Du lisible au visible

« What about vernacular ? » de J. Lajus-Pueyo, A. Menec et M. Rieublanc

Augustin Bohl-Viallefond | 7 juin 2023

Introduction

La bourse américaine Delano & Aldrich / Emerson finance chaque année un voyage d’études à un ou une jeune architecte française. What about vernacular ? est le fruit du road trip minutieusement préparé de Justine Lajus-Pueyo, Alexia Menec et Margot Rieublanc à la découverte des architectures vernaculaires de l’Est américain.

Le vernaculaire, ou « ce qui est propre à un pays », est une question d’autant plus ambiguë dans le cas des États-Unis que les édifices choisis et présentés sont issus d’une culture européenne importée et diverse. Les colons Allemands, Irlandais ou Anglais du XVIIe siècle se sont emparés et établis sur ce territoire avec des techniques européennes séculaires. Ainsi, l'un des premiers constats des autrices est hélas que les colons n’ont que très peu adopté les techniques constructives locales des natifs américains. Le vernaculaire américain est donc considéré comme la somme des savoirs importés du vieux continent et adaptés aux territoires et aux ressources locales.

L’ouvrage suit les traces des autrices depuis la Nouvelle-Angleterre jusqu’à la Louisiane et dresse la carte d’une Amérique reculée, presque méconnue où se côtoie des typologies et des cultures constructives variées : barns, log cabins, front porch houses, covered bridges et autres édifices utilitaires indispensables aux communautés rurales du XVIIIe siècle ; villas suivant les préceptes du Bauhaus au Cape Cod ; architectures usoniennes de Frank Lloyd Wright, Louis I. Kahn et Euine Fay Jones ; expériences sociales au service des communautés paupérisées de la Black Belt de Rural Studio.

Les outils de représentation utilisés sont ceux de l’architecte : textes avant tout descriptifs, dessins sous forme de relevés (la coupe, le plan, l’élévation) et photographies mettent tous les édifices sur un pied d’égalité et permettent leur compréhension spatiale comme constructive. Ce choix éditorial de restituer sans apparente hiérarchie et de manière similaire ces typologies permet de rendre compte d’une approche commune plutôt que de multiples écoles de pensées : le « bon sens » constructif.

« Nous avons choisi des bâtiments relativement simples à étudier, en partie grâce à leur honnêteté constructive. Ceux qui ont retenu notre attention ont en commun de ne rien cacher de leurs matériaux ni de leur mise en œuvre. »

Il ressort en effet que le bioclimatisme et le recours aux ressources immédiates forment le socle commun à tous ces bâtiments. Les divers matériaux utilisés dans ces architectures le sont avant tout pour leur disponibilité et leurs qualités constructives : robustesse, inertie, légèreté. La pierre contribue à l’inertie des community barns au plan circulaire des communautés Shakers, ou sert de soubassement pour les maisons de Kahn, de piles maçonnées pour les ponts. Mais c’est le bois qui est commun à tous ces bâtiments. What about vernacular ? donne à voir la variété de mise en œuvre de ce matériau : charpentes savantes utilisées pour les premières fermes des colons européens, simplicité constructive des log cabins, bardages divers selon les usages et les région, structures treillis des ponts couverts, menuiseries et marqueteries des architectes modernes, motifs usoniens de la Kentuck Knob en Pennsylvanie, porches des maisons du sud, etc. L’architecte Euine Fay Jones fait l’exploit de synthétiser les possibilités constructives de ce matériau dans ses bâtiments légers et élancés.

Rural Studio, fondé par Samuel Mockbee et dirigé aujourd’hui par Andrew Freear, rappelle enfin le rôle social de l’architecte. La Front Porch Initiative propose des habitats bon marché, réalisés par les étudiants de Auburn University et les habitants dans le besoin. Encore une fois, le recours aux techniques et aux matériaux locaux permet de réfléchir à des solutions alternatives pour accéder à un habitat digne dans un pays durement touché par la crise immobilière.

What about vernacular ? rend compte, à travers l’exemple américain, de l’intelligence et de l’honnêteté constructive de l’architecture qu’elle soit anonyme ou célèbre. Il promeut l’intégrité du matériau et l’évidence de la mise en œuvre, dans la lignée de Simplifions de Bernard Quirot que les autrices citent à la fin de l’ouvrage. What about vernacular ?, par sa forme interrogative, implique et investit le lecteur dans une réflexion actuelle, qui va au-delà du sujet d’étude présenté.

Justine Lajus-Pueyo, What about vernacular ?, avec Alexia Menec et Margot Rieublanc, préface de Kenneth Frampton, Parenthèses, 2023, 382 pages, 32 euros