Les mots et les choses

L’anthropocène ou l’empreinte de l’humanité

Agnès Sinaï | 12 mai 2020

Introduction

Alors que tout est mis à la « sauce » Anthropocène : la ville, l’architecture, le paysage, etc. Agnès Sinaï, co-fondatrice de l’Institut Momentum et directrice des Politiques de l’Anthropocène (Presses de Sciences Po), revient sur ce terme désignant une nouvelle ère géologique.

L'empreinte de l'humanité sur l'environnement global est aujourd'hui si vaste qu'elle rivalise avec les forces telluriques. Le terme Anthropocène, forgé par le géo-chimiste Paul Crutzen au début des années 2000, se propose de renommer l'ère géologique actuelle comme une nouvelle époque dans l'histoire de la Terre. Il embrasse deux principaux constats :

1. que la Terre est en train de sortir de son époque géologique actuelle, dite Holocène, période interglaciaire commencée il y a quelque 12 000 ans ;

2. que les activités humaines, particulièrement celles des sociétés industrialisées, sont responsables de cette sortie de l'Holocène, ce qui signifie qu'une partie de l'humanité est devenue une force géologique en elle-même.

Cette nouvelle époque commence autour de 1800, lorsque les forces de l'industrialisation émergent dans leur berceau, l'Angleterre charbonnière. Quelque chose de nouveau va apparaître sous le soleil, écrit l'historien de la nature John Mac Neill, une modification sans précédent de notre rapport au reste du monde vivant (1). C'est au tournant des années 1800 que les premières modifications de la chimie de l'atmosphère se révèlent : la phase 1 de l'Anthropocène coïncide avec les débuts de l'industrialisation.

L'Angleterre, à partir de 1750, est l'épicentre du premier Anthropocène. Dès le XVIe siècle, la raréfaction du bois impose le recours massif au charbon de terre. La production anglaise de charbon de terre passe de 35 000 tonnes vers 1560 à 200 000 tonnes au début du XVIIIe siècle, principalement extraites du bassin de Newcastle. La première machine à vapeur est commandée pour les forges de Wilkinson en 1775, afin d’actionner un marteau de 60 kilogrammes à 150 coups par minute. La production de fer britannique passe de 125 000 tonnes en 1796 à plus de 2,5 millions de tonnes en 1850.

L’industrialisme représente une rupture radicale avec tous les systèmes énergétiques que l’humanité a pu connaître jusqu’alors. Avec lui cesse le primat des énergies renouvelables – bois, moulins à eau et à vent – et s’instaure celui des énergies fossiles.

C'est à partir des années 1950 que commence la phase 2, dite Grande Accélération, ainsi que la nomment Paul Crutzen, Jacques Grinevald, John Mac Neill et Will Steffen, co-auteurs d'un article pluridisciplinaire de référence sur la question (2). L'accélération de l'érosion, la perturbation du cycle du carbone et de la température, dont la hausse prévue au XXIe siècle n'a pas eu d'équivalent depuis l'ère tertiaire, se produisent dans un laps de temps extrêmement court, soit depuis moins de deux cents ans. Ce sont autant de signaux qui caractérisent un nouveau type d'emprise humaine sur la biosphère. S'il est vrai que l'humanité a provoqué des extinctions d'espèces animales et de plantes dès le Pléistocène tardif, ère glaciaire précédant l'Holocène, qui a débuté il y a quelque 2,5 millions d'années, aujourd'hui les signaux s'emballent en raison de phénomènes combinés et globalisés : non seulement les extinctions elles-mêmes, mais aussi les migrations des espèces et l'artificialisation des sols à grande échelle et la concentration atmosphérique de dioxyde de carbone, d'oxyde nitreux, de méthane.

Dans un article paru dans la revue Ambio en 2007, Will Steffen, Paul Crutzen et John Mac Neill veulent croire que la prise de conscience des impacts des activités humaines sur l'environnement global va se traduire par une nouvelle gouvernance, via les grandes conventions internationales du climat et de la biodiversité au cours du XXIe siècle(3). La « phase 3 » de l'Anthropocène serait réflexive. Les sociétés industrielles parviendraient à fixer elles-mêmes leurs limites.

À lire

Agnès Sinaï (dir.), Politiques de l’anthropocène, I – Penser la décroissance (2013), II – Économie de l'après croissance (2015), III – Gouverner la décroissance (2017),Presses de Sciences Po.

Notes

(1) John Mac Neill, Du nouveau sous le soleil. Une histoire de l'environnement mondial au XXe siècle, Seyssel, Champ Vallon, 2010 (2000).

(2) Will Steffen, Paul Crutzen, Jacques Grinevald, John Mac Neill, Philosophical Transactions of the Royal Society, « The Anthropocene : Conceptual and Historical Perspectives », n°369, février 2011, p. 842-867.

(3) Will Steffen, Paul J. Crutzen, John McNeill, « The Anthropocene : are humans now overwhelming the great forces of Nature? » Ambio, n° 36, 2007, p. 614–621.