L'utopie ou la mort

Architectes : aux Soulèvements de la Terre, barrons la route aux infrastructures écocidaires !

Collectif GRAPE Collectif Défendre.Habiter | 13 avril 2023

Introduction

Alors que la dissolution des Soulèvements de la Terre sera peut-être discutée ce jeudi au conseil des ministres et qu'une large coalition s'est levée pour dire « Nous sommes les Soulèvements de la Terre » (85 000 signataires du dernier appel à cette heure), alors que les écoles d'architecture sont devenues pour ce semestre les ENSA en lutte, nous republions ici l'appel « Architectes : aux Soulèvements de la Terre ! » rédigé par le GRAPE en avril 2021, pour lequel un camarade architecte du comité Défendre.Habiter nous à envoyé une actualisation, à retrouver en pied d'article.

Cette invitation s'adresse à celles et ceux qui travaillent dans les agences et écoles d'architecture, bureaux d’études et d’urbanisme. Plus encore, elle s’adresse aux étudiant.es de ces disciplines qui peuvent se sentir démuni.es face à des enjeux politiques qui les dépassent – les auteurs et autrices sont passé.es par là il y a peu. Nous pensons qu’il est temps de sortir des cadres du travail salarié, de l'auto-entreprenariat et du marché qui nous empêchent d’avancer de manière efficiente vers une écologie populaire et radicale. Rejoindre les mouvements qui luttent face à la machine de la croissance et du capital dans laquelle nos professions sont prises est pour nous une piste bien sérieuse.

La transition n'aura pas lieu

Les secteurs de l'économie auxquels nos professions sont intégrées ont une part de responsabilité considérable dans le dérèglement climatique, l’artificialisation des sols et la pollution en général. Loin de participer à la construction d’un monde désirable, l'aménagement du territoire et le B.T.P. contribuent largement au désastre écologique en cours et maintiennent l’ordre social dominant.

Depuis plusieurs années, la question écologique a pourtant largement progressé dans nos disciplines et plusieurs imaginaires se sont développés pour tenter d’apporter des réponses. Ces réponses dites « écologiques » consistent le plus souvent à employer des matériaux moins polluants, à prioriser la rénovation ou la réhabilitation et à atteindre de bonnes performances thermiques. La stratégie de la « transition écologique » consiste quant à elle à additionner de nouvelles solutions techniques jugées plus vertueuses en espérant qu’elles deviennent un jour hégémoniques. Dans le secteur de l’aménagement du territoire, l’argumentaire écolo se réduit principalement à un verdissement. Parfaitement intégré aux stratégies de communication et aux agendas de développement, il permet de masquer le rythme toujours croissant de la destruction de l’environnement.

Nous pensons que cette écologie mainstream fait trop souvent abstraction des rapports de force, de classes, de dominations, et privilégie des compromis inopérants. Pour les pouvoirs publics comme pour les entreprises privées, elle est avant tout un outil marketing permettant d’obtenir le soutien de l'opinion publique dans la réalisation de projets bien souvent inutiles, écocidaires ou inégalitaires – à l'image du Grand Paris et des JO2024 qui justifient spéculation, bétonisation et gentrification. Quant à l’idée de « transition », elle nous semble tout à fait illusoire et dangereuse. Miser sur le verdissement progressif des modes de construction est un pari futile face à des rapports de force si disproportionnés et à l’urgence de la situation. Nous dénonçons l'attitude qui justifie ce pari en prônant la patience et la modération, et nous revendiquons plutôt une écologie sans transition.

Sortir de l'impuissance

La difficulté de formuler, depuis les métiers de l'architecture, de l'urbanisme ou de l'aménagement, une réponse réellement radicale tient à la place que nos métiers occupent dans le processus de production de l'espace. Directement tributaires du pouvoir politique et des détenteurs de capitaux, ils sont dans une position asservie.

Pour sortir de cette impuissance, il semble nécessaire de s’affranchir des cadres rigides de l’économie capitaliste : travail salarié, auto-entreprenariat, marché, profit et concurrence généralisée. Il est également crucial de ne plus considérer le projet architectural ou urbain – aussi astucieux soit-il – comme une « solution » suffisante à la crise écologique. Nous devons donc élargir nos horizons et nos imaginaires en rejoignant des organisations collectives et en apprenant auprès de pratiques offensives. En mars 2021, une tribune paraissait dans Topophile et Reporterre en évoquant des pistes similaires à celles-ci. Au croisement entre les enjeux de production de l’espace et de ceux de l'organisation politique, nous considérons les Soulèvements de la Terre comme une forme de lutte pouvant réinterroger nos pratiques, nos projets, nos chantiers et nos écoles.

