Du lisible au visible

« Projets et souvenirs » de Michel Vernes

Thierry Paquot | 21 juin 2023

Introduction

Il circulait en scooter dans Paris, résidait en haut de la Galerie Vivienne, fréquentait les bouquinistes, aimait parler de sujets pointus, de poésie, de tout et de rien, à partir d’une lecture récente ou d’un séjour à l’étranger — impossible de s’ennuyer avec Michel Vernes (1940-2013). Ce solide gaillard connaissait Paris comme sa poche, était intarissable sur l’architecture des XVIIIe, XIXe et XXe siècles, osait des rapprochements saugrenus, abordait des thèmes ignorés des chercheurs académiques, aimait rire tout en étant sérieux lorsqu’il s’agissait d’examiner l’œuvre d’un critique ou d’un auteur du siècle passé. Là, l’érudition l’emportait sur les formules à l’emporte-pièce qu’il affectionnait aussi. Il a étudié la philosophie, l’histoire, la géographie et l’urbanisme, fréquenté les cours de Roland Barthes et de Michel de Certeau, cofondé l’école d’architecture de Paris-La Villette, ouverte à toutes les disciplines. Il emmenait ses étudiants à la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris pour les inciter à fouiller dans les références, à plonger dans des ouvrages poussiéreux, à découvrir par eux-mêmes ce qu’ils ne cherchaient pas. Tout comme il aimait bien manger, pour discuter — il entretenait avec le savoir une incroyable appétence digne d’un gourmand également gourmet… Il dessinait et aquarellait avec talent.

Il n’a pas publié de livres, mais de nombreux articles d’une grande qualité littéraire et toujours soigneusement documentés. Un premier recueil est paru sous le titre mallarméen de Divagations en 2000, préfacé par Roger-Henri Guerrand, qui appréciait son non-conformisme. Celui-ci, que préface Manuel Charpy, rassemble 32 articles, répartis en 6 parties, et montre l’incroyable curiosité de l’auteur. Chaque article est ciselé et nourri d’une bibliographie de première main qui passe quasi-inaperçue tant l’auteur reste simple et direct, comme si ses références étaient celles d’amis proches ! Sa bibliothèque personnelle témoigne de ses lectures éclectiques, il cite aussi bien un traité de construction du XVIIIe siècle qu’un poème de Rimbaud, un catalogue de chalets du XIXe siècle qu’une réflexion de Sartre sur l’imagination… Parmi ces articles, je citerais volontiers ceux sur Alphand, les parcs et jardins du Second Empire, sur « le paysage de la rue », sur les pagodes, les kiosques et chalets, sa brève histoire du béton, très bien menée. Je n'adhère pas à son enthousiasme pour les gratte-ciel américains, comme je lui avais dit lors d’un déjeuner, au moment où je publiais la Folie des hauteurs. Lisant ou relisant ses textes, je constate que la dimension environnementale est absente, il l’aurait certainement ajoutée, lui qui était à l’affût de tout renouveau. Très beau volume particulièrement bien illustré et complété par la bibliographie de ses écrits par Marc Le Cœur, voici un ouvrage de référence.

Michel Vernes, Projets et souvenirs. Écrits sur l’art et l’architecture, la ville et le paysage, Préface de Manuel Charpy, Paris, éditions de la Villette, 2023, 590 pages, 37 euros.