Introduction
Le Manifeste pour une frugalité heureuse et créative a été initié en janvier 2018 par Alain Bornarel, Dominique Gauzin-Müller et Philippe Madec. Depuis, 10 300 personnes ont signé – dont deux tiers de professionnels du bâtiment, du paysage et de l’aménagement des territoires –, une vingtaine de groupes locaux ont fleuri, dix autres ont germé, une association a été créée et deux rencontres nationales ont eu lieu. Les troisièmes rencontres physiques, aujourd’hui impossibles, devaient se tenir cet automne. Le mouvement propose à leur place un cycle de douze conférences pour « Métamorphoser l’acte de construire », introduit par ces mots.
Depuis de nombreuses années déjà, des architectes, des ingénieurs, des urbanistes, des paysagistes, des élus locaux, etc., souvent à la campagne ou dans des petites villes, se battent pour sortir des projets qui n’aggravent pas l’état actuel de la planète et de ses habitants, mais contribuent à l’améliorer, des projets qui ne seront pas obsolètes dans le contexte mouvementé et incertain de demain.
Ces professionnels pionniers ont des convictions fortes et des préoccupations urgentes, parmi lesquelles :
- accompagner les habitants dans leur transition vers plus de « bien-vivre » ;
- apporter au territoire d’accueil autant, sinon plus, que ce qu’il nous donne ;
- redonner toute sa place au végétal et à la nature ;
- pousser la bioclimatique jusqu’au passif pour améliorer le confort et réduire les consommations d’énergie tout en se passant de systèmes techniques, ou, du moins, ne retenir que des techniques robustes et simples ;
- recourir au réemploi, aux matériaux bio ou géo-sourcés pour éviter le béton et les résidus de la filière pétrole ;
Le réseau collectif autour du manifeste a d’abord montré à tous ces professionnels engagés sur le terrain qu’ils n’étaient pas seuls à batailler. Les rencontres nationales de Lens, dans le bassin minier du Nord, puis de Guipel, dans la campagne bretonne, leur a permis d’échanger leurs expériences, d’apprendre les uns des autres ; le travail des groupes locaux a permis d’esquisser un profil de bâtiment et de territoire frugal.
Attention : cette ébauche est loin de définir un standard frugal et il n’est pas question de construire ce qui serait un label frugal. Ne figeons pas cette aventure naissante comme nous avons figé, il y a vingt ans, la qualité environnementale des bâtiments dans le squelette stérile d’une certification.
Néanmoins, même à l’état d’esquisse, il est clair que ce que vous ébauchez à travers vos opérations n’a rien à voir avec le standard dominant actuel, ni celui des « bâtiments basse consommation », demain « bas carbone », ni celui des « écoquartiers ».
Nous sommes en train de construire
- une alternative à l’expansion urbaine et à l’artificialisation des sols,
- une alternative à la bétonisation des espaces et des bâtiments,
- une alternative à la ville connectée et aux bâtiments high tech,
- une alternative à l’hégémonie des services urbains marchands et à celle du « bâtiment basse consommation » standardisé,
- une alternative, enfin, à l’architecture des egos de certains élus, et à celle des promoteurs.
La métamorphose de l’acte de construire est déjà engagée. Métamorphose, en effet, car il ne s’agira pas d’une transition en douceur. Les petits pas ne paient pas.
Trop d’acteurs puissants ont intérêt à maintenir le statu quo. Leur credo : « Continuez à construire comme avant, à consommer comme avant, à piller comme avant les ressources de la planète. On compensera en utilisant de l’électricité soi-disant propre et en stockant le carbone émis… »
Les plus malins d’entre eux, comprenant que le statu quo n’est pas présentable, proposeront de badigeonner de vert une production toujours croissante. « Les chaudières à fioul polluent, fabriquons des pompes à chaleur ! » « Les canicules se multiplient, il n’y a qu’à installer la climatisation partout. » Et il y a ceux qui ne rêvent que de la plus haute tour, qui plus est transparente !
Nous nous attaquons là à une véritable métamorphose de l’acte de construire. Comme dans toute métamorphose, l’être final n’aura pas grand-chose à voir avec ce qu’il était pourtant au début. Nous allons tenter de cerner cette transformation radicale, au fur et à mesure des conférences à venir.
Il faudra bien du monde pour porter cette métamorphose. À nous d’en assumer la plus grande part. Nous, qui la réalisons sur le terrain, allons maintenant lui donner forme et sens au cours de ce cycle de conférences. Nous aurons, à l’issue de ces douze semaines, à en faire la synthèse et nous disposerons ainsi de propositions à défendre. Souhaitons que nous puissions, au début de l’année prochaine, tenir ces troisièmes rencontres pour les présenter et en débattre.
Le collectif constitué autour du Manifeste repose aujourd’hui sur quatre pieds. Les 10 300 signataires, sur le texte du Manifeste, fondent sa légitimité. La trentaine de groupes locaux en constituent notre cœur pensant et agissant. Un comité de pilotage de 8 personnes, met un peu de liant et de cohérence dans tout ça. Et enfin, une association – frugalité heureuse – assure la logistique.
Alors, pour sortir ses propositions de la marginalité, ce réseau collectif devra se transformer en mouvement.