Du lisible au visible

« La ville des enfants. Pour une [r]évolution urbaine » de Francesco Tonucci

Roxane Wormser | 19 février 2020

Introduction

« Si la ville était un écosystème naturel, elle mourrait en très peu de temps », voilà le diagnostic sans appel de Francesco Tonucci, président du département de psychopédagogie au sein du « CNRS » italien. Omniprésence de la voiture, absence des enfants dans l’espace public, les enfants sont « séquestrés » à domicile par notre environnement urbain malade.

Mais la ville n’est pas condamnée. Francesco Tonucci propose, dans son livre, des solutions multiples impliquant un travail de longue haleine pour une (r)évolution urbaine – lente mais certaine – vers ce qu’il appelle « la ville des enfants ». 

Tonucci raconte comment l’utopie d’une ville démocratique pensée avec les enfants devient une réalité et une réussite à Fano, sa ville natale sur la côte adriatique. Il prône une ville des enfants, par les enfants, pour les enfants et, par conséquent, pour tout le monde : petit et grand, jeune et vieux, femme et homme, d’ici et d’ailleurs. Francesco Tonucci pose l’hypothèse qu’une ville adaptée aux enfants est une ville adaptée à tous. L’enfant devient alors le « garant de toutes les différences ». De l’analyse de la ville actuelle à la proposition de méthode pour inclure les enfants à la conception urbaine, la città dei bambini apparaît comme l’outil adéquat pour accompagner la transition démocratique, sociale et environnementale des villes. Le livre se présente alors comme un cahier de recommandations adressées à l’ensemble des personnes en mesure d’agir pour des villes plus hospitalières et écologiques.

Tonucci en ajoutant l’enfant à l’équation urbaine, révèle que la notion de temps est indissociable de celles d’espace et de lieu. Il démontre que l’enjeu principal du bon aménagement des villes est la confrontation et l’accord des temporalités enfantines et adultes. Collaborer avec des enfants met au défi la ville de s’adapter à leurs rythmes : ceux de piétons de petite taille, curieux, touche-à-tout et aventuriers, alors même qu’elle est d’ores et déjà assujettie au rythme rapide, brutal et pendulaire des voitures. La prise en compte des enfants et de leurs rythmes bouleverse les priorités de la fabrique de la ville. 

Défi relevé pour la ville de Fano dans laquelle Francesco Tonucci a réalisé sa première expérience, avec le soutien du maire, de « ville des enfants ». Les enfants de Fano sont sollicités aussi bien en tant que citoyens-habitants qu’en tant que concepteurs dans le cadre de conseils, ateliers et clubs autour des thématiques urbaines. Ils offrent littéralement un autre regard sur la ville, à hauteur d’enfant, et nous amènent à reconsidérer de nombreux a priori sur la ville. À Fano comme ailleurs, les adultes font face au défi de récupérer la parole de l’enfant, libre de toute influence. Il s’agit de trouver, au-delà des réponses stéréotypes issues des précédents échanges avec l’entourage adulte des enfants, les idées qui leurs sont propres en les invitant à « oser davantage ». Cependant, malgré notre volonté certaine de neutralité, nous, adultes, considérons des réponses « imaginatives » ou « créatives » autrement dit « enfantines » comme vraies, et ignorons celles plus ordinaires ou attendues. Est-ce un hasard si les réponses des enfants de Fano s’inscrivent systématiquement dans le récit politique de l’ouvrage ? Somme toute l’enfant apparaît ici comme un remède au mal-être urbain. Est-il réduit à un simple outil répondant à des problématiques préalablement identifiées par les adultes, ou bien est-il un auteur-contributeur à part entière ?

Lors de consultations que j’ai pu réaliser auprès d’enfantsdans le cadre de mon master, j’ai constaté que les réponses varient en fonction du contexte urbain dans lequel les enfants ont grandi et que leurs expériences de la ville sont toutes différentes. De Fano à la banlieue parisienne les enfants ne partagent pas la même relation à la ville et à la rue. Si à Fano ces derniers sortent rarement seuls, à Champigny-sur-Marne beaucoup d’entre eux « traînent » à l’extérieur avec les « grands ». Aussi leurs choix et leurs envies sont différents mais tout aussi pertinents. Très souvent leur ville idéale est liée à l’actualité – entre nostalgie et utopie – : ils parlent d’une ville « verte », « écologique », « piétonne » et « résiliente » mais quelle est vraiment la part des enfants dans cette vision de la ville idéale ? 

Si nous donnons la parole aux enfants pour renouveler la ville, n’oublions pas d’entendre et de comprendre leurs paroles afin de faire une ville réellement partagée. Le travail de Tonucci constitue un premier pas certes hasardeux mais néanmoins décisif dans cette direction. 

Francesco Tonucci, La ville des enfants, pour une [r]évolution urbaine, Traduit de l’italien par Caroline Michel, Préface de Thierry Paquot, suivi de « Toutes places prévues de la naissance à la mort » de Lewis Mumford, « Eupalinos », Parenthèses, 2019, 240 pages, 19 euros.