Du lisible au visible

« Pays de l’Enfance » de Thierry Paquot

Bernard Defrance | 27 février 2022

Introduction

Le Parisien du 11 janvier dernier, consacrait une page entière à la plantation, par des élèves du collège Georges Brassens de Sevran, d'arbres et arbustes sur une parcelle de terrain délaissée, avec l'aide de l'association Le Sens de l'Humus, dans le cadre d'un plan du conseil départemental, et l'article de préciser que la notion de « forêt urbaine » était récente... Sans doute le journaliste et la cheffe de projet ignoraient que c'est au milieu du XIXe siècle que « l'horticulteur et paysagiste américain Andrew Jackson Downing préconise la création de forêts urbaines » et que, dès 1899 en France, se créent à l'initiative d'instituteurs des Sociétés scolaires forestières destinées à planter ou faire acquérir par les communes bois et forêts, qui aujourd'hui encore offrent la fraîcheur de leurs ombrages aux promeneurs... Ce n'est ici qu'un des exemples parmi les centaines de références  historiques et actuelles dont regorge le dernier livre de Thierry Paquot. À Sevran, « chaque élève a pu planter son propre arbre » se réjouit Christophe Bichon de l'association Le Sens de l'Humus...

Dans ce voyage au Pays de l'Enfance – expression qu'il reprend de Gaston Bachelard –, Thierry Paquot tisse la trame d'une somme impressionnante d'initiatives et expériences en tous temps et lieux sur la place des enfants dans nos sociétés urbaines avec le fil de ses propres souvenirs d'enfance.

Un faiseur de mondes

« L’enfant vient au monde pour ajouter son monde aux mondes des autres, aux mondes déjà là, avec lesquels il compose les paysages de son existence. […] En cela, l’enfant est un faiseur de mondes. »

Thierry Paquot

Trop souvent l'enfant reste encore l'oublié des structures du cadre de vie et des projets urbains. Et pourtant, du ventre maternel à la chambre, de la cour de « récré » à la rue, de la classe au terrain d'aventures, c'est toute une géographie des relations avec les copains et copines, des lieux et temps, réels et imaginaires, de rencontres affectives, des libertés explorées dans les failles des systèmes de surveillance familiale, scolaire, sanitaire, voire policière, que l'enfant peut grandir et se révéler faiseur de monde. Comment rendre la ville aux enfants, y réintroduire les espaces de création (et pas seulement de récréations !), la nature, sortir l'école de ses clôtures pour apprendre « dehors », réinventer les classes-promenades, les enquêtes sur le milieu, apprendre le vrai travail, les prises multiples sur le monde ?

Un chercheur d'hors

Ce qui fait la richesse de ce voyage dans le temps historique et l'espace géographique de l'enfance auquel nous invite Thierry Paquot est certainement une perspective globale, multi-dimensionnelle. Certes le parcours nous fait retrouver des pédagogues bien connus des classes actives et coopératives, des utopistes « classiques », anciens et modernes (de Fourier à Illich !), mais nous découvrons bien des novateurs, auteurs et expériences tombées dans l'oubli, ou presque. Ainsi le suisse von Fellenberg (1771-1844) qui ouvre une école dans sa ferme avec alternance des travaux agricoles et scolaires, Adolphe Jouanne (1819-1895) qui fonde la « Maison rurale d'expérimentation sociétaire » à Ry, près de Rouen, qui écrit en 1867 : « Toutes nos écoles, actuellement en usage, reposent plus ou moins sur la contrainte. Celle de la Maison rurale de Ry repose sur le libre essor des facultés naturelles de l'enfant », en alternant cours, jardinage, soins aux animaux, natation, équitation, menuiserie, forge et travaux des champs... De même les parcours de Patrick Geddes et de Mabel Barker étonnent par leurs richesses foisonnantes et internationales.

« La rue constitue pour l’enfant des villes le premier territoire extérieur à la maison ou à l’appartement familial. C’est là qu’il fait l’expérience de sa capacité à devenir un chercheur d’hors. »

Thierry Paquot

Pour une ville récréative

Mais ce « voyage » nous ramène aussi aux urgences fortes d'aujourd'hui : en 1930, la Terre compte 1,5 milliard d'habitants et un siècle plus tard, en 2030, nous serons huit milliards... Les défis qui attendent nos enfants sont immenses et l'avenir de l'espèce humaine est pour le moins incertain, du fait des triples croissances industrielle, urbaine et démographique. Thierry Paquot nous donne à connaître une quantité d'initiatives contemporaines, pédagogiques, sociales, urbaines qui, à chaque fois, nous amènent à nous demander : si c'est possible ici et là, pourquoi les éducateurs en charge de l'enfance ne s'en inspirent pas plus que cela ? Pourquoi les décideurs à tous niveaux semblent ignorer – quand ils ne les empêchent pas ! – toutes ces expériences ? Que d'obstacles bureaucratiques pour organiser une classe de nature, une simple sortie au marché en bas de la rue, ou laisser un terrain libre de tout aménagement stéréotypé pour le confier aux créativités enfantines !

Certes, on peut se dire que tout ceci relève de la précarité du « colibri » – qui est aussi de l'obstination – mais l'adage en exergue de la célèbre revue (depuis 1945) Les Cahiers Pédagogiques : « changer l'école pour changer la société, changer la société pour changer l'école », reste plus que jamais d'actualité. Ici se trouve réhabilité Ivan Illich, dont la traduction en français «Une société sans école» est un non-sens de l'éditeur, puisque c'est toute la société qui est appelée à faire école. Skholè : loisir, plaisir de la connaissance de soi et des autres, des choses et du monde (je rappelle au passage, et pour en rajouter aux références, la racine indo-européenne SKL qui a aussi donné escholier, échelle, escalade, squelette...).

Finalement, ce livre est une véritable boîte à outils dans laquelle tout éducateur, tout décideur, tout politique doit pouvoir puiser, notamment avec le très complet voyage bibliographique final.

Comment permettre chez les enfants l'éclosion et le développement de toutes les capacités créatrices, en techniques, arts et sciences, qui leur permettront peut-être de continuer à rendre ce monde limité habitable, en réparant, au passage, les erreurs, souvent criminelles, de leurs pères et de leurs maîtres ? Merci pour ce livre qui répond, en grande partie, à cette question.

Thierry Paquot (2022), Pays de l’enfance, « L’esprit des villes », éditions Terre Urbaine, 250 pages, 20 euros.