Du lisible au visible

« Précisions sur la fin du monde » de Yves Cochet

Thierry Paquot | 8 janvier 2025

Introduction

Mathématicien, ancien ministre de l’écologie dans le gouvernement Jospin, co-fondateur de l’institut Momentum et co-animateur de la revue théorique Entropia, Yves Cochet, de livre en livre, affirme sa conviction collapsologique. Dans ce court essai, il tente d’alerter ses concitoyens que la fin du monde est proche et qu’il est envisageable, non pas de la retarder mais de la vivre sans trop en souffrir... « Malgré les dizaines de rapports, malgré les milliers de pages alarmistes rédigées par les scientifiques depuis trente ans, regrette-t-il, rien ou presque ne s’oppose à l’accélération du dérèglement climatique, de la destruction des populations et des espèces, de la pollution des milieux, de l’extraction des ressources non renouvelables, de la croissance des inégalités. Pourquoi tant d’aveuglement, pourquoi tant de déni, pourquoi tant d’inaction ? » Sa réponse est sans appel : « C’est la catastrophe elle-même qui contribue à cette minimisation, non pas malgré sa démesure, mais grâce à cette démesure. L’immensité de la catastrophe est telle qu’elle excède nos capacités de compréhension, aussi bien de perception que d’imagination. » Aussi rassemble-t-il les dernières publications (majoritairement anglo-saxonnes) qui démontrent la gravité de la situation et l’inadéquation des rares analyses et politiques proposées.

« C’est la catastrophe elle-même qui contribue à cette minimisation, non pas malgré sa démesure, mais grâce à cette démesure. L’immensité de la catastrophe est telle qu’elle excède nos capacités de compréhension, aussi bien de perception que d’imagination. »

Yves Cochet

Il s’étonne de la faible influence des travaux de Joseph A. Tainter (The Collapse of Complex Societies, 1988), Ugo Bardi (The Seneca Effect, 2017 et Before the Collapse, 2020), Gaya Herrington (« Update to Limits to Growth. Comparing the World model with empirical data », 2020), Graham Turner (« On the cusp of global collapse ? Updated comparaison of the Limits to Growth with historical data », 2012), Peter Turchin (End Times, 2023), des publications du Stockholm Resilience Center, du GIEC, de l’IPBES ou du PNUE..., sur les écologistes qui persistent à penser que des alternatives sont possibles. « L’ennemi principal, argue-t-il, n’est donc pas la forme institutionnelle de l’économie, libérale ou dictatoriale, peu importe, c’est le productivisme qui se caractérise par six attributs essentiels : primat de l’économie, de la production-consommation ; indifférence à la nature ; accroissement incessant de la productivité ; exploitation des travailleurs ; volonté démiurgique de refabrication du monde ; aspiration métaphysique à la toute-puissance. »

« L’ennemi principal, argue-t-il, n’est donc pas la forme institutionnelle de l’économie, libérale ou dictatoriale, peu importe, c’est le productivisme. »

Yves Cochet

Il ne s’agit pas de « transition », de « bifurcation », de « réorientation » mais de rupture complète avec le productivisme. Ce qui signifie, par exemple, l’arrêt du nucléaire, que certains proclament « propre », alors même que nous ne maitrisons en rien son fonctionnement et qu’il serait ruineux de démanteler les actuelles centrales et qu’il est, en l’état actuel de nos connaissances, impossible de se débarrasser des déchets radioactifs (la moins mauvaise solution serait l’entreposage à sec en surface et non pas l’enfouissement au plus profond de la terre comme à Bure), sans compter le difficile contrôle du nucléaire militaire (États-Unis, Russie, Chine, Grande-Bretagne, France, et aussi, Israël, Pakistan, Inde, sans oublier l’Iran qui rêve de posséder la bombe atomique...). Ce qui signifie aussi une réduction drastique de la population mondiale et de son empreinte environnementale. Ce qui signifie aussi rompre avec la société de consommation et accepter une sobriété encore jamais expérimentée, seule décroissance efficace inscrite dans le local.

Qui est prêt à ces changements radicaux ? Yves Cochet recense peu de volontaires ! Mais avons-nous le choix ? Non, répond-il. La fin du monde est notre horizon, il faut admettre que l’Histoire n’a pas de sens et que le Bien n’est qu’un leurre. Le lecteur se dit qu’il y a forcément quelque chose à faire pour contrer l’effondrement, animé qu’il est encore par une vision progressiste de l’Histoire ou par une croyance en un « réenchantement » de la société décroissante... Yves Cochet se refuse à être un prophète du malheur, aussi évoque-t-il quelques pistes à explorer dès maintenant, comme celle de la « biorégion », de la « juste taille », de la « dépense » jouissive et émancipatrice, qu’il emprunte à Georges Bataille... Le sérieux de sa démonstration appelle un sérieux débat.

Yves Cochet, Précisions sur la fin du monde, Les Liens qui Libèrent, 2024, 176 pages, 17,50 euros.