Introduction
Depuis de nombreux mois, des collectifs d’habitant·e·s de logements sociaux parisiens s'alertent mutuellement des déboires qu'occasionnent chez eux des rénovations thermiques engagées en application de politiques publiques de subvention « pour le climat ». Une quinzaine d'amicales des HBM se bat ainsi contre l’installation de systèmes de ventilation mécaniques, qu'ils considèrent inutiles voire néfastes, et pour des travaux d'entretien qui n’ont que trop tardé.
Questionner la nécessité de la ventilation mécanique est d’autant plus légitime que ces immeubles construits dans l'entre-deux-guerres procédaient d'une ambition hygiéniste, où salubrité de l'habitat signifiait déjà confort thermique et renouvellement de l’air intérieur. Nonobstant l'industrialisation des modes constructifs (poteaux-poutres en béton, remplages en briques cuites), on ne disposait pas à l'époque de solutions efficaces de ventilation mécanique. Ainsi, on concevait par évidence des systèmes de ventilation naturelle toujours fonctionnels aujourd’hui.
À la demande du collectif et de sa camarade de lutte Danielle Simonnet, élue de la France insoumise, Alain Bornarel (cofondateur du bureau d’études bioclimatiques Tribu et de l’Institut pour la conception écoresponsable du bâti) et Raphael Pauschitz avaient rendu leur expertise, cherchant à confirmer l'opinion technique et sensible des habitant·e·s — ou à l’infirmer, si cela s'était avéré nécessaire. Fort de ces avis, le collectif rédigeait une lettre ouverte aux candidates et candidats aux élections présidentielles que nous publions également.
Mesdames, Messieurs les candidat.e.s,
Nous, collectif HBM Paris, sommes locataires et porte-parole de nombreux locataires habitant les immeubles HBM (habitations à bon marché) des années 1920–1930, qui font partie du patrimoine historique et architectural de la ville de Paris.
Des travaux d’entretien et de réparation, relevant des obligations du bailleur, auraient dû être effectués dans ces immeubles depuis longtemps, tout au long du bail. Certains travaux sont en attente depuis 15 ou 20 ans, voire plus.
La plupart des immeubles HBM ont été conçus en logements traversants, dotés d’une ventilation naturelle avec des fenêtres dans toutes les pièces, des grilles d’air hautes et basses insérées dans le bâti et répondant totalement au besoin de ventilation, sans nécessiter de moteur pour pulser l’air. Ils bénéficient ainsi d’une bonne capacité de ventilation. Alors pourquoi vouloir changer ce qui est reconnu comme un atout par les spécialistes, notamment en matière de confort d’été ? Pourquoi supprimer cette ventilation naturelle et gratuite (dite passive) voire, dans certains immeubles, condamner les fenêtres dans les salles d'eau ou WC afin d’y installer un système de ventilation motorisée (dite active) comme la VMC ?
Des plans de réhabilitation ont été décidés par la Ville de Paris pour tous les immeubles, y compris les immeubles HBM, dans le but de les intégrer à la stratégie nationale bas-carbone prévoyant la neutralité carbone pour le secteur du bâtiment en 2050. Ils répondent à la nouvelle réglementation environnementale (RE 2020) et aux normes (NF, ISO, certifications, labels, RGE…), conditions sine qua non pour bénéficier d’avantages fiscaux et d’aides financières (1). Mais ces labels et certifications ou certificats d’économie d’énergie (CEE) portés par tous les « partenaires » ne répondent-ils pas plus aux lobbies industriels qu’à une réelle évaluation des besoins du terrain et aux particularités du bâti ?
En juin 2021, nous nous sommes constitués en « Collectif HBM Paris » représentant environ 4 500 logements.
Le cadre de vie et les vraies problématiques des habitants ne sont actuellement considérés qu’à la condition qu’ils entrent respectent les labels « techniques » du Grenelle de l’environnement, comme le Bépos (Bâtiments à Énergie Positive) et le Plan climat-air-énergie. Or, tous deux doivent répondre aux normes industrielles. Les dispositifs techniques à destination des labels de types (Bépos) (tels que les VMC) ne peuvent fonctionner qu’à l’électricité et demandent un entretien, qui bien souvent n’est pas effectué. Par conséquent, ils n’atteignent jamais les performances promises et, de plus, ils ont une durée de vie limitée. Il faut changer une ventilation mécanique tous les dix ans et une chaudière collective au bout de 15 à 20 ans…
Au fil des « concertations » pour convaincre les locataires de les accompagner dans le cadre de la réhabilitation–amélioration, des réunions ont été organisées par les bailleurs et la Ville. Elles se sont avérées être des chambres d’enregistrement des décisions prises auparavant, irrévocables et non négociables.
