Du lisible au visible

« Petite histoire politique des banlieues populaires » de Hacène Belmessous

Thierry Paquot | 10 juin 2022

Introduction

Hacène Belmessous, fin connaisseur des banlieues et des politiques de la ville, journaliste d’investigation et chercheur, est l’auteur de nombreux ouvrages, dont L’Avenir commence en banlieue (2001), Maires de banlieue, la politique à l’épreuve du réel (2007) ou encore, Opérations banlieues. Comment l’État prépare la guerre urbaine dans les cités françaises (2011).

Innombrables sont les rapports, thèses, mémoires, monographies, livres sur les banlieues, les jeunes des cités, les grands ensembles, les actions politiques successives « en faveur » des « quartiers sensibles », le danger islamiste, l’économie de la drogue, etc., qui peu ou prou établissent le même constat et suggèrent les mêmes politiques étatiques et ceci depuis une quarantaine d’années... Rares sont, au contraire, les contributions qui tentent de saisir les « banlieues » d’une manière politique, c’est-à-dire, en comprenant les divers processus qui s’y entrelacent et confèrent à chaque cas sa singularité. Peut-être pouvons-nous citer le rapport de Jean-Marie Delarue, Banlieues en difficultés, la relégation (1991), Violences urbaines de Christian Bachmann et Nicole Le Guennec (1995) et bien sûr, dans une autre veine, les travaux de Colette Pétonnet... Aussi, attendions-nous avec impatience cette petite histoire des banlieues populaires, qui refuse les stéréotypes tout autant que le discours consensuel des universitaires égarés dans un monde si éloigné du leur.

« Écrire l’histoire politique récente des banlieues populaires, précise l’auteur, c’est finalement questionner, au fond, autant les relations de la nation avec leurs habitants, que les rapports entre l’État français et les jeunes générations d’origine immigrée successives. » Pour cela, il fallait opter pour une période historique ample, la fin des années soixante, explorer les archives municipales, celles des bailleurs, de la Caisse de Dépôts et Consignations, des services territoriaux, de la police, etc., et se limiter à quelques quartiers ou villes emblématiques des politiques de la ville mises en place par l’État. Là, l’auteur retient : « les 4000 à La Courneuve, la Grande Borne à Grigny, Orgemont à Épinay-sur-Seine, la cité Balzac à Vitry-sur-Seine, Montreuil, le Val d’Argent Nord à Argenteuil, les Bosquets à Montfermeil, la ZUP de Vaulx-en-Velin, les Minguettes à Vénissieux, les Chamards à Dreux, le Val Fourré à Mantes ».

« Écrire l’histoire politique récente des banlieues populaires, c’est finalement questionner, au fond, autant les relations de la nation avec leurs habitants, que les rapports entre l’État français et les jeunes générations d’origine immigrée successives. »

Hacène Belmessous

L’exploitation des archives réserve à l’auteur quelques surprises : la plupart du temps il est le premier à ouvrir les boîtes (qu’on fait les chercheurs qui l’ont précédé sur l’étude de ces quartiers ?) et dans celles-ci, l’absence fréquente des archives de la police... Les archives témoignent de l’air du temps, avec son vocabulaire, ses priorités, ses questionnements, ses responsables, en cela elles éclairent considérablement notre compréhension du « mal être » des habitants de ces logements dits « sociaux », destinés justement à les « loger ». Or, la population du parc social change au cours des années 1965-2005, les immigrés sont de plus en plus nombreux à y résider ou à tenter d’y trouver un logement. Mais durant cette période, les immigrés ne sont pas les mêmes et la représentation que la société en fait se modifie également. C’est donc avec subtilité que l’auteur rend compte des archives qui le conduisent à un tableau contrasté des situations et des actions des uns et des autres. Les « immigrés » (entendons ici ceux qui viennent d’Afrique du Nord ou de l’Afrique sub-saharienne et sont considérés comme musulmans) gêne de nombreux bailleurs qui dans les notes déposées aux archives, alertent leur direction et les élus des « problèmes » que pose leur rassemblement.

Hacène Belmessous exhume des documents où des chefs d’entreprise s’étonnent que les dossiers de leurs salariés soient systématiquement refusés, en constatant que cela concerne des Algériens, souvent devenus Français ou nés en France de parents algériens... Les archives révèlent aussi comment, par exemple, la Ville de Paris, envoient dans son parc HLM en banlieue parisienne (Champigny-sur-Marne, La Courneuve, Malakoff, etc.) la population jugée « indésirable » qui entrave la gentrification de la capitale. La discrimination selon l’origine ethnique, géographique, religieuse, dans l’attribution des logements sociaux n’est pas une exception. La gauche n’est pas en reste, y compris le Parti communiste, qui dans sa gestion des municipalités qu’il contrôle, agit pareillement. Tout cela n’est guère glorieux...

Hacène Belmessous poursuit son enquête en abordant la police (avec un entretien éloquent de Paul Picard, maire de 1977 à 1995, qui relate une scène terrible, celle d’un jeune abattu dans le dos par un policier, devant son étonnement, le commissaire dit « Celui-là, il ne nous emmerdera plus ! »), l’islam (la première génération est peu pratiquante, plus tard les immams radicalisés sont plus nombreux, la question du voile, la Marche pour l’égalité, etc.).

Voilà un ouvrage passionnant, bien écrit, solidement documenté, qui décrit et analyse les « politiques de la ville », depuis « Habitat et Vie Sociale », en 1975 jusqu’à l’ANRU de Borloo, qui se focalise sur le bâti alors que ce sont les habitants qui attendent d’être entendus et d’agir ! La « crise des banlieues », c’est l’incompréhension des autorités face aux humiliations que subissent les habitants...

Hacène Belmessous, Petite histoire politique des banlieues populaires, Paris, éditions Syllepse, 2022, 186 pages, 10 euros.