Du lisible au visible

« La Ferme du rail » de Clara et Philippe Simay

Martin Paquot | 5 juillet 2022

Introduction

« La Ferme du rail » est un nom évocateur pour nombre de celles et ceux qui, en France, œuvrent à la banalisation d’une architecture écologique et locale, d’une conception bioclimatique et écosystémique, d’un usage des matériaux biosourcés et réemployés, d’un chantier à forte intensité sociale, etc. Deux de ses initiateurs, Clara et Philippe Simay, respectivement architecte (SCOP Grand Huit) et philosophe, nous racontent dans un récit plus politique que pratique son histoire. En effet, il ne s’agit pas du journal du projet, comme avait pu le faire Pierre Riboulet dans la Naissance d’un hôpital, mais d’un essai inspiré par le projet – et fortement inspirant – qui montre comment celui-ci a radicalisé les positions tant professionnelles que personnelles des auteurs. Clara et Philippe Simay prouvent que l’écologie sera sociale ou ne sera pas !

Les auteurs s’insurgent contre notre société de consommation et l’industrie du gâchis qu’est le monde du B.T.P., où l’exploitation effrénée des ressources et l’obsolescence programmée du bâti sont ordinaires. « Il s’agit surtout, écrivent-ils, de s’opposer moralement et politiquement à cette intolérable société de l’Homo detritus, une société de l’homme qui jette mais aussi de l’homme que l’on jette. Formidable machines à jeter, à détruire ou à enfouir, nos villes s’acharnent aussi à exclure, à reléguer, à invisibiliser. […] Réemployer les matériaux et travailler avec des personnes en insertion relève pour nous de la même logique. Ne plus jeter et ne rien exclure. »

Lieu hybride et unique à Paris, la Ferme du rail s’implante sur un terrain vague de la petite ceinture dans le 19e arrondissement de Paris et associe des activités diverses : quinze personnes en insertion et cinq étudiants habitent sur place et travaillent à la production maraîchère de la ferme, tandis qu’un restaurant accueillant et de qualité l’ouvre au quartier. Ainsi, lieux de vie, de travail et de socialisation s’entremêlent, démontrant que tout est lié. Une triple adresse se crée alors : un chez-soi où vous recevez votre courrier ; un milieu où vous êtes un interlocuteur à part entière ; un espace où vos habilités sont reconnues et appréciées.

Abordant la question du care, Clara et Philippe Simay prônent une écologie de la relation où « il s’agit avant tout de prendre soin de la relation elle-même comme une condition de la vie sociale et de l’habitabilité du monde. » Cette attention aux personnes commence dès le chantier, habituellement caractérisé par ses rapports violents de domination. Le partage des risques et une confiance mutuelle entre les différents protagonistes permettent d’initier un chantier habilitant qui valorise les lieux, les êtres, les choses.

Ce livre concentre de nombreuses réflexions tant sur la valeur du travail, la productivité de l’agriculture urbaine, les solidarités villes-campagnes, la place de l’économie sociale et solidaire, la cohabitation avec le vivant, la valorisation des délaissés, l’éthique des matériaux biosourcés, à lire non comme des leçons isolées mais comme une réflexion globale pour une ville écologique et solidaire.

Clara et Philippe Simay, La Ferme du rail. Pour une ville écologique et solidaire, préface de Baptiste Lanapèze, illustrations d’Anna Jaggy, « Domaine du possible », Actes Sud, 2022, 200 pages, 20 euros.