L’appel des Soulèvements de la terre

En janvier 2021, plus d’une centaine de paysan.es, activistes écologistes, et habitant.es en lutte contre des projets d'aménagement imposés se sont rassemblé.es dans le bocage de Notre-Dame-des-Landes autour de constats communs. Premièrement, l’accès à la terre - enjeu central des luttes écologistes et paysannes - est menacé par le ravage organisé par l’agriculture industrielle et la bétonisation massive. Deuxièmement, les luttes et les alternatives, isolées les unes des autres, restent trop souvent impuissantes et nécessitent une organisation commune.

Cette rencontre a donc permis d’élaborer un programme d'actions qui entend rassembler largement pour soutenir des luttes et pour formuler des réponses collectives au problème de l'artificialisation des terres. Les modes d’actions choisis vont de l'occupation (pour soutenir des installations paysannes) au blocage de chaînes de production. Les Soulèvements de la Terre visent à encourager les expérimentations politiques et productives, comme la ZAD de Notre-Dame-des-Landes ou le Quartier libre des Lentillères à Dijon. Plus largement, ces actions entendent construire de nouveaux rapports de force face aux infrastructures industrielles qui rendent ce monde invivable.

Actualisation avril 2023 : Sainte-Soline, dissolution, ENSA en lutte

Aujourd'hui, cela fait plus de deux ans que les Soulèvements de la terre ont su mener un travail fin de composition en rassemblant plus de 200 structures dans une approche déterminée, revendiquant une écologie d'action pour protéger les terres. C'est d'ailleurs l'éloge qu'en font les renseignements territoriaux dans leur note, qui en parle le mieux :

« Les Soulèvements de la Terre par leur inventivité, leur niveau d’organisation, leur force d’influence, leur capacité à mobiliser et à donner un retentissement national et médiatique aux luttes locales auxquelles ils s’associent, apparaissent aujourd’hui comme un acteur majeur de la contestation écologique radicale. » 

On ne dissout pas un soulèvement

La dernière manifestation à Sainte-Soline contre les méga-bassines, une ruine ruineuse comme dirait le philosophe Alexandre Monnin, fut un rendez-vous impressionnant par son ampleur et sa détermination : 30 000 personnes au milieu des champs le samedi, mais aussi une « base arrière » et des discussions très enthousiasmantes sur l'eau et sa protection le dimanche dans la ville de Melle, le tout donnant un élan pour un mouvement écologiste conséquent.

Mais le dispositif d'organisation des forces de l'ordre était agencé en forme de piège dont la frontalité a provoqué plus de 200 blessés (une quarantaine de blessés grave et 2 personnes dans le coma). Cela à pris beaucoup de place dans les médias, occultant ainsi la question de la juste répartition de l'eau, criminalisant les militant·es.

Criminalisation des militant·es, vue par une activiste Mohawk

Dans l'époque où le gouvernement fait la sourde oreille face aux mobilisations contre la réforme des retraites, le ministre de l'intérieur demande le 27 mars 2023 la dissolution du mouvements des Soulèvements de la Terre. Il le fait car les Soulèvements ont réussi leur pari : devenir une force multiple et engagée qui ne soit pas un parti politique.  Son annonce, plutôt que de créer une séparation entre divers membres du mouvement comme il a du l’espérer, à augmenté la solidarité et généré une forme de coalition sociale.

Une forme de coalition sociale et écologique

Dissolution ou pas, la saison 5 des Soulèvements de la Terre est déjà lancé avec des mobilisations à travers tout le pays.  Pour cette saison il s'agit "de barrer la route" à des infrastructures, routes, tunnels, et extraction de sable pour le BTP, qui détruisent les milieux et augmentent l'emprise du flux des marchandises sur nos vies. Le Comité Invisible avait eu une bonne phrase pour nous le rappeler dans son livre À nos amis (2014) :

« Nul ne voit le pouvoir parce que chacun l’a, à tout moment, sous les yeux – sous la forme d’une ligne haute tension, d’une autoroute, d’un sens giratoire, d’un supermarché ou d’un programme informatique. Et s’il est caché, c’est comme un réseau d’égouts, un câble sous-marin, de la fibre optique courant le long d’une ligne de train ou un data center en pleine forêt. Le pouvoir, c’est l’organisation même de ce monde, ce monde ingénié, configuré, désigné. Là est le secret, et cest qu’il n’y en a pas. »

Et comme le pouvoir a décidé de continuer la course aux profits, il s'agit de l'arrêter : c'est ce que tentent les Soulèvements. Comme l'a dit Kristin Ross lors de la soirée de soutien le 12 avril 2023, c'est un mouvement territorialisé qui n'est ni idéologique, ni identitaire, ni générationnel, que l'on peut en somme rejoindre d'où que l'on vienne. 

