Du lisible au visible

« Zoocities » de Joëlle Zask

Camille Portier | 8 mars 2021

Introduction

Face au nombre croissant d’animaux sauvages migrant dans nos villes, Joëlle Zask s’interroge : « Comment réaménager nos villes et repenser notre mode de vie de manière à rendre possible une coexistence qui ne serait ni pénible ni fatale pour les uns et les autres ? ». Ce phénomène ferait de la ville un véritable refuge (sans chasse ni pesticide) pour cette nouvelle faune fuyant une nature de plus en plus hostile.

Dans un premier temps, l’auteur revient sur les pensées dualistes opposant ville/nature ou civilisation/sauvagerie, avant de s’attarder sur celle entre Ville et Cité : « La cité est aussi ouverte que la ville est fermée. La Cité n’est pas opposée à la nature mais l’intègre comme l’un de ses aspects. Elle est un lieu à partager et non un espace dans lequel se confiner, un lieu de pluralité et non d’identité. »

Mais qui devons-nous intégrer exactement ? Plus nombreux, les animaux sauvages urbains perdent leur puissance et leur exotisme, ne provoquent plus ni respect ni émotion. Pour nous, vie urbaine et vie sauvage sont si antithétiques qu’un animal sauvage qui vivrait en ville verrait son essence-même modifiée. Il serait en quelque sorte « désauvagé »… Pour preuve, la ville n’a jamais envisagé leur présence : il n’y a aucune réglementation à leur encontre, contrairement aux animaux domestiques ou sous gardiennage. Les animaux sauvages urbains tombent dans un vide juridique (sauf lorsqu’il s’agit de leur extermination) appuyant alors cette « conception dominante de la ville vue comme un lieu d’excellence de la vie humaine, à l’exclusion de toute autre forme de vie. » C’est seulement parce que ces animaux sauvages urbains sont devenus un problème, que l’on s’y intéresse depuis une dizaine d’année à travers les urban wildlife studies.

Il apparait alors une double tendance légèrement antinomique dans nos politiques urbaines : augmenter le nombre d’espaces verts et protéger la biodiversité tout en se débarrassant des intrus. « Selon le Wall Street journal, le contrôle de la faune dite nuisible est l’une des industries qui connait la croissance la plus forte du pays. » Malgré la reconnaissance grandissante des droits des animaux, la tendance à s’en débarrasser augmente aussi vite que celle les voyant migrer dans nos villes. Il suffirait de les classer en « êtres errants et envahissants » pour constater que tout est permis pour les éliminer.

Les animaux sauvages urbains ne rentrent dans aucune catégorie. Ils sont perçus comme des « clandestins qui […] privent les autochtones […] des ressources et de l’habitat qui sont supposés leur revenir de droit. » Pour les voir autrement, il faut nous affranchir aussi bien de la culture du sauvage (entre rejet et fascination) que de la culture du domestique (entre colonisation et asservissement) afin de nous concentrer sur nos points communs. Force est de constater que ces animaux sauvages font de l’environnement urbain leur nouvelle nature, tout comme nous !

Joëlle Zask propose une nouvelle définition du sauvage : « qui serait l’imprévisible ». Le devoir des politiques est donc d’aménager les conditions de vie à cette wildness imprévisible, en privilégiant l’observation et l’enquête pour être à l’écoute des réponses que proposent les animaux eux-mêmes. Il ne faudrait pas choisir leur place dans la ville mais l’aménager en fonction de leur choix, et ce, afin d’éviter les zoos urbains.

Contrairement à ce que l’on peut croire, il n’y aurait pas concurrence d’occupation car les lieux habités par les uns ou par les autres « ne s’opposent pas, mais se croisent, se superposent, s’associent ou s’éloignent, tant les échelles mobilisées sont disproportionnées. » Il s’agit là d’une « diversification des usages de la ville à laquelle la culture urbanistique est généralement hostile. » Car dans les faits, la promiscuité de ces espèces s’avère souvent problématique. Pour l’auteur, la coexistence ne pourrait donc s’envisager qu’à bonne distance. Les leçons de la pandémie le prouvant bien avec l’absolue nécessité de respecter la barrière entre espèces et une distanciation physique pour éviter les zoonoses. Sans pour autant oublier que la pluralité des espèces est vitale !

Joëlle Zask propose tout bonnement une relation de voisinage informelle basée sur des observations et connaissances scientifiques. « Les bêtes sauvages sont une chance à saisir » pour transformer nos villes en cités multispécistes, grâce à un éco-design alliant « l’indépendance, la pluralité, les relations de voisinages, les niches et les passages ».

Une lecture passionnante, enrichie d’exemples précis d’animaux venus du monde entier, ainsi que de références variées – des dessins animés de notre enfance à des ouvrages philosophiques. Une lecture qui fait apparaître de nouvelles disciplines de recherche mais qui va surtout au-delà de la question de la place des animaux dans nos villes : l’auteur remet en question les relations entre humains et non-humains à travers une philosophie du « vivre et laisser vivre ».

Joëlle Zask, Zoocities. Des animaux sauvages dans la ville, Premier Parallèle, 2020, 256 pages, 19 euros.