Du lisible au visible

« Qu’est-ce qu’une biorégion ? » de Mathias Rollot

Thierry Paquot | 2 avril 2021

Introduction

Mathias Rollot milite pour la biorégion, on se souvient de son essai Les Territoires du vivant. Un manifeste biorégionaliste (François Bourin, 2018), là il répond aux questions de Marin Schaffner et précise ce qu’il entend par cette notion, qui commence – enfin ! –  à prendre dans le discours politique. Si une première définition est donnée par le Canadien Allen van Newkirk, en 1975 (« Les biorégions sont provisoirement définies comme des aires remarquables de la surface de la Terre, du point de vue biologique, qui peuvent être cartographiées et discutées comme des modèles existants distincts, de plantes, d’animaux et d’habitats ; des distributions liées aux modèles d’aires de répartition et aux processus complexes de constructions de niches culturelles – tout en tenant compte des déformations attribuées à l’occupation d’une ou plusieurs populations successives du mammifère culturel. »), ce sont les apports de Raymond Dasmann et de Peter Berg qui fondent vraiment le biorégionalisme. Pour eux, le point de départ d’une biorégion est le bassin-versant, auquel s’ajoute les données géoclimatiques, la bidodiversité végétale et animale, la topographie, etc. Peter Berg et sa compagne Judy Goldhaft reviennent déçus du Sommet de la Terre de Stockholm, en 1972, persuadés que l’écologie ne peut rien attendre des décideurs mais des gens, aussi créent-ils la Planet Drum Foundation qui vise à valoriser et à fédérer les communautés réhabitantes. Chacune et chacun vient réhabiter une biorégion, c’est-à-dire s’installer au plus près des atouts d’un lieu et en exalter les bienfaits, qu’on peut très ne même pas entrevoir, lorsqu’on ne fait que passer ou quand on consomme un territoire ! La biorégion ne consiste pas en un repli autarcique, mais en un ouvert au monde vivant et à l’automonie des réhabitants... Cela n’a pas échappé à Kirkaptrick Sale ou à Gary Snyder, pour qui la beauté du monde résulte de l’attention des humains à un site, de leur capacité à l’apprécier tout en n’en prenant soin. Pour l’auteur « la biorégion, c’est ce que tu habites, ce que tu ‘réhabites’ – et qui te permet de chercher une vie plus terrestre, plus écocentrée. La biorégion, de ce point de vue, c’est aussi et surtout dans les têtes. » L’ouvrage clair, précis et volontaire est utilement complété par des exemples (Cascadia, Bacino Fluviale del Po, la biorégion-écotone du Sancy, la biorégion des oliviers) et une bibliothèque du biorégionalisme.

Simultanément, parait, une petite anthologie d’extraits de textes dédiés aux bassins-versants, Les veines de la Terre, signés par Élisée Reclus, Patrick Geddes, Gaston Bachelard, Peter Berg et Raymond Dasmann, Kirkpatrick Sale, Guiseppe Moretti, Vandana Shiva... « Repenser nos modes de vie, écrivent les éditeurs, depuis ces bassins-versants – tel que le propose notamment le biorégionalisme, serait une manière efficace de réancrer nos modes de vie quelque part sur la biosphère, d’opérer un ralentissement général et d’enrayer le désastres. Ce sont des enjeux profonds de justice écologique autant que de justice sociale. » Cela ne coule pas de source pour toute le monde, alors même qu’il en va de la vie de la Terre et de ses habitants... Deux cairns sur le chemin, encore escarpé, du biorégionalisme...Th.P.

Qu’est-ce qu’une biorégion ? Mathias Rollot & Marin Schaffner, dessins d’Emmanuel Constant, Marseille, Wildproject, 2021, 140 pages, 12 euros.

Les veines de la Terre. Une anthologie des bassins-versants, Marseille, Wildproject, 2021, 152 pages, 12 euros.