Du lisible au visible

« L’architecture du futur au Japon : Utopie et Métabolisme »

Chloé Cattan | 30 mars 2021

Introduction

C’est l’histoire et le destin d'un mouvement et de plusieurs réalisations qu’a choisi de nous conter Benoît Jacquet dans son ouvrage. L’architecte et historien de l’architecture moderne du Japon, décortique l’élan retentissant mais terriblement éphémère que fut le courant métaboliste japonais des années 1960.

Appuyés par les très belles photographies de Jérémie Souteyrat, les textes nous donnent un aperçu de seize réalisations, construites entre 1954 et 1974 – et pour certaines, démolies récemment. On y retrouve la Nagakin Capsule Tower à Tokyo (Kurokawa Kisho, 1972), le Centre des congrès internationaux de Kyoto (Otani Sacho, 1966), ou encore le Parc et Musée mémorial de la Paix d’Hiroshima (Tange Kenzo, 1954).

Tandis que l’écrivain retrace la genèse et la vie de ces projets, le photographe nous donne à voir ces spécimens dans leur impressionnant environnement actuel : l’immensité des mégalopoles nippones. Le récit est largement documenté : images, dessins d’archives, références à la revue Shinkenchiku – dont Benoît Jacquet a lui-même traduit des extraits.

« Le parti des métabolistes est à la fois de proposer des modes de vie en phase avec les besoins de la société contemporaine, et de trouver des réponses architecturales au renouvellement urbain. »

Benoît Jacquet, p.6

Lors de leurs réunions, Kurokawa et ses compagnons – Kikutake Kiyonori, Maki Fumihiko, Kawazoe Noboru, pour ne citer qu’eux – évoquaient « Nessie » en parlant de leur travail ; le monstre écossais était pour eux une métaphore parfaite : « on en parle, on dit l'avoir vu, on le représente même sous des dimensions extraordinaires, sans que personne n’ait pourtant jamais pu prouver son existence ». Et pour sûr ! Les réalisations des architectes métabolistes, peu nombreuses, subissent aujourd’hui la pression foncière et sont fatalement amenées à disparaître au cours des prochaines années.

Inspirés par le processus métabolique de renouvellement cellulaire des êtres vivants, et y voyant une analogie avec le renouvellement urbain tokyoïte de l’époque, les membres du groupe développèrent une approche pour la reconstruction du Japon d’après-guerre. Ils distinguaient pour cela un temps long, celui de la trame urbaine structurant les flux et l’expansion des villes, d’un temps court, celui des « capsules » de vie, s’adaptant à leurs habitants et à l’évolution de leurs modes de vie.

Le groupe métaboliste abordait la mission architecturale au-delà du simple bâtiment : les membres parlaient de paysage et de territoire, d’urbanité et de société nouvelle, de tradition et de modernité. Poursuivant la démarche engagée par leurs prédécesseurs : ils avaient pour but de concevoir une « tradition japonaise moderne » en se nourrissant des travaux occidentaux et en ré-étudiant le patrimoine national – à l’instar de Kishida Hideto (1899-1966). Benoît Jacquet parle « d’hyper-modernité à la japonaise », comparant leur travail à celui des Smithson, Superstudio et Louis Kahn. Désireux de construire pour un futur qui serait radicalement différent et certainement plus heureux, ils ont contribué à façonner l’architecture contemporaine nationale.

Cependant, beaucoup de leurs réalisations sont aujourd'hui remises en cause. Trop grandes, trop ambitieuses, trop utopiques : le rêve métaboliste. L’architecture du futur est aujourd’hui bel et bien du passé. Les questions de patrimoine étant abordées de manière tout à fait singulière au Japon (davantage focalisée sur le patrimoine vivant que le patrimoine matériel), peu de constructions sont protégées. Inventorier cet héritage avant sa disparition : voilà toute l'ambition accomplie de L'architecture du futur au Japon : Utopie et Métabolisme.

Benoît Jacquet et Jérémie Souteyrat, L’architecture du futur au Japon. Utopie et Métabolisme, Poitiers, Le Lézard Noir, 2020, 272 pages, 45 euros.