps semblé donner raison aux principes de la permaculture.

Or, Rumination pandémique : les nouveaux habits du Brown Tech révèle comment la communauté permacole a été frappée avec la même violence que le reste de la société par les clivants débats sur la bonne manière de réagir à la pandémie en se pliant ou non aux consignes officielles. Holmgren se lance dans un honorable exercice de contorsionniste, il tente, sinon de mettre d’accord, tout du moins de permettre aux débats d’exister sans faire imploser cette communauté qui s’était crue particulièrement bien armée pour faire face à ce type de crise sanitaire.

Ce livre c’est un précieux outil d’analyse prospective que nous offre Holmgren avec son modèle (matérialiste ?) à deux variables en complément de son action plus pratique et localisée. Cependant il se prive peut-être d’un point d’appui intermédiaire dans ce grand écart. Il parait en effet désemparé face au dévoiement des solutions permaculturelles par le capitalisme et la fragilité de sa communauté. Or il n’est fait aucune allusion aux réflexions anticapitalistes et/ou démocrates qui offrent pourtant des pistes d’organisation alternatives et une prise en compte systémique des conflits. Sébastien Marot raconte que David Holmgren s’est orienté vers la technique (architecture, infrastructure, écologie pratique...) en réaction notamment à des parents communistes convaincus mais incapables de changer une ampoule.

David Holmgren (1955), Comment s’orienter ? Permaculture et descente énergétique, traduit de l’anglais (australien) et présenté par Sébastien Marot, « Le monde qui vient », Wildproject, 2022, 208 pages, 22 euros.