Dans cette même soirée l'auteur de BD Alessandro Pignocchi a, quant à lui, rappelé que c'est un mouvement pour tout·es, urbains comme ruraux, un mouvement qui bloque l'avancé écocidaire des infrastructures mais qui ouvre aussi la porte à d'autre mondes, d'autres formes d'organisations, notamment saisonnières. C'est dans cette idée que viennent de se créer plusieurs dizaines de comités locaux dans les grandes villes comme dans les campagnes.

En ce moment même, l'intégralité des écoles nationales supérieures d'architectures est en lutte. Elles revendiquent à la fois des meilleures conditions, un soutien à l'ENSA de Rouen qui s'est retrouvée en début de semestre dans une immense galère administrative et un soutien à la mobilisation nationale contre la réforme des retraites. Mais l'interruption du cours normal des enseignements existe aussi dans la nécessité de débattre de manière autogérée de ce que peut vouloir dire se former à bâtir ou à ménager les territoires dans un monde dont le logiciel reste affilié à la logique industrialo-productiviste, alors même que d'autres chemins à frayer ensemble sont possibles.  Espérons que cette lutte dans les ENSA saura faire sortir de leur corporatisme les architectes, qui peinent à embrasser plus largement les questions collectives. Car le moment d'une lutte est toujours une immense école de la vie, si elle arrive à trouver ses lignes de joies. C'est ce que nous avions voulu rappeler avec la tribune « Ne charretons plus pour un monde délétere » dans Topophile.

Il est donc temps que les architectes se posent ces questions, mais dans le même temps il s'agit de trouver des puissances d'agir collectives qui débordent la discipline. Participer aux saisons des Soulèvements en est une forme, il en existe mille. Un texte publié récemment dans Lundi matin, « l'Avancée », nous rappelle qu'il s'agit de tissage : 

« Cela pourrait changer la manière dont on se rapporte aux actes qui remettent en cause le Capitalocène. Ces actes existent déjà, ils peuvent être très radicaux, portés par des personnes au courage admirable, mais ils ne sont pas suffisamment relayés. Ils doivent être reconnus par chacun.e, comme une avancée de la nécessité de l’acte, autant que la réalité l’impose. Cela ne veut pas dire que tout un chacun doit se rendre capable de porter de tels actes, ni agir à tout prix. Cela veut dire que tout un chacun doit travailler à faire exister l’espace du tissage, l’espace de résonance entre les actes, là où le pouvoir doit à tout prix couper cette résonance. Et on peut y travailler de bien des manières, dès lors qu’on se promet d’être conséquent quant à ce qu’exige de nous, là où nous sommes, cet espace du tissage. »

On pourra pour finir reprendre les mots des co-président·es de l'association de la Défense des terres : « Avec les Soulèvements de la Terre, avec le mouvement pour la justice sociale, nous continuerons à appuyer partout où nous le pourrons sur le frein d’urgence, nous continuerons à alimenter une eau vive qui partout frémit, un delta de communautés vivantes qui se révoltent contre la destruction du monde et s’organisent pour composer en actes un futur désirable. »

Nous sommes tout·es les soulèvements de la Terre.

Calendrier de la saison 5

Voici quelques dates de l’appel de la saison 5, de quoi donner des envies aux étudiantes des ENSA Toulouse, Montpellier, Normandie, Nantes et Grenoble et à tout les autres !

22–23 avril : Castres–Toulouse Sortie de route pour l’A69

06–08 mai : Rouen Des bâtons dans les routes : l’appel de la forêt face au bitume

10–11 juin : Saint-Colomban (44)Le Convoi du sable

17 juin : Maurienne — Manifestation montagnarde pour l’arrêt du chantier Lyon-Turin

3–6 août : Larzac Les Résistantes, rencontres des luttes locales et globales

En cours de saison — Agréger contre l’agriculture numérique