En consultant les documents relatifs à la réglementation, nous, locataires, avons bien compris que, si choix d’une « ventilation » est obligatoire, deux modalités de ventilation sont possibles : d'un côté, un mode de ventilation naturelle et, de l'autre, des systèmes de ventilation mécanique. Et seule la ventilation mécanique répond aux « labels », donc aux financements. C’est l’option prise par la Ville de Paris.
Mais supprimer des grilles d’air du bâti, intégrées dans la construction, pour les remplacer par la ventilation mécanique contrôlée (VMC) collective dans nos immeubles HBM est reconnue comme étant une aberration par des professionnels, aussi bien de l’Atelier Parisien d’Urbanisme (Apur) que par des architectes regroupés dans le « Manifeste pour une frugalité heureuse » et bien d’autres.
Une VMC collective dans nos immeubles n’améliorera pas les performances thermiques et ne réduira pas les besoins en énergie de chauffage. Ces performances énergétiques et la baisse des émissions de gaz à effet de serre (GES) sont loin d’être prouvées dans le bâti ancien, d’autant que les installations de chauffage et le gros œuvre ne sont souvent pas entretenus (murs et sols froids, infiltrations d’eau, canalisations des eaux usées et pluviales, gouttières ou équipements mal entretenus et vétustes, ascenseurs en panne régulièrement, façades imbibées d’eau dont le ravalement et le jointoiement des briques ne sont pas effectués etc.).
Les locataires des HBM sont en danger parce que soumis par les bailleurs (Paris Habitat OPH, Élogie-Siemp, RIVP), la Ville de Paris et l’État à ces travaux dont la démesure est imposée par la seule VMC, intrusive en milieu occupé (perçage des sols et des plafonds impliquant communication entre appartements, motorisation bruyante etc) ou stressante lorsqu’elle occasionne un double déménagement et qui impacte d’autant plus la vie des locataires fragiles par son ampleur et sa durée (2).
Ces travaux altèrent également l’architecture (conduits et installation de gaines traversant les appartements, rétrécissant surface et volume), en outre, ils impactent les revenus des locataires qui les ont déjà payés en partie par leurs loyers, mais qui devront quand même y contribuer par le biais de la « 3e ligne » (3), sans compter l’augmentation de la facture d’électricité.
Ces constats nous ont amenés à nous regrouper en Collectif HBM Paris. Plusieurs centaines de locataires ont signé des pétitions réclamant l’abandon du système de VMC collective.
À deux reprises, les locataires ont manifesté à l’Hôtel de Ville de Paris. La majorité municipale répond suivre les recommandations de bureaux d'études ayant conclu à la nécessité d’une VMC collective pour atteindre des objectifs de « performance énergétique » censés résoudre tous les problèmes, y compris les moisissures, et faisant passer la VMC pour de l’amélioration thermique. Or, des associations et des locataires des immeubles HBM en « briques rouges » témoignent, photos à l’appui, du retour, voire d'apparition de moisissures après installation d'un système de VMC.
Les locataires regroupés autour du Collectif HBM Paris ne sont pas des désœuvré.e.s qui s’accrochent désespérément à leurs petites habitudes et renâclent au changement (comme le sous-entendent certains élus de la Ville). Nous sommes des locataires responsables, citoyens, en colère, déterminés à ne pas subir le sort de ceux qui n’ont pas pu ou su réagir et qui, aujourd'hui, le regrettent et sont prêts à témoigner. Nous sommes décidés à ne pas accepter ce gâchis dans nos logements et ce gâchis d'argent public. Nous dénonçons cette confusion savamment entretenue par des élus de la Ville et les bailleurs entre réhabilitation et rattrapage d’entretien.
En tant que locataires et citoyens, nous voulons être de réels interlocuteurs. Nous voulons des travaux de qualité correspondant aux besoins réels et adaptés aux HBM face à la vétusté. La VMC ne répond en rien à toutes les problématiques que nous rencontrons.
