Introduction
La résilience un concept devenu omniprésent dans les discours au point de créer parfois une forme de lassitude tant il est utilisé par les médias et les personnalités politiques. La (sur)popularité de ce terme interroge à la fois sur son évolution sémantique et ce qui en fait un outil rhétorique si efficace pour rassurer, et parfois démobiliser.
La notion de « résilience » s’est imposée dès le début du XXIe siècle comme un concept incontournable au sein des discours politiques. Son succès s’explique sans doute en grande partie par sa polyvalence : du fait de ses multiples définitions, le terme se trouve mobilisé pour qualifier tant un bâtiment, qu’une personne, un système économique ou une société. Mais cette polysémie n’est-elle pas le symptôme d’un sur-usage du concept, le vidant de son sens initial ?
La résilience est notamment devenue une notion phare de la présidence d'Emmanuel Macron. Lors de la crise sanitaire de 2020, celui-ci nommait « opération résilience » l'opération militaire de lutte contre la Covid-19. Lors de ses vœux pour l’année 2021, il mobilise une fois de plus le terme : « Notre Nation a traversé cette année avec une telle unité et une telle résilience : rien ne peut lui résister. » En août 2021, suite à la Convention citoyenne pour le climat, est votée la loi « Climat et résilience ». Enfin, plus récemment face à la crise énergétique et à la guerre en Ukraine, le président a annoncé un « plan de résilience économique et social ».
Le mot vient du latin resilire, exprimant l’idée d’un saut. Le mot anglais resilient reprend cette racine et sa signification originelle tout en la transformant : il qualifie plutôt la capacité à rebondir après un choc. C’est ce sens premier que l’on retrouve au cœur de sa définition physique, où elle désigne la capacité d’un matériel à se déformer pour absorber l’énergie d’un choc.
En écologie, où le concept est notamment utilisé par C. S. Holling, la résilience qualifie la capacité d’un système vivant à s’adapter et à se reconstruire après un choc extérieur, comme le fait, par exemple, une forêt après un incendie. Mais le terme est progressivement repris par d’autres disciplines, et notamment en psychologie. Ce qui servait jusque-là à qualifier des matériaux ou le vivant est progressivement appliqué à l’humain.
En 1982, la psychologue Emmy Werner dévoile les résultats d’une étude menée durant trente ans à Hawaï sur plusieurs centaines d’enfants dont une partie est identifiée comme ayant subi un stress prénatal ou périnatal et donc considérés comme étant à risque. Parmi ces enfants, ceux qui deviennent des adultes équilibrés seront considérés par la chercheuse comme des enfants résilients du fait de leur capacité à s’adapter. C’est à cette période que de nombreux travaux émergent et tentent d’identifier des facteurs favorisant cette résilience, qu’ils soient individuels, familiaux ou sociétaux. En France, la notion se popularise avec les travaux du psychanalyste Boris Cyrulnik qui la définit comme la « capacité à réussir, à vivre et à se développer positivement, de manière socialement acceptable en dépit du stress ou d'une adversité qui comporte normalement le risque grave d'une issue négative ». Dans une forme de croisement entre la vision psychologique et la vision écologique du terme, le concept est finalement aussi utilisé pour qualifier des groupes, voir des sociétés toutes entières. Rob Hopkins, dans son Manuel de la transition, la définit ainsi : « Dans le cas des communautés humaines, le mot renvoie à leur capacité de ne pas s’effondrer au premier signe d’une pénurie de pétrole ou de nourriture mais, au contraire, de réagir à ces crises en s’adaptant. »
« Dans le cas des communautés humaines, le mot renvoie à leur capacité de ne pas s’effondrer au premier signe d’une pénurie de pétrole ou de nourriture mais, au contraire, de réagir à ces crises en s’adaptant. »
Rob Hopkins
Le problème est que la résilience tend à devenir un concept trop large, qui permet dans le discours politique de fédérer, sans annoncer de mesures précises ni de donner de réelle couleur politique à un programme. Au-delà d’une apparente simplicité rhétorique dans le choix de mobiliser l’outil résilience face à toutes les crises traversées par la France sous la présidence d’Emmanuel Macron, l’utilisation de ce dernier induit un risque plus important. Le 23 février 2022, la mission d’information sur la résilience nationale dépose un rapport à l’Assemblée nationale. Celui-ci étudie notamment les facteurs socio-culturels susceptibles d'entraver la capacité de résilience de la France en cas de crise. La société y est présentée comme assimilant moins les risques qu’auparavant, et donc perdant en résilience face à l’adversité. Ce phénomène s’expliquerait par le contexte historique - notamment du fait que les Français n’aient pas connu de guerre mondiale comme leurs ancêtres - mais aussi car nous serions dans une société dans laquelle « l’acceptabilité sociale des crises et difficultés est devenue plus faible ». Par ailleurs, cette acceptabilité moindre du risque serait, selon les auteurs du rapport, accentuée par « la perception d’un État omnipotent, à l’origine d’une moindre responsabilisation de la société et des individus ». Par un glissement sémantique et une utilisation abusive, la notion de résilience n’a plus ici la capacité à se remettre d’un choc comme en physique, ni celle de se développer positivement en dépit de traumatismes comme en psychologie. Elle devient la capacité à anticiper et accepter, dans une forme de fatalisme, le choc.
« La résilience tend à devenir un argument de glorification de l'épreuve, et de désengagement de l'Etat face à la crise. »
Manon Marsan
Pour caricaturer, l’idée sous-jacente est que la société résiliente est une société composée d’individus qui ne comptent pas sur l’État, qui ne le considèrent pas comme un garde-fou, et qui en cela acceptent leur vulnérabilité. La résilience tend à devenir un argument de glorification de l'épreuve, et de désengagement de l'Etat face à la crise. Par exemple, puisque l'Hôpital public a montré sa résilience face au Covid-19 malgré le manque de moyens, pourquoi réinvestir dans le système de santé ? De même, si les sociétés, à la manière des écosystèmes, réussissent à se reconstruire après les désastres, pourquoi faudrait-il s’attaquer aux causes de la crise climatique ? Là est tout le problème de la résilience, qui tend à devenir un instrument de dépolitisation, et donc, de démobilisation.
Texte de Manon Marsan. Illustration de Nolwenn Auneau.
Cet article est issu d'une collaboration entre Topophile et des étudiant-es du master "Politique, Ecologie et Soutenabilité" (PES) de l'Institut d'Etudes Politiques de Lille, dans le cadre d'un cours de sociologie des mobilisations environnementales.
Bibliographie
Boris Cyrulnik et Gérard Jorland, Résilience. Connaissances de base, Odile Jacob, 2012.
Michel Manciaux, « La résilience. Un regard qui fait vivre », Études, vol. 395, no. 10, 2001, pp. 321-330.
Rob Hopkins, Manuel de transition. De la dépendance au pétrole à la résilience locale, Écosociété, 2010.
Serge Tisseron, La résilience, Presses Universitaires de France, 2017.
Thierry Ribault, « La résilience : une technologie du consentement ? », Annales des Mines - Responsabilité et environnement, vol. 107, no. 3, 2022, pp. 23-28.
Thierry Ribault, Contre la résilience ‒ À Fukushima et ailleurs, éditions de l’Échappée, 2021.