Du lisible au visible

« Lire la ville » de Chantal Deckmyn

Jean-Paul Flamand | 7 octobre 2020

Introduction

Ce livre vient à son heure, alors que la question du vivre ensemble se pose avec acuité du fait des multiples fractionnements de la société française pour des raisons économiques, sociales, et politiques, aggravées par les inégalités existantes face à l’accès à un habitat décent pour tous qui en sont la conséquence. La ville, qu’on ait choisi d’y vivre ou qu’on soit obligé d’y vivre, concentre de façon exemplaire toutes les manifestations de ces inégalités. Ce livre s’attaque frontalement à cette réalité en mettant en évidence concrètement tous les détails, importants ou minimes, qui rendent nos villes aujourd’hui inhospitalières : les édiles et autres responsables techniques s’intéressent plus à la circulation automobile qu’au mieux être des moins bien lotis de leurs concitoyens, pour ne pas parler de celles et ceux qui n’ont que la rue pour habitat. Chantal Deckmyn en fait une analyse large et en propose des variantes plus humaines.

Ce livre est un manifeste pour la ville. Ce n’est ni un pamphlet, ni une critique amère ou nostalgique de notre réalité. Mais c’est un manuel ouvert à celles et ceux qui, simples citoyens ou édiles, s’intéressent à l’environnement urbain dans lequel ils vivent ou dont ils ont la charge. Son écriture et sa présentation se veulent sans verbiage technico – juridique inutile, mais construits sur des exemples, des contre-exemples, des illustrations, une marche à suivre enfin qui permettent de penser les différentes problématiques en regard de cas concrets. Dans la mesure où nous sommes tous concernés, à un titre ou à un autre, par le devenir de nos villes lire ce livre nous aide à  éclairer et conforter les voies d’une citoyenneté mieux partagée.

Concrètement le manuel comprend dix-huit entrées qui traitent différents aspects de la ville et de son espace public. Huit entrées concernent des formes précises et concrètes telles que le sol, la pliure entre l’espace public et les espaces privés, les bancs, les fontaines, les toilettes, la signalétique, les kiosques et les squats. Quatre autres sont transversales et concernent les modalités de traitement de l’espace public : la sûreté urbaine, l’entretien, la nuit, la nature en ville. Six autres enfin analysent des contenants publics ou privés à usage public, tels que les bains – douches, les parkings, les gares, les lieux de culte, les centres commerciaux et autres équipements comme les piscines, les bibliothèques, etc… Citer l’ensemble de ces entrées met en évidence la richesse des approches de la réalité urbaine que ce livre nous offre, et nous oblige à revoir ces lieux, ces bâtiments, ces équipements que nous habitons sans les voir tant ils font partie de notre quotidien. Et dans le même temps à mieux voir celles et ceux qui les partagent avec nous, dans leur matérialité qu’elle nous plaise ou pas.

L’auteur appuie ce travail sur une grande connaissance des réalités juridiques, urbanistiques, architecturales et sociales qui définissent l’espace public. Mais la lecture en  est ouverte à tous car sans technicité inutile, de par son écriture riche de résonnances aux détails qui font les bonheurs et les malheurs des villes et de leurs habitants. Le texte appuie sa démonstration sur un très important ensemble de photographies qui documentent et explicitent les bonnes et les mauvaises réponses apportées à ces réalités urbaines par ceux qui en ont la responsabilité. Ajoutons enfin la densité du background culturel et professionnel qui a nourri ce travail, et qui se ressent dans tous les détails de ce livre, contenu et écriture.

Ceci s’explique par la double formation qu’a effectuée Chantal Deckmyn, en architecture puis en anthropologie. De là une vision élargie de la réalité urbaine enrichie d’une longue pratique de terrain en région marseillaise auprès des quartiers et des populations qu’on dira « périphériques » par rapport à la norme urbaine. Ce qui vaudra à son travail d’être reconnu et soutenu par la Fondation Abbé Pierre.

Enfin, pour la citer, « l’ouvrage intéressera tout un chacun, des élus et des aménageurs aux amoureux de la poétique urbaine ». 

Chantal Deckmyn, Lire la ville. Manuel  pour une hospitalité de l’espace public, Dominique Carré/La Découverte, Paris, 2020, 256 pages, 28 euros.