C’est pourquoi nous vous interpellons et vous demandons de nous soutenir dans cette démarche pour :
- L’arrêt immédiat des travaux démesurés de mise en place de la VMC collective dans nos immeubles HBM,
- L’utilisation des financements pour des travaux répondant aux besoins réels de nos logements,
- L'annulation de l'augmentation de charges liées aux travaux de réhabilitation (3e ligne, marges locales...),
- Un audit des financements et les travaux qui y sont rattachés (4).
Nous demandons et attendons votre prise de position publique sur nos demandes.
Nous vous prions de croire, Mesdames, Messieurs, candidat.e.s à l’élection présidentielle, en l’expression de nos salutations citoyennes et écologiques.
Les représentant.e.s des amicales, groupements et associations de locataires du Collectif HBM Paris.
Le collectif HBM Paris réunit les associations et amicales de locataires suivantes :
amicale Lefébure-Soult du groupe Porte Dorée (ALL'S) ; amicale Sacha Guitry (Vincennes 1) ; amicale Sully-Patenne (Vincennes 4) ; amicale des Gambettes Paris 20e ; groupement Convention 15è Amicale rue Rataud ; amicale Pyrénées-Plaine-Lagny 20e ; association des locataires ALAMA groupe Got-Marie Laurent ; collectif indépendant des locataires Larrey, Paris 5 ; coordination locataires 106-120, bd Davout ; groupement Lagny (Vincennes 2) ; amicale Ranvier 11e ; groupement Patenne-Plaine-Pyrénées 20e ; groupement Wattigny-Meunier ; amicale 1 Chaillet-175 Rollin 11e.
Notes
(1) Financements
Primes de l’État (Palulos), qui peuvent représenter 25 % à 40 % des travaux, par logement, ou PAM (prêt à l’amélioration) à taux d’intérêts très bas octroyé par la Caisse des Dépôts et consignations (CDC).
(2) Travaux
Certains locataires ont déjà enduré ces travaux et les témoignages sont éloquents bas de gamme, qui s’éternisent, durée indéterminée, isolement des locataires, communication insuffisante de la part des bailleurs concernant le déroulement, en pleine crise sanitaire il fallait laisser rentrer les « diagnostiqueurs ». D’autres sont en cours, dont le déroulement est également catastrophique : impossible d’utiliser douche, WC et cuisine pendant plusieurs semaines, bruits des marteaux-piqueurs, poussières, allées et venues des intervenants, pannes d’ascenseurs, trous béants, immobilisation forcée des locataires pour des rendez-vous trop souvent non honorés ne cessent d’empoisonner leur vie.
Des retours d'expérience montrent qu'une VMC collective ne permet pas forcément d'atteindre les objectifs de performance thermique dans certains bâtiments, notamment dans le bâti ancien. Le mauvais réglage des flux peut même provoquer des pathologies (moisissures) qui n'existaient pas avant installation, et la baisse d'émission de GES (gaz à effet de serre) comme la diminution de la consommation d’énergie sont bien loin d'être prouvées. Pour rappel : les travaux de rattrapage d’entretien sont à la charge du bailleur : chaufferie, ascenseurs, isolation, plomberie, réfection des canalisations d’eaux usées, des chéneaux, les descentes d’eau pluviale, réfection des toits, etc. sont la grande priorité à résoudre et contre laquelle la VMC n'est d'aucune utilité.
(3) Contribution du locataire dite 3e ligne
En expliquant que le locataire bénéficiera de gains potentiels sur la facture énergétique, le bailleur et les élus considèrent comme normal qu’il participe financièrement à l’opération (alors que la loi ne l’y oblige pas : art. R.442-27 du CCH ; loi Molle de 2009 art.119 : la contribution du locataire peut être demandée ; elle n’est pas obligatoire).
(4) Audit financier
Les travaux ou équipements qui relèvent de la vétusté en cours de bail sont amortis sur le plan comptable depuis bien longtemps mais n’ont pas été réalisés. Le paiement des loyers réguliers des locataires constitue des provisions. Pour les gros travaux, l’État et les collectivités octroient des subventions et la Caisse des Dépôts et consignations octroie des prêts complémentaires, à des taux très faibles.
Les rapports d’Alain Bornarel et de Raphael Pauschitz prolongent le débat sur différents points et sont disponibles au téléchargement. Le premier relevait les qualités des HBM et de leurs systèmes de ventilation naturelle, plus performants que les normes actuelles ; le second remarquait la qualité du savoir acquis par les habitants sur leurs immeubles et ces sujets techniques, ainsi que le rôle de modèle que pourraient jouer les HBM aujourd’hui.